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Entre deux joueurs dont l’un ne risque qu’un argent qu’il peut perdre sans s’incommoder, & l’autre un argent dont il ne sçauroit manquer sans être privé des besoins essentiels de la vie, à proprement parler, le jeu n’est pas égal.

Une conséquence naturelle de ce principe, c’est qu’il n’est pas permis à un souverain de jouer un jeu ruineux contre un de ses sujets. Quel que soit l’évenement, il n’est rien pour l’un ; il précipite l’autre dans la misere.

On a demandé pourquoi les dettes contractées au jeu se payoient si rigoureusement dans le monde, où l’on ne se fait pas un scrupule de négliger des créances beaucoup plus sacrées. On peut répondre, c’est qu’au jeu on a compté sur la parole d’un homme, dans un cas où l’on ne pouvoit employer les lois contre lui. On lui a donné une marque de confiance à laquelle il faut qu’il réponde. Au lieu que dans les autres circonstances où il a pris des engagemens, on le force par l’autorité des tribunaux à y satisfaire.

Les jeux de hasard sont soumis à une analyse qui est tout à fait du ressort des Mathématiques. Ou la probabilité de l’évenement est égale entre les joueurs ; ou si elle est inégale, elle peut toujours se compenser par l’inégalité des mises ou enjeux. On peut à chaque instant demander quelle est la prétention d’un joueur ; & comme sa prétention à la somme des mises est en raison des coups qu’il a pour lui, le calcul déterminera toujours, ou rigoureusement, ou par approximation, quelle seroit la partie de cette somme qui lui reviendroit, si le jeu ne s’instituoit pas, ou si le jeu étant une fois institué, on vouloit l’interrompre.

Plusieurs Auteurs se sont exercés sur l’analyse des jeux ; on en a un traité élémentaire de Huygens ; on en a un plus profond de Moivre ; on a des morceaux très-sçavans de Bernoulli sur cette matiere. Il y a une analyse des jeux de hasard par Montmaur, qui n’est pas sans mérite.

Voici les principes fondamentaux de cette science. Soit p le nombre des cas où une chose arrive ; soit q le nombre des cas où elle n’arrive pas. Si la probabilité de l’évenement est égale dans chaque cas, l’apparence que la chose sera est à l’apparence qu’elle ne sera pas, comme p est à q.

Si deux joueurs A & B jouent à condition que si les cas p arrivent, A gagnera ; que ce sera B au contraire qui gagnera, si ce sont les cas q qui arrivent, & que la mise des deux joueurs soit a ; l’espérance de A sera , & l’espérance de B sera . Ainsi, si A & B vendent leurs espérances, ils en peuvent exiger l’un la valeur , l’autre la valeur .

S’il y a deux évenemens indépendans, & que p soit le nombre des cas où l’un de ces évenemens peut avoir lieu ; q le nombre des cas où le même évenement peut ne pas arriver ; r le nombre des cas où le second évenement peut avoir lieu ; s le nombre des cas où le second évenement peut ne pas arriver ; multipliez p + q par r + s ; le produit pr + qr + ps + qs sera le nombre de tous les cas possibles de la chose, ou la somme des évenemens pour & contre.

Donc si A gage contre B que l’un & l’autre évenemens auront lieu, le rapport des hasards sera comme pr à qr + ps + qs.

S’il gage que le premier évenement aura lieu & que le second n’aura pas lieu, le rapport des chances ou hasards sera comme ps à pr + qr + qs. Et s’il y a trois ou un plus grand nombre d’évenemens,

la raison des chances ou hasards se trouvera toujours par la multiplication.

Si tous les évenemens ont un nombre donné de cas où ils peuvent arriver, & un nombre donné de cas où ils peuvent ne pas arriver ; & que a soit le nombre des cas où ils peuvent arriver ; b le nombre des cas où ils peuvent ne pas arriver ; & n le nombre de tous les cas : élevez à la puissance n.

Maintenant si A & B conviennent que si un de ces évenemens indépendans, ou un plus grand nombre de ces évenemens a lieu, A gagnera ; & que si aucun de ces évenemens n’a lieu, le gagnant sera B : la raison ou le rapport des hasards qu’ils courent, ou celui de leurs chances relatives, sera comme à ; car est le seul terme où a ne se trouve point.

Si A & B jouent avec un seul dé, à la condition que si A amene deux fois ou plus de deux fois As, en huit coups, il gagnera ; & qu’en toute autre supposition ou cas, il perdra. On demande le rapport de leurs chances ou hasards.

Puisqu’il n’y a qu’un cas à chaque coup pour amener un As, & cinq cas pour ne le pas amener ; soit a = 1 & b = 5 ; d’ailleurs puisqu’il y a huit coups à jouer, soit n = 8. On aura donc , pour la chance d’un des joueurs, & pour la chance de l’autre ; ou l’espérance de A à l’espérance de B comme 663991 à 1015625 ; ou à peu près comme 2 à 3.

A & B sont engagés au jeu de palets ; il ne manque à A que quatre coups pour avoir gagné ; il en manque six à B ; mais à chaque coup l’adresse de B est à l’adresse de A comme 3 est à 2. On demande le rapport de leurs chances, hasards ou espérances. Puisqu’il ne manque à A que quatre coups, & qu’il n’en manque à B que six, le jeu sera fini dans neuf coups au plus. Ainsi élevez a + b à la neuvieme puissance, & vous aurez  ; & prenez pour A tous les termes où a a quatre ou un plus grand nombre de dimensions ; & pour B tous ceux où b en a six ou davantage ; & tout le rapport de leurs hasards, comme est à  ; & soit a = 3 & b = 2 ; & vous aurez en nombre les espérances des joueurs, comme 1759077 à 194048.

A & B jouent au palet ; mais A est le plus fort, ensorte qu’il peut faire à B l’avantage de deux coups sur trois. On demande le rapport de leurs chances dans un seul coup. Supposons que ce rapport soit comme z à 1, élevez z + 1 à la troisieme puissance, & vous aurez . Maintenant A pouvant faire à B l’avantage de deux coups sur trois, A se propose de gagner trois coups de suite, & conséquemment à cette condition sa chance sera comme à , & . Ou . Et &  : donc les chances sont comme à 1.

Trouver en combien de coups il est probable qu’un évenement quelconque aura lieu ; ensorte que A & B puissent gager pour ou contre à jeu égal. Soit le nombre des cas où la chose peut arriver du premier coup = a ; soit le nombre des cas où la chose peut ne pas arriver du premier coup = b ; & x le nombre des coups à jouer, tel que l’apparence que la chose arrivera soit égale à l’apparence qu’elle n’arrivera pas. Par ce qu’on a dit plus haut, ou . Ainsi . Et reprenant l’équation , & faisant on aura