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mis contre le peuple romain & contre sa sûreté, comme emmener une armée d’une province, déclarer la guerre de son chef, aspirer à la souveraine autorité sans l’ordre du peuple ou du sénat, soulever les légions, &c. Mais sous le spécieux prétexte de ce crime, les empereurs dans la suite firent périr un si grand nombre d’innocens, que Pline, dans son panégyrique de Trajan, dit fort élégamment que le crime de majesté étoit sous Domitien le crime unique & particulier de ceux qui n’en avoient commis aucun. Or la majesté, pour le dire ici en passant, dans le sens qu’on prend aujourd’hui ce terme, ou plûtôt qu’on devroit le prendre, n’est autre chose que la dignité & le respect qui résulte de l’autorité & des charges. Sous les empereurs, ce crime étoit qualifié d’impiété, &c.

A ces commissions, le dictateur Sylla ajouta dans la suite celles contre les assassins, les empoisonneurs & les faussaires. On peut voir dans le titre des pandectes sur cette loi, qui sont ceux qui passoient pour coupables des deux premiers crimes. Celui là commet le crime de faux, qui fait un testament faux, ou autre acte faux, de quelque nature qu’il soit, ou bien qui fabrique de la fausse monnoie ; & comme ce crime se commettoit plus fréquemment dans les testamens & dans la fabrication de la monnoie, bientôt après Cicéron contre Verrès, liv. I, chap. xlij, appelle loi testamentaire & pécuniaire, celle qui avoit été faite pour la poursuite & la punition de ce crime.

On établit encore d’autres commissions, comme celles qui furent établies en vertu de la loi pompeia touchant les parricides, dont le supplice consistoit, en ce qu’après avoir été fouettés jusqu’au sang, ils étoient précipités dans la mer, cousus dans un sac avec un singe, un chien, un serpent & un coq ; si la mer étoit trop éloignée, ils étoient, par une constitution de l’empereur Adrien, exposes aux bêtes, ou brûlés vifs. On établit des commissions en vertu de la loi julia, touchant la violence publique & la violence particuliere. La violence publique étoit celle qui donnoit principalement atteinte au bien ou au droit public, & la violence particuliere étoit celle qui donnoit atteinte au bien ou au droit particulier. Il y eut encore d’autres commissions de même nature, comme contre les adulteres, les parjures, &c.

Voici l’ordre qu’on suivoit dans les jugemens publics. Celui qui vouloit se porter accusateur contre quelqu’un, le citoit en justice de la maniere que nous avons dit en parlant des jugemens particuliers. Souvent de jeunes gens de la premiere condition, qui cherchoient à s’illustrer en accusant des personnes distinguées dans l’état, ou qui, comme parle Cicéron, vouloient rendre leur jeunesse recommandable, ne rougissoient point de faire ce personnage. Ensuite l’accusateur demandoit au préteur la permission de dénoncer celui qu’il avoit envie d’accuser : ce qu’il faut par conséquent distinguer de l’accusation même ; mais cette permission n’étoit accordée ni aux femmes, ni aux pupilles, si ce n’est en certaines causes, comme lorsqu’il s’agissoit de poursuivre la vengeance de la mort de leur pere, de leur mere, & de leurs enfans, de leurs patrons & patronnes, de leurs fils ou filles, petits-fils ou petites-filles. On refusoit aussi cette permission aux soldats & aux personnes infâmes ; enfin il n’étoit pas permis, selon la loi Memmia, d’accuser les magistrats, ou ceux qui étoient absens pour le service de la république.

