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l’année, outre qu’il suit immédiatement l’opération de la tonte, il a encore cet avantage, que l’eau adoucie & attiédie en quelque sorte par la chaleur des rayons du soleil, détache & emporte plus facilement les malpropretés qui sont comme adhérentes à la laine.

Plus on differe le lavage des laines, plus le déchet est considérable ; il est souvent de moitié ; les laines de Castille perdent cinquante-trois pour cent. Ce déchet suit cependant un peu les années ; l’altération est plus forte quand il n’a pas plu vers le tems de la coupe, que quand la saison a été pluvieuse. Le moyen le plus sûr d’éviter le déchet, ou de le diminuer beaucoup lorsque la saison a été seche, c’est de laver la laine à dos plusieurs semaines, & même des mois entiers avant le tems de la tonte.

Je ne puis ici passer sous silence deux abus qui intéressent la qualité de nos laines ; l’un regarde les laboureurs, l’autre concerne les bouchers.

C’est une nécessité indispensable aux premiers de distinguer leurs moutons par quelque marque. Deux troupeaux peuvent se rencontrer & se mêler ; on peut enlever un ou plusieurs moutons ; la marque décele le larcin ; enfin les pâturages de chaque ferme ont des limites, & cette marque est une condamnation manifeste pour le berger qui conduit son troupeau dans un territoire étranger. Ce caractere est donc nécessaire, l’abus ne consiste que dans la maniere de l’appliquer. Nos laboureurs de l’Ile de France & de la Picardie, plaquent ordinairement sans choix des couleurs trempées dans l’huile, sur la partie la plus précieuse de la toison, sur le dos ou sur les flancs ; ces marques ne s’en vont point au lavage ; elles restent ordinairement collées & adhérentes à la toison, & souvent les éplucheurs négligent de séparer de la laine les croûtes qu’elles forment, parce que cette opération demande trop de tems. Que suit-il de-là ? Ces croûtes passant dans le fil, & les étoffes qu’on en fabrique, les rendent tout-à-fait défectueuses ; il est un moyen fort simple d’obvier à cet abus. On peut marquer les moutons à l’oreille par une marque latérale, perpendiculaire ou transversale ; & ces marques peuvent varier à l’infini, en prenant l’oreille gauche ou l’oreille droite, on les deux oreilles, &c.

Si cependant la nature du lieu demandoit un signe plus apparent, on pourroit marquer les moutons à la tête comme on fait en Berri ; la toison par ce moyen ne souffle aucun dommage.

L’autre abus ne concerne que les pélades, mais il ne mérite pas moins notre attention. Les bouchers, au lieu de ménager les toisons des peaux qu’ils abattent, semblent mettre tout en œuvre pour les salir ; ils les couvrent de graisse & de tout ce qu’il y a de plus infect. Il est d’autres détails qu’il ne seroit pas amusant de lire ni d’exposer, & que la police pourroit facilement proscrire, sans nuire à ces sortes de gens, qui d’ailleurs sont les derniers de la lie des hommes ; l’on épargneroit par-là de la peine aux mégissiers, & cette laine dans son espece, seroit d’une meilleure qualité.

On lave la laine par tas dans l’eau dormante, à la manne dans l’eau courante, & dans des cuves pleines d’eau de riviere. Les laines trop malpropres & difficiles à décrasser (comme celles d’Espagne) se dégorgent dans un brun composé d’un tiers d’urine, & de deux tiers d’eau ; ce seroit je pense la meilleure méthode pour toutes nos laines.

Toutes les rivieres ne sont pas également propres au lavage. Les eaux de Beauvais ont une qualité excellente ; on pourroit en tirer parti mieux qu’on ne fait, en établissant dans cette ville une espece de buanderie générale pour les laines du pays. Quand

la laine a passé par le lavage, on la met égouter sur des claies.

Les manufacturiers doivent se précautionner, s’il est possible, contre un grand nombre de supercheries frauduleuses. Par exemple, quand l’année a été seche, les Laboureurs ou les Marchands qui tiennent les laines de la premiere main, les font mal laver, afin d’éprouver moins de déchet. Qu’arrive-t-il alors ? Pour empêcher la graisse & les ordures de paroître, ils fardent les toisons qu’ils blanchissent avec de la craye, ou d’autres ingrédiens qu’ils imaginent. Les suites de cette manœuvre ne peuvent être que très-funestes, soit au fabriquant, soit au public. Si l’on emploie la laine comme on l’achete, l’étoffe n’en vaut rien, les vers & les mites s’y mettent au bout de peu de tems, & l’acheteur perd son drap. Si le fabriquant veut rendre à la laine sa qualité par un second lavage, il lui en coute sa façon & un nouveau déchet Il seroit à souhaiter qu’on travaillât sérieusement à la suppression de ces abus.

3°. Triage. Après que la laine a été lavée, on la trie, on l’épluche, on la drousse, on la peigne, ou on la corde suivant sa longueur, on la mêle & on la file.

Le triage des laines consiste à distinguer les différentes qualités, à séparer la mere-laine, qui est celle du dos, d’avec celle des cuisses & du ventre, qui ne sont pas également propres à toutes sortes d’ouvrages. On peut encore entendre par ce terme, le partage du bon d’avec le moindre, & du médiocre d’avec le mauvais.

Les Marchands qui achetent les laines de la premiere main, se chargent ordinairement du soin de les trier, après les avoir fait laver. Les laines lavées, qui ne sont pas triées, se vendent par toisons ; celles qui sont triées, ne se vendent plus qu’au poids. Les bons fabriquans pensent qu’il y a plus d’avantages à acheter les laines toutes triées qu’en toison ; mais cette opinion n’est fondée que sur la mauvaise foi des vendeurs, qui fardent leurs toisons, en roulant le plus fin par-dessus, & en renfermant au-dedans le plus mauvais.

Les Espagnols ont une pratique contraire, surtout les Hyéronimites, possesseurs de la fameuse pile de l’Escurial. Ces religieux vendent leur pile, non seulement sans séparer la qualité des toisons, mais ils y joignent aussi ce qu’ils nomment laine des agreges, qui viennent des lieux circonvoisins de l’Escurial.

La bonne foi & la sureté du commerce étant rétablies, ce dernier parti me paroîtroit préférable à celui que prennent nos fabriquans ; & le public & le chef de manufacture y gagneroient pareillement ; celui-ci seroit plus maître de l’assortiment de ses laines, & le public auroit des étoffes plus durables.

Il y auroit ici cent choses à observer au sujet des fraudes & des ruses, qui se perpétuent journellement, tant dans le lavage, que dans le triage des laines ; mais le sordide amour du gain n’est-il pas capable de tout ?

4°. Epluchement. La négligence des éplucheurs occasionne les nœuds & les grosseurs qui se rencontrent dans les étoffes.

Les corps étrangers que l’on sépare de la laine en l’épluchant, sont, ou des ordures qui s’insinuent dans la toison, pendant qu’elle est encore sur le dos de l’animal, ou des molécules de suin qui se durcissent, ou enfin des paillettes, & diverses petites matieres qui s’attachent aux toisons lavées, lorsqu’on les étend au soleil pour les faire sécher sans drap dessous, sans soin & sans attention.

Cette façon comprend encore ce que l’on appelle écharpir, ou écharper la laine, ce qui consiste à déchirer & à étendre les floccons de laine qui sont trop