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bat singulier, dit que l’un des combattans tomba, rit, & mourut. Le roi Regner Lodbrog, prêt à mourir de ses blessures s’écrie, nous nous sommes détruits à coups d’épées ; mais je suis plein de joie en pensant que le festin se prépare dans le palais d’Odin. Nous boirons de la biere dans les crânes de nos ennemis : un homme brave ne redoute point la mort ; je ne prononcerai point des paroles d’effroi en entrant dans la salle d’Odin. Enfin, l’histoire de ces peuples est remplie de traits qui prouvent le mépris de la vie & une joie sincere aux approches de la mort ; au contraire ils se lamentoient dans les maladies, par la crainte d’une fin honteuse & misérable ; & souvent les malades se faisoient porter dans la mêlée pour y mourir d’une façon plus glorieuse, & les armes à la main.

Il n’est point surprenant que la religion d’une nation si intrépide fût barbare & sanguinaire. L’histoire nous apprend que les peuples du Danemarck s’assembloient tous les neuf ans au mois de Janvier en Sélande dans un endroit appellé Lethra : là ils immoloient aux dieux 99 hommes, & autant de chevaux, de chiens, & de coqs. Les prêtres de ces dieux inhumains, issus d’une famille qu’on appelloit la race de Bor, étoient chargés d’immoler les victimes. Dans un tems de calamité les Suédois sacrifierent un de leurs rois, comme le plus haut prix dont ils pussent rachetter la faveur du ciel.

Ces peuples avoient leurs oracles, leurs devins, & leurs magiciens, qu’ils consultoient dans de certaines occasions. Odin étoit regardé comme le pere de la Magie & l’inventeur des caracteres runiques. Voyez Runiques.

Chez un peuple si intrépide le gouvernement absolu étoit ignoré, l’on y étoit fortement attaché à la liberté qui a toûjours été le partage des pays du Nord, tandis que l’asservissement a été celui des peuples énervés du Midi. Les nations du Nord avoient des lois dont plusieurs sont parvenues jusqu’à nous ; elles étoient très-séveres contre ceux qui fuyoient dans les combats ; ils étoient déclarés infâmes, exclus de la société, & même étouffés dans un bourbier.

Leurs idées de la justice étoient conformes aux maximes que l’on a vûes, & ils croyoient que les dieux se rangent du côté des plus forts. Une de leurs lois portoit, on décidera par le fer les démêlés, car il est plus beau de se servir de son bras que d’invectives dans les différends. Fondés sur cette maxime, ils se battoient dans toutes les occasions où nous plaidons actuellement : il paroît que c’est de ces peuples qu’est venu l’usage du combat judiciaire. C’étoit aussi d’après ces principes, qu’ils alloient faire des incursions & des pirateries chez tous leurs voisins : à la faveur de ces irruptions ils ont conquis plusieurs royaumes, & pillé un grand nombre de provinces. La piraterie étoit une ressource nécessaire à des hommes qui avoient un profond mépris pour les Arts & pour l’Agriculture.

Les peuples du Nord, malgré leur ardeur guerriere & la rigueur de leur climat, n’étoient point insensibles à l’amour ; ils avoient une très-grande vénération pour les femmes ; ils ne se marioient que tard, parce qu’ils ne vouloient épouser leurs maîtresses qu’après les avoir méritées. Une beauté norwégienne refusa de partager le lit d’un monarque, avant qu’il eût terminé une expédition périlleuse qu’il avoit commencée.

Le roi Regner Lodbrog essuya de semblables refus d’une simple bergere à qui il avoit présenté ses vœux & sa couronne. Aslanga, c’étoit le nom de la bergere, ne se rendit à ses desirs, qu’après qu’il fut revenu victorieux de son entreprise. Les femmes de ces guerriers méritoient bien d’être acquises à un très-haut prix ; elles excitoient les hom-

mes aux grandes choses, & elles étoient renommées

par leur chasteté & leur fidélité. Suivant Tacite, chez elles on ne rioit point des vices, & l’on ne se justifioit point de ses intrigues amoureuses, sous prétexte de la mode. Voyez l’Introduction à l’histoire de Danemarck, par M. Mallet. (—)

ISLE, s. f. (Géog. & Phys.) étendue de terre environnée d’eau.

