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Lorsqu’il est question de ferrer le lacet, l’ouvrier prend une grosse de lacets, qu’il attache sur une petite table garnie d’une enclume, Pl. III. fig. 10. le tout pareil à la table qui sert à plier les fers, & qui peut servir aussi à ce double travail. Il prend l’un des lacets, qu’il tient de la main gauche ; il prend de l’autre main un fer plié, dans lequel il fait entrer le bout du lacet. Il applique l’un avec l’autre sur l’une des cannelures de l’enclume. Il frappe un premier coup pour adapter le fer au lacet ; puis tournant le bout du lacet avec ce fer, il arrondit & assujettit le fer au lacet, en donnant quelques coups avec le marteau.

A onze ou douze ans les jeunes gens sont assez forts pour tourner le métier à lacet, & les enfans de huit ans peuvent plier le fer-blanc & l’appliquer aux lacets. Un ouvrier dans la force de l’âge, ou ce que l’on appelle un bon ouvrier, fait par jour ses dix grosses de lacets d’une aune de long, mais un petit apprentif, ou un foible ouvrier, n’en fait que huit. Un seul homme en un jour coupe assez de fer blanc pour la garniture de 80 grosses de lacets.

Mémoire sur la fabrique des lacets. Ire Question : Combien se vend le fil, & de quelle qualité on l’emploie pour les lacets. Réponse. On distingue trois sortes de fil ; le fil fin, le fil de plain & le fil d’étoupes. Le fil fin est celui qui provient du meilleur chanvre, improprement appellé femelle, que l’on recueille le premier ; mais on n’emploie point ce fil pour les lacets. Le fil de plain, qui provient du chanvre qui porte le chénevi, & que néanmoins on nomme le mâle, apparemment parce que c’est le plus fort, sert à la fabrique des meilleurs lacets : il coûte ordinairement quinze sols la livre. Le fil d’étoupes, qui est fait des matieres grossieres qui restent après que le frotteur a tiré la meilleure filasse, tant du chanvre femelle que du mâle, s’emploie pour la fabrique des lacets de couleur, & coûte communément neuf sols la livre.

II. Si les fabriquans achetent le chanvre pour le faire frotter & filer, ou s’ils achetent le fil tout fait, & s’ils le font blanchir ou teindre Rép. Ils achetent le fil tout fait, & ils font toujours blanchit le fil de plain, qui ne s’emploie jamais qu’en blanc pour faire les meilleurs lacets. Le fil d’étoupes ne sert jamais qu’à faire des lacets de couleur : on n’en fait blanchir qu’environ la sixieme partie, pour faire un mélange de couleurs dont il sera parlé ci-après, & on teint tout le reste, mais la moindre partie en rouge avec le bois du Brésil & l’alun, & le surplus en bleu avec le bois d’Inde & le verd-de gris.

III. Si les fabriquans font eux-mêmes le blanchissage & la teinture du fil. Rép. Les fabriquans teignent le fil par eux-mêmes, mais ils font faire tous leurs blanchissages au village de Marmagne, à une petite demi-lieue de Montbard. où il y a une blanchisserie renommée.

IV. Ce qu’il en coûte pour le blanchissage & pour la teinture du fil. Rép. Il en coûte un sol de blanchissage par écheveau de fil, & chaque écheveau pese communément une demi-livre. La teinture en rouge coûte deux sols six deniers par livre de fil ; & en bleu, un sol six deniers, outre la peine, que l’on ne compte pour rien, attendu que les petits fabriquans qui n’ont pas de fonds pour leur commerce, peuvent teindre le fil à mesure qu’ils l’achetent, & en toute saison, au lieu qu’il n’y a qu’une saison propre pour le blanchissage, qui exige beaucoup plus de tems. Il ne faut que 24 heures pour teindre, mais pour blanchir il faut six semaines au printems, & jusqu’à trois mois dans l’automne ; ce qui fait que les petits fabriquans sont souvent obligés, par cette seule raison, de faire des lacets de

couleur, quoique moins lucratifs & moins de défaite que les blancs. Il résulte que, tout considéré, la livre de fil, soit à blanchir, soit à teindre, coûte deux sols.

