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au culte d’Isis. Il est persuadé que l’ouvrier a désigné le culte rendu aux animaux, qui étoit si peu connu des étrangers, par la posture la plus remarquable d’adoration, tandis qu’il n’a marqué que par des actes d’offrandes & de sacrifices le culte que les Egyptiens rendoient à leurs grands dieux héroïques, & qui n’étoit pas différent de celui des Romains. En un mot, il regarde la table isiaque comme le plus moderne des monumens égyptiens ; ce qu’il croit qu’on peut justifier par le mélange que l’on y trouve de toutes les especes de caracteres hiéroglyphiques.

Mais si l’on ne peut fixer l’antiquité de ce monument, on peut encore moins l’expliquer. J’ose ajoûter que c’est une folie de l’entreprendre ; nous n’avons point la clé de l’écriture symbolique des Egyptiens, ni de celle des premiers tems, ni de celle des tems postérieurs. Cette écriture qui changea mille fois, varioit le sens des choses à l’infini par la seule position du symbole, l’addition ou la suppression d’une piece de la figure symbolique. Quand l’écriture épistolique prit le dessus par sa commodité, la symbolique se vit entierement négligée. La difficulté de l’entendre, qui étoit très-grande, lorsqu’on n’avoit point d’autre écriture, augmenta bien autrement, quand on ne prit pas soin de l’étudier ; & cette difficulté même acheva d’en rendre l’étude extrêmement rare. Enfin les figures symboliques & hiéroglyphiques, qu’on trouvoit sur les tables sacrées, sur les grands vases, sur les obélisques, sur les tombeaux, devinrent des énigmes inexpliquables. Les prêtres & les savans d’Egypte ne savoient plus les lire ; & comment nous imaginerions-nous aujourd’hui en être capables ? ce seroit le comble du ridicule.

Le P. Montfaucon a bien pu hasarder de donner l’explication de cinq ou six grandes figures de la table isiaque, parce que nous connoissons encore par les écrits des Grecs & des Romains la signification de plusieurs symboles & attributs de la déesse Isis, d’Osiris & d’Horus ; mais ces foibles lumieres ne nous servent de rien pour nous procurer l’intelligence du monument dont nous parlons, ni même d’une partie de ce monument. Nos recherche, se perdent dans le nombre & la variété des objets figurés, sans qu’il y en ait aucun qui découvre à nos yeux le but général qu’on s’est proposé.

Nous ririons de Pignorius, s’il nous eût offert ses explications mensæ isiacæ, imprimées en 1669, sous un autre nom que sous celui de légeres conjectures ; & quant aux travaux du P. Kircher sur cette matiere, ils excitent notre compassion. Ce savant jésuite ne sait qu’imaginer ce qu’il ignore, & dont il lui étoit impossible d’avoir connoissance ; il a substitué ses visions à la place des trésors perdus de l’antiquité. (D. J.)

ISIES ou ISIENNES, s. f. (Littérat.) Isia, Εἴσια. Fêtes d’Isis, qui s’introduisirent dans Rome avec celles des autres divinités étrangeres. Elles dégénérerent dans de si grands abus, que la république fut obligée de les défendre & d’abattre les temples d’Isis, sous le consulat de Pison & de Gabinius. Mais Auguste les fit rétablir, & les mysteres de la déesse devinrent de nouveau ceux de la galanterie, de l’amour & de la débauche. Les temples d’Isis se virent consacrés, comme auparavant, à ces rendez-vous de plaisirs, qui causoient tant d’impatience aux dames romaines, pour s’y trouver de bonne-heure avec la parure de la tête, & la composition du visage nécessaire ; ce qui fait dire à Juvénal, apud isiacæ potius sacraria lenæ. L’empereur Commode mit le comble au crédit des mysteres d’Isis sous son regne ; nulle fête ne fut célébrée avec plus de pompe & de magnificence : il se joignit lui-même aux

prêtres de la déesse, & y parut tête rase, portant Anubis en procession. (D. J.)

