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Quoique le drap soit prêt à être commencé, il est bon néanmoins d’observer qu’encore que les fils soient disposés avec beaucoup d’ordre & d’exactitude sur le métier, il est d’usage de placer sur les deux bords de la largeur un nombre déterminé de fils, ou d’une matiere ou d’une couleur différente de la chaîne ; ce qui sert à caractériser les différentes sortes d’étoffes. Il y a des reglemens qui fixent la largeur & la longueur de la chaîne, la matiere & la couleur des lisieres, en un mot, ce qui constitue chaque espece de tissu, afin qu’on sache ce qu’on achete.

Lorsqu’il s’agit de commencer le drap, on devide en dernier lieu le fil de trame des écheveaux sur de petits roseaux de trois pouces de long, & qu’on nomme épolets, espolets, époulins ou espoulins.

Dans les bonnes manufactures on a soin de mouiller l’écheveau de trame avant que de le devider sur les petits roseaux, afin que le fil de la chaîne, dur par la colle dont il a été enduit, devienne plus flexible dans la partie où la duite se joint, & la fasse entrer plus aisément ; ce qui s’appelle travailler à trame mouillée. On ne peut donner le nom de bonnes manufactures à celles qui travaillent à trame seche.

L’espolin chargé de fil, est embroché d’une verge de fer qui se nomme fuserole, puis couché & arrêté par les deux bouts de la fuserole dans la poche de la navette, d’où le fil s’échappe par une ouverture latérale. Ce fil arrêté sur la premiere lisiere de la chaîne, se prête & se devide de dessus l’espolin à mesure que la navette court & s’échappe par l’autre lisiere. Les fils de chaîne se haussent par moitié, puis s’abaissent tour-à-tour, tandis que les autres remontent, saisissent & embrassent chaque duite ou chaque jet de fil de trame ; de sorte que c’est proprement la chaîne qui fait l’appui & la force du tissu, au lieu que la trame en fait la fourniture.

De la maniere de frapper le drap. Le rot ou le peigne sert à joindre chaque duite ou jet de trame contre celui qui a été lancé précédemment, par le moyen de la chasse ou battant dans lequel il est arrêté. Le battant suspendu de maniere qu’il puisse avancer & reculer, est amené par les deux ouvriers tisseurs contre la duite ; & c’est par les différens coups qu’il donne, que le drap se trouve plus ou moins frappé. Les draps communs sont frappés à quatre coups ; les fins à neuf ; les doubles broches à quinze & pas davantage.

Largeur des draps en toile. En général tous les draps doivent avoir depuis sept quarts de large sur le métier, jusqu’à deux aunes & un tiers. Cette largeur doit être proportionnée à celle qu’ils doivent avoir au retour du foulon : toutes ces dimensions sont fixées par les reglemens.

Il y a cependant des draps forts qui n’ont qu’une aune de large sur le métier ; mais ces sortes de draps doivent être réduits à demi-aune seulement au retour du foulon, & sont appellés draps au petit large. Quant aux grands larges, ils sont ordinairement réduits à une aune, une aune & un quart, ou une aune & un tiers, & rien de plus, toujours en raison de la largeur qu’ils ont sur le métier.

La largeur du drap sur le métier a exigé pendant longtems le concours de deux ouvriers pour fabriquer l’étoffe, lesquels se jettant la navette ou la lançant tour-à-tour, la reçoivent & se la renvoient après qu’ils ont frappé sur la duite le nombre de coups nécessaires pour la perfection de l’ouvrage, un seul ouvrier n’ayant pas dans ses bras l’étendue propre pour recevoir la navette d’un côté quand il l’a poussée de l’autre. Un anglois, nommé Jean Kay, a trouvé les moyens de faire travailler les étoffes les plus larges à un seul ouvrier, qui les fabrique aussi-bien, & n’emploie pas plus de tems que deux. Ce méchanisme a commencé à paroître sur la fin de

l’année 1737, & a valu à son auteur toute la reconnoissance du Conseil ; reconnoissance proportionnée au mérite de l’invention, qui est déja établie en plusieurs manufactures du royaume.

De la navette angloise, ou de la fabrique du drap par un homme seul. L’usage de cette navette ne dérange en aucune maniere l’ancienne méthode de monter les métiers ; elle consiste seulement à se servir d’une navette qui est soutenue sur deux doubles roulettes, outre deux autres roulettes simples placées sur le côté, qui, lors du travail, se trouvent adossées au rot ou peigne. Cette navette devide ou lance avec plus d’activité & en même-tems plus de facilité la duite ou le fil qui fournit l’étoffe, au moyen d’un petit cone ou tambour tournant sur lequel elle passe, afin d’éviter le frottement qu’elle souffriroit en s’échappant par l’ouverture latérale. Elle contient encore plus de trame, & n’a pas besoin d’être chargée aussi souvent que la trame ordinaire. Elle ne comporte point de nœuds, & fabrique par conséquent une étoffe plus unie. Une petite planche de bois bien taillée en forme de lame de couteau, de trois pouces & demi de large, de trois lignes d’épaisseur du côté du battant auquel elle est attachée, & de dix lignes de l’autre côté, de la longueur du large du métier, est placée de niveau à la cannelure du battant, dans son dessous, & à la hauteur de l’ouverture inférieure de la dent du peigne.

Lorsque l’ouvrier foule la marche, afin d’ouvrir la chaîne pour y lancer la navette, la portion des fils qui baissent appuie sur cette planchette, de façon que la navette à roulette ne trouve en passant ni flexibilité ni irrégularités qui la retiennent, & va rapidement d’une lisiere à l’autre sans être arrêtée.

Une piece de bois de deux lignes environ de hauteur, & d’un pié & demi plus ou moins de longueur, posée sur la planche de chaque côté du battant, contient la navette, la dirige, soit en entrant, soit en sortant ; car alors elle se trouve entre la lame du battant & cette petite piece.

Pour donner le mouvement à la navette, une espece de main de bois recourbée à angles droits, dont la partie supérieure est garnie de deux crochets de fil de fer, dans lesquels entre une petite tringle de fer de la longueur de la navette, à laquelle est attachée une corde que l’ouvrier tient entre ses mains, au milieu du métier, meut une plaque de bois ou crosse qui chasse la navette.

Mais l’inspection de nos figures achevera de rendre tout ce méchanisme intelligible. Voyez donc la figure 15. C’est une partie du rot & de la chasse, avec la navette angloise en place. Il faut imaginer le côté A de cette figure semblable à l’autre côté. c, partie de la chasse ; D, dessus de la chasse, ou la barre que l’ouvrier tient à la main pour frapper l’étoffe ; e, e, la rangée des dents du rot ou peigne ; f, f, la tringle qui soutient la crosse. Cette tringle est attachée à la chasse ; g, la crosse avec ses anneaux, dans lesquels la tringle passe ; h, la navette angloise posée sur la planchette i, i ; k, k, petite piece de bois posée sur la planchette i ; imaginez au milieu du quarré de la planchette ou crosse g, une corde qui aille jusqu’à l’ouvrier, & qui s’étende jusqu’à l’autre bout du métier e, où il faut supposer une pareille crosse, au milieu de laquelle soit aussi attachée l’autre extrémité de la même corde.

Qu’arrivera-t-il après que l’ouvrier aura baissé une marche ? Le voici.

La moitié des fils de la chaîne sera appliquée sur la planchette i ; l’autre sera haussée ; il y aura entre les deux une ouverture pour passer la navette. L’ouvrier tirera sa corde de gauche à droite ; la crosse g glissant sur la tringle de fer, poussera la navette ;