Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 9.djvu/169

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la couleur est grise, c’est la lacque de Madagasear : Flacourt en a parlé le premier, & elle ne mérite aucune estime.

La seconde espece est d’une couleur plus obscure à l’extérieur ; mais entierement rouge, lorsqu’on regarde la lumiere à-travers. Cette belle couleur lui vient de ce que ses alvéoles sont bien remplis, & que les parties animales y étant en abondance, ont communiqué leur teinture à la cire à l’aide de la chaleur du soleil. On peut dire que c’est la lacque dans sa maturité ; aussi est elle pesante, plus serrée & plus solide que la précédente ; c’est-là la bonne lacque.

Les Indiens, sur-tout les habitans de Bengale, qui en connoissent tout le prix, & combien les Européens l’estiment, sont attentifs à sa préparation. Pour cet effet ils enfoncent en terre dans les lieux où se trouvent les insectes qui la forment, quantité de petites branches d’arbres ou de roseaux, de la maniere qu’on rame les pois en France. Lorsque ces insectes les ont couvert de lacque, on fait passer de l’eau par-dessus, & on la laisse ainsi exposée quelque tems au soleil, où elle vient dure & seche, telle qu’on nous l’apporte en Europe.

Cette gomme bouillie dans l’eau avec quelques acides, fait une teinture d’un très beau rouge. Les Indiens en teignent ces toiles peintes si sévérement défendues, & si fort à la mode en France, qui ne perdent point leur couleur à l’eau : les Levantins en rougissent aussi leurs maroquins. Elle doit être choisie la plus haute en couleur, nette, claire, un peu transparente, se fondant sur le feu, rendant étant allumée une odeur agréable, & quand elle est mâchée, teignant la salive en couleur rouge.

Quelques auteurs de matiere médicale lui attribuent les vertus d’être incisive, apéritive, atténuante ; de purifier le sang, d’exciter les mois aux femmes, la transpiration & la sueur ; mais ces vertus sont si peu confirmées par l’expérience, que l’usage de cette drogue est entierement reservé pour les Arts.

La lacque en grain, est celle que l’on a fait passer légerement entre deux meules, pour en exprimer la substance la plus précieuse ; la lacque plate est celle qu’on a fondue & applatie sur un marbre : elle ressemble au verre d’antimoine.

Tout le monde sait que la lacque en grain est employée pour la cire à cacheter, dont celle des Indes est la meilleure de toutes : c’est de la bonne lacque liquefiée & colorée avec du vermillon. Les Indiens font encore avec leur lacque colorée une pâte très dure, d’un beau rouge, dont ils forment des brasselets appellés manilles.

Pour tirer la teinture rouge de la lacque, au rapport du P. Tachard, on la sépare des branches, on la pile dans un mortier, on la jette dans de l’eau bouillante, & quand l’eau est bien teinte, on en remet d’autre, jusqu’à ce qu’elle ne teigne plus. On fait évaporer au soleil la plus grande partie de l’eau ; on met ensuite cette teinture épaissie dans un linge clair ; on l’approche du feu, & on l’exprime au-travers du linge. Celle qui a passé la premiere est en gouttes transparentes, & c’est la plus belle lacque. Celle qui sort ensuite par une plus forte expression, & qu’on est obligé de racler avec un couteau, est plus brune, & d’un moindre prix. Voilà la préparation de la lacque la plus simple, qui n’est qu’un extrait de la couleur rouge que donnent les parties animales.

C’est de cette premiere préparation, dont les autres qui se sont introduites depuis par le secours de l’art, ont prises leur nom. De-là toutes les lacques employées dans la Peinture, pour peindre en mignature & en huile, qui sont des pâtes séches, aux-

quelles on a donné la couleur de la lacque, selon les

degrés nécessaires pour la gradation des teintes.

Ce mot de lacque s’est ensuite étendu à un grand nombre d’autres pâtes séches, ou poudres de différentes couleurs, & teintes avec des matieres bien différentes. Ainsi la lacque fine de Venise est une pâte faite avec de la cochenille mesteque qui reste après qu’on en a tiré le premier carmin. La lacque colombine, ou lacque plate, est une pâte qu’on préparoit autrefois à Venise mieux qu’ailleurs, avec des tontures de l’écarlate bouillie dans une lessive de soude blanchie avec de la craie & de l’alun. La lacque liquide est une certaine teinture tirée du bois de Brésil ; toutes ces lacques s’emploient dans la Peinture & dans les vernis.

Divers chimistes en travaillant la lacque, ont observé qu’elle ne se fond ni ne se liquéfie point dans de l’huile d’olive, quoiqu’on les échauffe ensemble sur le feu ; l’huile n’en prend même aucune couleur, & la lacque demeure au fond du vaisseau, en une substance gommeuse, dure, cassante, grumeleuse, rouge & brune ; ce qui prouve encore chimiquement que la lacque n’est point une résine.

Les mêmes chimistes ont cherché curieusement à tirer la teinture de la lacque, & l’on ne sera pas fâché d’en trouver ici le meilleur procédé : c’est à Boerrhaave qu’on le doit.

Prenez de la lacque pure, reduisez-la en une poudre très-fine, humectez la avec de l’huile de tartre par défaillance, faites-en une pâte molle, que vous mettrez dans un matras, exposez ce vaisseau sur un fourneau à une chaleur suffisante, pour sécher peu-à-peu la masse que vous aurez formée. Retirez ensuite votre vaisseau, laissez-le refroidir en plein air, l’huile alkaline se resoudra de rechef ; remettez la masse sur le feu une seconde fois, retirez une seconde fois le vaisseau, & réitérez la liquéfaction ; continuez de la même maniere une troisieme fois, desséchant & liquéfiant alternativement, & vous parviendrez finalement à détruire la ténacité de la gomme, & à la mettre en une liqueur d’une belle couleur purpurine. Faites sécher de rechef, & tirez la masse seche hors du vaisseau ; cette masse ainsi préparée & pulvérisée, vous fournira la teinture avec l’alcohol.

Mettez-la dans un grand matras, versez dessus autant d’alcohol pur qu’il en faut pour qu’il surnage, fermez votre vaisseau avec du papier ; remettez-le sur votre fourneau, jusqu’à ce que y ayant demeuré deux ou trois heures, l’alcohol commence à bouillir ; vous pouvez le faire sans danger, à cause de la longueur & de l’étroitesse du col du matras. Laissez refroidir la liqueur, ôtez la teinture claire, en inclinant doucement le vaisseau que vous tiendrez bien fermé : traitez le reste de la même maniere avec d’autre alcohol, & continuez jusqu’à ce que la matiere soit épuisée, & ne teigne plus l’alcohol.

C’est par ce beau procédé qu’on peut tirer d’excellentes teintures de la myrrhe, de l’ambre, de la gomme de genievre & autres, dont l’efficacité dépendra des vertus résidentes dans les substances d’où on les tirera, & dans l’esprit qui y sera secretement logé.

Ce même procédé nous apprend 1°. qu’un alkali à l’aide de l’air & d’une chaleur digestive, est capable d’ouvrir un corps dense, & de le disposer à communiquer ses vertus à l’alcohol ; 2°. que l’action de la désiccation sur le feu & de la liquéfaction à l’air, faites alternativement, agit sur les particules les plus insensibles du corps dense, sans toutefois qu’en poussant ce procédé aussi loin qu’il est possible, on parvienne jamais à les dissoudre toutes. (D. J.)

Lacque artificielle, (Arts.) substance colorée qu’on tire des fleurs, soit en les faisant cuire à