ISIGNI, (Géog.) Isiniacum, gros bourg de France dans la basse Normandie, à six lieues de Bayeux, avec un petit port & un siége de l’Amirauté. Il est fort connu dans la province, à cause de ses salines, des salaisons de son beure, & du cas que l’on fait de son cidre. Long. 16. 35. lat. 49. 20. (D. J.)

ISJO ou IXO, (Géog.) royaume du Japon dans l’île Niphon. Il a le royaume d’Oméa à l’O. celui de Voari à l’E. & celui d’Inga au S. Le chef de la seconde Dynastie y a un temple qui est le plus ancien de l’empire, & le terme d’un fameux pélerinage. (D. J.)

ISIS, s. f. (Mythol. & Litt.) nom propre d’une divinité des Egyptiens, & dont le culte a été adopté par presque tous les peuples de l’antiquité payenne. Il en est peu dont il nous reste autant de monumens, & sur laquelle les savans de tous les âges ayent plus exercé leur imagination. Plutarque a fait un livre d’Isis & d’Osiris ; mais on ne peut que s’étonner que la fureur des étymologies ne se soit pas étendue sur le nom d’une divinité célebre ; ces recherches souvent plus curieuses que d’autres sur lesquelles quelques savans se sont exercés, n’auroient cependant pas laissé de répandre un certain jour sur la nature de cette divinité, & par-là même sur le culte fastueux & presque universel qui lui étoit rendu.

Une ancienne racine arabe iscia, signifie exister invariablement, avoir une existence propre, fixe, & durable : de-là οὐσία des Grecs, essentia, ἐξουσία potestas, facultas ; & chez les Latins, ces anciens mots du siecle d’Ennius, incorporés par nos Grammairiens modernes dans le verbe auxiliaire sum, es, est, estis, esse ; on est bien convaincu aujourd’hui que les langues phéniciennes & égyptiennes étoient des dialectes de l’ancienne langue de l’Isiemen, d’où l’on peut conclure sans trop hasarder, que le mot Isis est un dérivé d’iscia, & marquoit dans son origine l’essence propre des choses, la nature, ce qui pour le dire en passant, justifieroit cet ancien culte dans son origine, & le rapprocheroit assez des idées des plus sages philosophes.

Je ne ferai qu’indiquer ici d’autres étymologies propres à répandre du jour sur cette matiere. Iza racine syriaque signifie se taire avec soin, garder un silence religieux, & l’on sait jusqu’à quel point il devoit s’observer dans les mysteres d’Isis ; isciaz, chaldaïque, le fondement, une base solide ; isch, en hébreu, un homme par excellence ; son féminin, ischa, une femme, & chez les Arabes & Phéniciens ischitz, Isis ; enfin celle qui seroit peut-être la plus vraisemblable, l’ancien mot esch, isch, le feu, le soleil, qui a dû être le premier objet de l’admiration religieuse des humains, & par-là même de leur culte.

Les Egyptiens ont toujours passé pour avoir poussé l’idolatrie beaucoup plus loin qu’aucun autre peuple, & avoir élevé des autels aux plantes & aux animaux qui en méritent le moins ; cependant leur mythologie paroît assez simple & naturelle dans son origine : ils admettoient deux principes, l’un bon, l’autre mauvais, du principe du bien venoit la génération ; de celui du mal, procédoit la corruption de toutes choses ; le bon principe excelloit par-dessus le mauvais, il étoit plus puissant que lui, mais non pas jusqu’à le détruire, & empêcher ses opérations. Ils reconnoissoient trois choses dans le bon principe, dont l’une avoit la qualité & faisoit l’office de pere, l’autre de mere, & la troisieme de fils ; le pere étoit Osiris, la mere Isis, & le fils Orus ; le mauvais principe s’appelloit Typhhon. Plus une doctrine s’éloigne de son principe, plus elle dégénere, chacun veut y mettre du sien ; des idées res-