V. Ce qu’il en coûte pour devider une livre de fil. Rép. On paie aux dévideurs trois deniers par chaque écheveau de fil, ce qui fait six deniers par livre ; les deux écheveaux pesent une livre environ.

VI. De combien de longueurs différentes se font les lacets. Rép. On en fabrique de cinq longueurs ; d’une demi-aune, de trois quarts, d’une aune, d’une aune & demie & de trois aunes, qui est la plus grande longueur qu’on puisse leur donner ici. On en fait d’un seul tirage une douzaine de ceux de trois aunes, deux douzaines de ceux d’une aune & demie, trois douzaines de ceux d’une aune, quatre douzaines de ceux de trois quarts, & six douzaines de ceux d’une demi-aune.

VII. De combien de fils chaque lacet est composé, & combien il faut de lacets pour faire une grosse. Rép. La grosse de lacets est composée de douze douzaines, ou de 144 lacets : ceux de fil plain doivent être garnis de neuf fils, & ceux d’étoupes de six fils seulement.

VIII. Combien il entre de fil pesant dans une grosse de lacets de chaque qualité. Rép. Une grosse de lacets de fil de plain d’une aune de long, consomme dix onces de fil, & il en faut onze onces pour ceux de fil d’étoupes.

IX. Quelle matiere emploie-t-on pour garnir le bout des lacets, & combien cette matiere coûte-t-elle à couper pour la garniture d’une grosse de lacets. Rep. On se sert de fer-blanc pour garnir le bout des lacets, & un seul homme coupe en un jour de quoi faire la garniture de 80 grosses ; de sorte que, en payant sa journée quatorze sols, il en coûte deux deniers par grosse.

X. Ce qu’il en coûte pour le fer blanc de la garniture d’une grosse de lacets. Rép. La grosse de lacets d’une aune de long & au-dessus, qui doivent avoir à chaque bout une garniture de fer-blanc de huit lignes de longueur, coûte deux sols pour le prix du fer-blanc qui y entre. La grosse de lacets de trois quarts d’aune, qui doivent être garnis de cinq lignes de fer blanc, coûte un sol six deniers ; & la grosse de lacets d’une demi-aune, dont la garniture ne doit être que de trois lignes, un sol.

XI. D’où se tire le fer-blanc qui s’emploie à Montbard pour la fabrique des lacets. Rép. Le fer blanc se tire de Lorraine, & il coûte, rendu à Montbard, six sols une feuille de grandeur suffisante pour la garniture de trois grosses de lacets d’une aune de long. Mais il est un moyen de faire une épargne sur cette matiere, en se servant des retailles des Lanterniers. Quelques colporteurs qui viennent prendre ici des lacets, apportent de Lyon des rognures de fer-blanc, qui coûtent, rendues ici, neuf sols la livre, & qui fournissent de quoi garnir six grosses de lacets d’une aune de long ; par ce moyen il y a six deniers à gagner par grosses. Mais quoique ces retailles soient d’une forme avantageuse à la fabrique, puisque ce sont des lisieres coupées quarrément, cependant ce fer blanc étant plus épais & plus dur que celui de Lorraine, il faut plus de tems & de peine pour le couper, le plier & l’appliquer. Il y a encore un meilleur expédient pour tirer à l’épargne, c’est de prendre les retailles des Lanterniers de Paris, qui ne coûtent que trois sols la livre, & huit deniers de transport. Il est vrai que ces retailles étant de formes irrégulieres, il faut beaucoup plus de tems pour les couper ; mais ce fer-blanc étant de bonne qualité, & y ayant beaucoup de petits fabriquans qui ne craignent pas de perdre en tems ce qu’ils gagnent en argent, la