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de même, comme pour les draps, ce sera une ratine ou serge forte.

A ces premieres combinaisons, il s’en joint d’autres qui naissent ou simplement des degrés du plus au moins, ou des changemens alternatifs soit de couleur, soit de grosseur dans les fils de la chaîne, ou du frapper de l’étoffe sur le métier.

Une étoffe fine d’étaim sur étaim à deux marches, & serrée au métier, fera l’étamine du Mans.

La même frappée moins fort, ou laissée à claire voie, fera du voile.

La trame est elle filée de laine fine, mais cardée ? c’est un beau maroc.

Est-elle un peu grosse ? ce sera une baguette ou une sempiterne, pourvû qu’elle ait de largeur une aune & demie ou deux aunes.

Y a-t-on employé ce qu’il y a de pire en laine ? c’est une revesche.

La chaîne est-elle haussée & baissée par quatre marches, & la trame très-fine ? c’est un maroc double croisé.

La trame est-elle de laine un peu grasse sans croisure ? c’est une dauphine.

La trame est-elle de Ségovie cardée sur étain fin ? c’est l’espagnolette de Reims.

Est-elle double croisée ? c’est la flanelle.

La chaîne est-elle d’étaim double & retordu ? c’est le camelot.

Est-elle sur cinq lisses ou lames avec autant de marches ? c’est la calemande de Lisle.

Trame de Berri sur étaim croisé ? c’est le moleton, en le tirant au chardon des deux côtés.

Grosse trame de laine du pays, mélée avec du peignon, sur chaîne de chanvre ? c’est la tiretaine de Baucamp ou le droguet du Berri & de Poitou.

La serge bien drappée, n’est que le pinchina de Toulon ou de Châlons-sur-Marne.

La serge de grosse laine bien foulée, est le pinchina de Berri.

On rempliroit cent pages des noms qui sont donnés aux étoffes d’une même espece, & qui n’ont de différence que les lieux où elles sont fabriquées.

En un mot, toutes les étoffes unies de laine, sous quelque dénomination qu’elles puissent être, ne se fabriquent que de deux façons, ou à simple croisure ou à double. Tout ce qui est fabriqué à simple croisure est de la nature du drap quand il foule ; tels sont les draps londrins, les soies ou draps façon de Venise, destinés pour le commerce du Levant, auxquels on donne des noms extraordinaires, comme aboucouchou, &c. & quand il ne foule pas, il est de la nature de la toile. Tout ce qui est fabriqué à double croisure est serge, soit qu’il foule ou qu’il ne foule pas. De façon que la Draperie en général, n’est que de drap ou de serge, excepté néanmoins les calemandes qui ont cinq lisses & cinq marches, & qui ne levent qu’une lisse à chaque coup de navette ; ce qui leur donne un envers & un endroit, quoique sans apprêt.

On appelle croisé simple, une étoffe à deux lisses & à deux marches dont les fils parfaitement croisés haussent & baissent alternativement à chaque coup de navette.

On appelle double croisé, une étoffe à quatre lisses & à quatre marches, dont le premier & le second fil levent au premier coup de navette ; le second & le troisieme au second coup de navette ; le troisieme & le quatrieme au troisieme coup de navette ; le quatrieme & le premier, au quatrieme coup, & ainsi de suite ; de maniere qu’un même fil hausse & baisse deux fois pour chaque duite, au lieu qu’il ne hausse & ne baisse qu’une fois au drap.

Après les étoffes de laine viennent les étoffes mélangées de laine & poil.

Des étoffes mélangées de laine & de poil. Tel est le camelot poil qui ne differe du camelot ordinaire, qu’en ce que la chaîne qui est d’un fil d’étaim bien fin est filée & retordue avec un fil de poil de chameau également fin, & la trame d’un fil d’étaim simple.

Les étamines & les camelots en soie, ou étamines jaspées & camelots jaspés, sont fabriqués pour la chaîne d’un fil de soie & d’un fil d’étaim, comme les camelots poil, mais frappés moins fort.

Le camelot & l’étamine jaspée ont la chaîne d’un fil d’étaim & d’un fil de soie de différentes couleurs, & c’est ce qui fait la jaspure.

Le canelé, façon de Bruxelles, a la moitié de la chaîne d’une couleur, & l’autre moitié d’une autre ; il se travaille avec deux navettes, dont l’une chargée de grosse laine, & l’autre d’étaim fin, des deux mêmes couleurs que la chaîne qui est également retordue à deux fils, pour donner plus de consistence à l’étoffe, & la liberté de la frapper avec plus de force, & avec les battans les plus pesans.

Le drap, façon de Silésie, a sa chaîne & sa trame filées au grand rouet. Quoique cette étoffe soit réellement drap, néanmoins elle n’est pas travaillée à deux marches comme les draps ordinaires. C’est le dessein qui détermine la distribution des fils qui doivent lever & demeurer baissés ; de maniere que le fabriquant est assujetti à composer un dessein qui convienne à l’étoffe, dont la fabrication deviendroit impossible, si le dessein étoit autrement entendu.

Il ne faut pas oublier les camelots fleuris ou droguets façonnés d’Amiens. Ils ont la chaîne composée d’un fil de soie tordu avec un fil d’étaim très-fin, pour leur donner plus de consistence. Cette un on du fil de soie & du fil d’étaim devient nécessaire ; car ces étoffes étant travaillées à la marche, la chaîne fatigue davantage.

On avoit entrepris à la manufacture de l’Hôpital de faire des droguets de cette espece tout laine ; ils ont eu quelque succès. Ces étoffes se fabriquoient à la tire ou au bouton, comme les draps de Silésie ; par ce moyen la chaîne étoit moins fatiguée.

Les droguets de Reims soie & laine, ont la trame d’une laine extrémement fine.

Ces étoffes qui sont fabriquées de deux matieres différentes, & qui ne foulent point, sont montées avec deux chaînes, dont l’une exécute la figure, & l’autre fournit au corps de l’étoffe ; ce qui ne pourroit se faire avec de la laine ; la grosseur du fil d’étaim, de quelque maniere qu’il soit filé, étant beaucoup plus considérable que celle de la soie, & la quantité qu’il en faudroit employer pour la fabrication dans les deux chaînes, étant d’un volume à ne pouvoir plus passer dans les lisses.

Après ces étoffes viennent les calemandes façonnées, ou à grandes fleurs.

Des calemandes façonnées ou à grandes fleurs. La composition de ces étoffes est semblable à celle des satins tout soie. La tire en est aussi la même ; il n’y a de différence que dans le nombre des fils, qui n’est pas si considerable à la chaîne, ou ceux-là sont retordus & doubles.

Des pluches unies & façonnées. Les pluches unies ont été fabriquées à l’imitation des velours. La chaîne est également de fil d’étaim double & retordu, & le poil qui fait la seconde chaîne de la pluche, de poil de chameau tordu & doublé, à deux brins le fil pour les simples, à trois pour les moyennes, & à quatre pour les plus belles. Les pluches ciselées sont fabriquées comme les velours de cette espece ; les unes avec la marche, lorsque le dessein est peint ; les autres à la tire, lorsque le dessein est plus grand.

Il y a des pluches dont le poil est de soie, qu’on appelle pluches mi-soie ; elles ont la trame & la chaîne à l’ordinaire.