S’il se présentoit plusieurs accusateurs, il intervenoit un jugement qui décidoit auquel la dénonciation seroit déférée, ce qu’on appelloit divination : on peut voir Asconius sur la cause & l’origine de ce nom ; & les autres pouvoient souscrire à l’accusation, s’ils

le jugeoient à propos. Ensuite au jour marqué, la dénonciation se faisoit devant le préteur dans une certaine formule. Par exemple : « je dis que vous avez dépouillé les Siciliens, & je répete contre vous cent mille sesterces, en vertu de la loi » ; mais il falloit auparavant, que l’accusateur prêtât le serment de calomnie, c’est-à-dire, qu’il affirmât que ce n’étoit point dans la vue de noircir l’accusé par une calomnie, qu’il alloit le dénoncer. Si l’accusé ne répondoit point, ou s’il avouoit le fait, on estimoit le dommage dans les causes de concussion ou de péculat ; & dans les autres, on demandoit que le coupable fût puni : mais s’il nioit le fait, on demandoit que son nom fût reçu parmi les accusés, c’est-à dire, qu’il fût inscrit sur les registres au nombre des accusés. Or on laissoit la dénonciation entre les mains du préteur, sur un libelle signé de l’accusateur, qui contenoit en détail toutes les circonstances de l’accusation. Alors le préteur fixoit un jour, auquel l’accusateur & l’accusé devoient se présenter ; ce jour étoit quelquefois le dixieme, & quelquefois le trentieme. Souvent dans la concussion ce delai étoit plus long, parce qu’on ne pouvoit faire venir des provinces les preuves qu’après beaucoup de recherches. Les choses étant dans cet état, l’accusé, avec ses amis & ses proches, prenoit un habit de deuil, & tâchoit de se procurer des partisans.

Le jour fixé étant arrivé, on faisoit appeller par un huissier les accusateurs, l’accusé, & ses défenseurs : l’accusé qui ne se présentoit pas étoit condamné ; ou si l’accusateur étoit défaillant, le nom de l’accusé étoit rayé des registres. Si les deux parties comparoissoient, on tiroit au sort le nombre de juges que la loi prescrivoit. Ils étoient pris parmi ceux qui avoient été choisis pour rendre la justice cette année-là, fonction qui se trouvoit dévolue, tantôt aux sénateurs, tantôt aux chevaliers, auxquels furent joints par une loi du préteur Aurelius Cotta, les tribuns du trésor, qui furent supprimés par Jules-César ; mais Auguste les ayant rétablis, il en ajouta deux cens autres pour juger des causes qui n’avoient pour objet que des sommes modiques.

Les parties pouvoient recuser ceux d’entre ces juges qu’ils ne croyoient pas leur être favorables, & le préteur ou le président de la commission, en tiroit d’autres au sort pour les remplacer ; mais dans les procès de concussion, suivant la loi Servilia, l’accusateur, de quatre cent cinquante juges, en présentoit cent, desquels l’accusé en pouvoit seulement recuser cinquante. Les juges nommés, à moins qu’ils ne se recusassent eux-mêmes pour des causes légitimes, juroient qu’ils jugeroient suivant les lois. Alors on instruisoit le procès par voie d’accusation & de défense.

L’accusation étoit sur-tout fondée sur des témoignages qui sont des preuves où l’artifice n’a point de part. On en distingue de trois sortes ; 1°. les tortures, qui sont des témoignages que l’on tiroit des esclaves par la rigueur des tourmens, moyens qu’il n’étoit jamais permis d’employer contre les maîtres, sinon dans une accusation d’inceste ou de conjuration. 2°. Les témoins qui devoient être des hommes libres, & d’une réputation entiere. Ils étoient ou volontaires ou forcés ; l’accusateur pouvoit accuser ceux-ci en témoignage, en vertu de la loi ; les uns & les autres faisoient leur déposition après avoir prêté serment, d’où vient qu’on les appelloit juratores. Mais il y avoit d’autres juratores, pour le dire en passant, chargés d’interroger ceux qui entroient dans un port sur leur nom, leur patrie, & les marchandises qu’ils apportoient. Plaute en fait mention in trinummo, act. 4. sc. 2. v. 30. Je reviens à mon sujet.

La troisieme espece de preuve sur laquelle on appuyoit l’accusation, étoit les registres, & sous ce