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certaines causes, le demandeur évaluoit par serment la chose qui faisoit la matiere de la contestation, c’est-à-dire qu’il affirmoit avec serment que la chose contestée valoit tant ; c’est ce qu’on appelloit in litem jurare ; cela avoit lieu dans les causes de bonne foi, lorsqu’on répétoit la même chose, ou qu’il étoit intervenu dol ou contumace de la part du défendeur.

Quand le juge étoit seul, il s’associoit pour conseil un ou deux de ses amis, qui étoient instruits dans la science des loix ; alors on plaidoit la cause ; ce qui se faisoit en peu de mots, & c’est ce qu’on appelloit causes sommaires, causæ conjectio, ou par des discours plus longs ou composés avec plus d’art ; telles sont les oraisons ou plaidoyers de Cicéron pour Quintius & pour Roscius le comédien. On donnoit le nom de moratores à ces avocats déclamateurs, qui n’étoient bons qu’à retarder la décision des causes, qui causam morabantur. Enfin, on présidoit à l’audition des témoins, & l’on produisoit les registres & les autres pieces qui pouvoient servir à instruire le procès.

De la fin du jugement. L’après-midi, après le coucher du soleil, on prononçoit le jugement, à moins que le juge n’eût pas bien compris la cause ; car dans ce cas il juroit qu’il n’étoit pas suffisamment instruit, sibi non liquere ; & par cet interlocutoire il étoit dispensé de juger : c’est pourquoi dans la suite les juges, pour ne pas hazarder mal-à-propos un jugement, demanderent quelquefois la décision de l’empereur, ou bien ils ordonnoient une plus ample information. Cependant cette plus ample information n’étoit gueres usitée que dans les jugemens publics. Ordinairement les juges prononçoient qu’une chose leur paroissoit être ou n’être pas ainsi : c’étoit la formule dont ils se servoient, quoiqu’ils eussent une pleine connoissance de la chose dont ils jugeoient ; quand ils ne suivoient pas cette maniere de prononcer, ils condamnoient une des parties & déchargeoient l’autre.

Pour les arbitres, ils commençoient par déclarer leur avis ; si le défendeur ne s’y soumettoit pas, ils le condamnoient, & lorsqu’il étoit prouvé qu’il y avoit dol de sa part, cette condamnation se faisoit conformément à l’estimation du procès ; au lieu que le juge faisoit quelquefois réduire cette estimation, en ordonnant la prisée.

Dans les arbitrages, il pouvoit avoir égard à ce que la foi exigeoit. Cependant les arbitres étoient aussi soumis à l’autorité du préteur, & c’étoit lui qui prononçoit & faisoit exécuter leur jugement aussi bien que celui des autres juges. Aussitôt qu’un juge avoit prononcé, soit bien ou mal, il cessoit d’être juge dans cette affaire.

Après le jugement rendu, on accordoit quelquefois au condamné, pour des causes légitimes, la restitution en entier : c’étoit une action pour faire mettre la chose ou la cause au même état où elle étoit auparavant. On obtenoit cette action, ou en exposant qu’on s’étoit trompé soi-même, ou en alléguant que la partie adverse avoit usé de fraude ; par-là on n’attaquoit point proprement le jugement rendu, au lieu que l’appel d’une sentence est une preuve qu’on se plaint de son injustice.

Si le défendeur, dans les premiers trente jours depuis sa condamnation, n’exécutoit pas le jugement, on n’en interjettoit point appel, mais le préteur le livroit à son créancier pour lui appartenir en propriété comme son esclave, nexus creditori addicebatur, & celui ci pouvoit le retenir prisonnier jusqu’à ce qu’il se fût acquitté, ou en argent, ou par son travail. Le demandeur de son côté étoit exposé au jugement de calomnie. On entendoit par calomniateurs, ceux qui pour de l’argent suscitent un procès sans sujet. Dans les actions de partage, le défendeur

étoit obligé de faire le serment de calomnie comme le demandeur.

Enfin, si le juge, sciemment & par mauvaise soi avoit rendu un jugement injuste, il devenoit garant du procès, litem faciebat suam, c’est-à-dire qu’il étoit contraint d’en payer la juste estimation. Quelquefois même on informoit de ce crime suivant la loi établie contre la concussion. Si le juge étoit convaincu d’avoir reçu de l’argent des plaideurs, il étoit condamné à mort suivant la loi des douze tables. C’en est assez pour ce qui regarde les jugemens particuliers. Nous parlerons dans un autre article des jugemens publics, dont la connoissance est encore plus intéressante. (D. J.)

Jugemens publics des Romains, (Hist. de la Jurisp. rom.) Les jugemens publics de Rome étoient ceux qui avoient lieu pour raison de crimes ; ils sont ainsi appellés, parce que dans ces jugemens l’action étoit ouverte à tout le monde. On peut donc les définir des jugemens que les juges, donnés par un commissaire qui les présidoit, rendoient pour la vengeance des crimes, conformément aux lois établies contre chaque espece de crime.

Ces jugemens étoient ordinaires ou extraordinaires ; les premiers étoient exercés par des préteurs, & les seconds par des commissaires appellés parricidii & duumviri ; c’étoient des juges extraordinairement établis par le peuple. Les uns & les autres rendoient leurs jugemens publics, tantôt au barreau, tantôt au champ de Mars, & quelquefois même au capitole.

Dans les premiers tems, tous les jugemens publics étoient extraordinaires ; mais environ l’an de Rome 605, on établit des commissions perpétuelles, questiones perpetuæ ; c’est-à-dire qu’on attribua à certains préteurs la connoissance de certains crimes, de sorte qu’il n’étoit plus besoin de nouvelles lois à ce sujet. Cependant depuis ce tems-là il y eut beaucoup de commissions exercées, ou par le peuple lui-même dans les assemblées, ou par des commissaires créés extraordinairement ; & cela à cause de l’atrocité ou de la nouveauté du crime, dont la vengeance étoit poursuivie, comme, par exemple, dans l’affaire de Milon, qui étoit accusé d’avoir tué Clodius, & dans celle de Clodius lui-même, accusé d’avoir violé les saints mysteres. C’est ainsi que l’an de Rome 640, L. Cassius Longinus informa extraordinairement de l’inceste des vestales. Les premieres commissions perpétuelles furent celles qu’on établit pour la concussion, pour le péculat, pour la brigue, & pour le crime de lèze majestê.

Le jugement de concussion est celui par lequel les alliés des provinces répétoient l’argent que les magistrats préposés pour les gouverner, leur ont enlevé contre les lois. C’est pourquoi Cicéron dans ses plaidoyers contre Verrès, donne à la loi qui concernoit les concussions, le nom de loi sociale. En vertu de la loi julia on pouvoit poursuivre par la même action ceux à qui cet argent avoit passé, & les obliger à le restituer, quoiqu’il paroisse que la peine de l’exil avoit aussi été établie contre les concussionnaires.

Le jugement de péculat est celui dans lequel on accusoit quelqu’un d’avoir volé les deniers publics ou sacrés. Le jugement pour le crime d’argent retenu a beaucoup d’affinité avec le péculat : son objet étoit de faire restituer les deniers publics restés entre les mains de quelqu’un. Celui qui, par des voies illégitimes, tâchoit de gagner les suffrages du peuple, pour parvenir aux honneurs, étoit coupable de brigue ; c’est pourquoi le jugement qui avoit ce crime pour objet, cessa d’être en usage à Rome, lorsque l’élection des magistrats eut été remise au soin du prince, & qu’elle ne dépendit plus du peuple.

Le crime de majesté embrassoit tout crime com-