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célébroit dans la saison où les maladies regnent davantage.

On y disputoit comme aux jeux olympiques les prix de la lutte, de la course, du saut, du disque & du javelot. Il paroît par un passage de Plutarque, & par un autre de l’empereur Julien, que les combats de musique & de poësie y furent encore admis.

Le concours de peuple étoit si grand à ces jeux, qu’il n’y avoit que les principaux membres des villes de la Grece, qui pussent y être placés. Quoiqu’Athenes y tînt le premier rang, elle ne pouvoit occuper d’espace qu’autant que la voile du navire qu’elle envoyoit à l’isthme, en pouvoit couvrir.

Les Eléens étoient les seuls de tous les Grecs qui ne se trouvoient point aux jeux isthmiques, pour éviter les malheurs des imprécations que Molione femme d’Actor avoit faites contre tous ceux de l’Elide qui oseroient jamais y assister.

Mais les Romains qui y furent reçus après leurs victoires, éleverent la magnificence de ces jeux au plus haut degré de splendeur. Alors outre les exercices ordinaires du pentathle, de la musique, & de la poësie, on y donnoit le spectacle de la chasse, dans laquelle on faisoit paroître les animaux les plus rares, qu’on y conduisoit à grands frais de toutes les parties du monde connu. Enfin, ce qui augmenta le lustre de ces jeux, c’est qu’ils servirent d’époque aux Corinthiens, & aux habitans de l’isthme.

Au milieu de cette pompe qui attiroit une si prodigieuse multitude de spectateurs & de combattans, quels prix, me direz-vous, quelle récompense recevoient donc les vainqueurs ? Une simple couronne d’abord de feuille de pin, ensuite de persil, selon Archias & le scoliaste de Pindare, mais selon la plus commune opinion & celle de Pindare lui-même, d’ache seche de marais, parce que cette herbe aquatique étoit consacrée à Neptune, & que de plus on s’en servoit dans les funérailles. Or les jeux isthmiques n’étoient dans leur institution qu’une cérémonie funebre ; leur éclat se ternit quand les Romains joignirent les plus riches présens à cette couronne d’honneur.

Cependant ces jeux furent toujours réputés si sacrés dans l’esprit des peuples, qu’on n’osa pas les discontinuer quand Mummius eut pris Corinthe, 144 ans avant l’ere chrétienne. Le sénat de Rome se contenta d’ôter aux Corinthiens le droit qu’ils avoient d’en être les juges : mais dès que leur ville fut rétablie dans ses prérogatives, ils rentrerent dans leur ancienne possession.

Ce fut peu de tems après cet évenement, & dans la célébration des jeux isthmiques, que les Romains portant au plus loin leur générosité, dirai-je mieux, leur sage politique, rendirent authentiquement la liberté à toute la Grece. Voici de quelle maniere ce fait à jamais mémorable est rapporté dans Tite-Live.

Il étoit venu, dit-il, aux jeux de l’isthme, une multitude innombrable de peuples, soit par la passion naturelle que les Grecs ont pour ce spectacle où l’on propose toutes sortes de combats d’adresse, de force & d’agilité, soit à cause de la situation du lieu qui est placé entre deux mers, ce qui fait qu’on peut aisément s’y rendre de toutes parts.

Les Romains ayant pris leur place dans l’assemblée, le héraut accompagné d’un trompette selon la coutume, s’avance au milieu de l’arene, & ayant fait faire silence à son de trompe, prononce ces mots à haute voix : « Le sénat, le peuple romain, & le général Titus Quintius Flaminius, après avoir vaincu le roi de Macédoine, déclarent qu’à l’avenir les Corinthiens, les Phocéens, les Lo-

criens, l’île d’Eubée, les Magnésiens, les Thessaliens, les Perrhébiens, les Achéens, les Phthiotes,

& tous les peuples ci-devant soumis à la domination de Philippe, jouiront des-à-présent de leur liberté, de leurs immunités, de leurs privileges, & se gouverneront suivant leurs loix ».

Cette proclamation causa un ravissement de joie que toute la multitude d’hommes qui se trouvoient présens, ne put contenir. Ils doutent s’ils ont bien entendu ; pleins d’étonnement ils se regardent les uns les autres, & prennent pour un songe ce qui se passe à leurs yeux ; ils n’osent s’en fier à leurs oreilles.

On redemande, on fait paroître le héraut une seconde fois ; tous se pressent, non-seulement pour entendre, mais encore pour voir le proclamateur de leur liberté. Le héraut répete la même formule : alors on se livre aux transports d’allégresse avec toute assurance, & les acclamations furent si grandes, & tant de fois réitérées, qu’il fut aisé de reconnoître qu’au jugement de l’univers la liberté est le plus précieux de tous les biens. On célébra les jeux à la hâte, car ni les esprits ni les yeux de personne ne furent attentifs au spectacle, tant la joie qu’on ressentoit, avoit ôté le goût de tous les autres plaisirs. Ce grand évenement arriva 194 ans avant J. C.

Au bout de 260 ans on sait que Néron renouvella la même protestation, & dans la même assemblée. Il fut le propre héraut de la grace qu’il accordoit. Il fit plus : il donna le droit de bourgeoisie romaine aux juges des jeux Isthmiques, & les combla de ses présens.

Cependant les peuples de la Grece accablés du joug de Rome, & des malheurs qu’ils éprouvoient depuis plus d’un siecle, n’espérant plus de retour de leurs beaux jours, ne sentirent aucun des transports de joie qui les avoit saisis du tems de Flaminius, & comptant encore moins sur les faveurs d’un Néron, ils ne répondirent à ses promesses que par de foibles acclamations.

Leurs conjectures ne furent point fausses, les préteurs d’Achaïe continuerent à les accabler ; insensiblement tous leurs jeux perdirent leur éclat, & ceux de l’isthme vinrent à cesser entierement sous l’empire d’Hadrien, c’est-à-dire vers l’an 130 de l’ere chrétienne.

Il ne resta dans le monde, pour en perpétuer le souvenir, que les belles odes de Pindare, à la louange des vainqueurs, auxquels il a fait un présent plus considérable que s’il leur eût élevé cent statues, centum potiore signis munere donavit.

Ces odes ont passé jusqu’à nous, & leur quatrieme livre est intitulé les isthmiques. (D. J.)

ISTHMION, s. f. (Littérat. greq.) isthmion, espece d’ornement qui ceignoit & couronnoit la tête des femmes chez les anciens Grecs, comme il paroît par quelques médailles. (D. J.)

ISTRIE, l’(Géog.) presqu’île d’Italie dans l’état de Venise, entre le golfe de Trieste & le golfe de Quarner. Les Colques y fonderent autrefois le fameux port de Pola, si connu depuis chez les Romains sous le nom de Julia pietas ; & d’autres colonies greques qui s’y etablirent, y porterent le culte d’Isis.

L’air y est mal-sain, & le pays dépeuplé ; la plus grande partie de l’Istrie est aux Vénitiens ; la maison d’Autriche y possede seulement la principauté & le port de Trieste : il ne faut pas dire avec Magin, que l’Istrie répond à la Japidie des anciens, cela n’est vrai que d’une partie de l’Istrie & de la Japidie.

Capo d’Istria est la capitale de cette contrée. Voyez Capo-d’Istria. J’ajouterai qu’elle est sur une petite île nommée. Ægida par les anciens, & que le P. Coronelli met à 36. 36. de long. & à 45.