Il est probable que plusieurs des îles que nous connoissons, ont été séparées du continent par quelque tremblement de terre. On connoît les vers de Virgile sur la Sicile : on peut voir aussi la dissertation de M. Desmarest sur l’ancienne jonction de l’Angleterre au continent. Voyez Terre, Mer, Terraqué, Géographie, &c.

Les îles nouvelles, dit M. de Buffon, dans son histoire naturelle, se forment de deux façons, ou subitement par l’action des feux souterrains ou lentement par le dépôt du limon des eaux. Nous parlerons d’abord de celles qui doivent leur origine à la premiere de ces deux causes. Les anciens historiens & les voyageurs modernes, rapportent à ce sujet des faits, de la vérité desquels on ne peut guere douter. Séneque assûre que de son tems l’île de Thérasie, aujourd’hui Santorin, parut tout-d’un-coup à la vûe des mariniers. Pline rapporte qu’autrefois il y eut treize îles dans la mer Méditerranée qui sortirent en même tems du fond des eaux, & que Rhodes & Délos sont les principales de ces treize îles nouvelles ; mais il paroît par ce qu’il en dit, & par ce qu’en disent aussi Ammian Marcellin, Philon, &c. que ces treize îles n’ont pas été produites par un tremblement de terre, ni par une explosion souterraine. Elles étoient auparavant cachées sous les eaux, & la mer en s’abaissant a laissé, disent-ils, ces îles à découvert ; Délos avoit même le nom de Pelagia, comme ayant autrefois appartenu à la mer. Nous ne savons donc pas si l’on doit attribuer l’origine de ces treize îles nouvelles à l’action des feux soûterrains, ou à quelqu’autre cause, qui auroit produit un abaissement & une diminution des eaux dans la mer Méditerranée ; mais Pline rapporte que l’île d’Hiera, près de Thérasie, a été formée de masses ferrugineuses & de terres lancées du fond de la mer ; & dans le chap. lxxxix. il parle de plusieurs autres îles formées de la même façon ; nous avons sur tout cela des faits plus certains & plus nouveaux.

Le 23 Mai 1707, au lever du soleil, on vit de cette même île de Thérasie ou de Santorin, à deux ou trois milles en mer, comme un rocher flottant ; quelques gens curieux y allerent & trouverent que cet écueil, qui étoit sorti du fond de la mer, augmentoit sous leurs piés ; & ils en rapporterent de la pierre-ponce & des huîtres que le rocher qui s’étoit élevé du fond de la mer, tenoit encore attachées à sa surface. Il y avoit eu un petit tremblement de terre à Santorin deux jours auparavant la naissance de cet écueil : cette nouvelle île augmenta considérablement jusqu’au 14 Juin sans accident, & elle avoit alors un demi mille de tour, & 20 à 30 piés de hauteur. La terre étoit blanche & tenoit un peu de l’argile ; mais après cela la mer se troubla de plus en plus ; il s’en éleva des vapeurs qui infectoient l’île de Santorin, & le 16 Juillet on vit 17 ou 18 rochers sortir à-la-fois du fond de la mer, ils se réunirent. Tout cela se fit avec un bruit affreux qui continua plus de deux mois, & des flammes qui s’élevoient de la nouvelle île ; elle augmentoit toûjours en circuit & en hauteur, & les explosions lançoient toûjours des rochers & des pierres à plus de sept milles de distance. L’île de Santorin elle-même, a passé chez les anciens pour une production nouvelle ; & en 726, 1427, & 1573, elle a reçu des ac-