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& quel est l’homme sensé qui osât aborder le pays qu’habite l’intolérant ?

On lit dans Origene, dans Minutius-Felix, dans les peres des trois premiers siecles : la religion se persuade & ne se commande pas. L’homme doit être libre dans le choix de son culte ; le persécuteur fait haïr son Dieu ; le persécuteur calomnie sa religion. Dites-moi si c’est l’ignorance ou l’imposture qui a fait ces maximes ?

Dans un état intolérant, le prince ne seroit qu’un bourreau aux gages du prêtre. Le prince est le pere commun de ses sujets ; & son apostolat est de les rendre tous heureux.

S’il suffisoit de publier une loi pour être en droit de sévir, il n’y auroit point de tyran.

Il y a des circonstances où l’on est aussi fortement persuadé de l’erreur que de la vérité. Cela ne peut être contesté que par celui qui n’a jamais été sincerement dans l’erreur.

Si votre vérité me proscrit, mon erreur que je prends pour la vérité, vous proscrira.

Cessez d’être violens, ou cessez de reprocher la violence aux Payens & aux Musulmans.

Lorsque vous haïssez votre frere, & que vous prêchez la haine à votre prochain, est-ce l’esprit de Dieu qui vous inspire ?

Le Christ a dit : mon royaume n’est pas de ce monde ; & vous, son disciple, vous voulez tyranniser ce monde !

Il a dit, je suis doux & humble de cœur ; êtes vous doux & humble de cœur ?

Il a dit : bienheureux les débonnaires, les pacifiques, & les miséricordieux. Sondez votre conscience, & voyez si vous méritez cette bénédiction ; êtes vous débonnaire, pacifique, miséricordieux ?

Il a dit, je suis l’agneau qui a été mené à la boucherie sans se plaindre ; & vous êtes tout prêt à prendre le coûteau du boucher, & à égorger celui pour qui le sang de l’agneau a été versé.

Il a dit, si l’on vous persécute, fuyez ; & vous chassez ceux qui vous laissent dire, & qui ne demandent pas mieux que de paître doucement à côté de vous.

Il a dit : vous voudriez que je fisse tomber le feu du ciel sur vos ennemis : vous ne savez quel esprit vous anime ; & je vous le répete avec lui, intolérans, vous ne savez quel esprit vous anime.

Ecoutez S. Jean : mes petits enfans, aimez vous les uns les autres.

Saint Athanase ; s’ils persécutent, cela seul est une preuve manifeste qu’ils n’ont ni piété ni crainte de Dieu. C’est le propre de la piété, non de contraindre, mais de persuader, à l’imitation du Sauveur, qui laissoit à chacun la liberté de le suivre. Pour le diable, comme il n’a pas la vérité, il vient avec des haches & des coignées.

Saint Jean Chrisostome : Jesus-Christ demande à ses disciples s’ils veulent s’en aller aussi ; parce que ce doivent être les paroles de celui qui ne fait point de violence.

Salvien : Ces hommes sont dans l’erreur, mais ils y sont sans le savoir. Ils se trompent parmi nous, mais ils ne se trompent pas parmi eux. Ils s’estiment si bons catholiques qu’ils nous appellent hérétiques. Ce qu’ils sont à notre égard, nous le sommes au leur ; ils errent, mais à bonne intention. Quel sera leur sort à venir ? il n’y a que le grand juge qui le sache. En attendant, il les tolere.

S. Augustin Que ceux-là vous maltraitent, qui ignorent avec quelle peine on trouve la vérité, & combien il est difficile de se garantir de l’erreur. Que ceux-là vous maltraitent, qui ne sçavent pas combien il est rare & pénible de surmonter les phantomes de la chair. Que ceux-là vous maltraitent, qui ne savent pas combien il faut gémir & soupirer pour comprendre quelque chose de Dieu. Que ceux-là vous maltraitent, qui ne sont point tombés dans l’erreur.

S. Hilaire. Vous vous servez de la contrainte dans une cause où il ne faut que la raison ; vous employez la force ou il ne faut que la lumiere.

Les constitutions du pape S. Clément. Le Sauveur a laissé aux hommes l’usage de leur libre arbitre, ne les punissant pas d’une mort temporelle, mais les assignant en l’autre monde, pour y rendre compte de leurs actions.

Les peres d’un concile de Tolede. Ne faites à personne aucune sorte de violence, pour l’amener à la foi ; car Dieu fait miséricorde à qui il veut, & il endurcit qui il lui plaît.

On rempliroit des volumes de ces citations trop oubliées des chrétiens de nos jours.

S. Martin se repentit toute sa vie d’avoir communiqué avec des persécuteurs d’hérétiques.

Les hommes sages ont tous desapprouvé la violence que l’empereur Justinien fit aux Samaritains.

Les écrivains qui ont conseillé les loix pénales contre l’incrédulité, ont été détestés.

Dans ces derniers tems l’apologiste de la révocation de l’édit de Nantes, a passé pour un homme de sang, avec lequel il ne falloit pas partager le même toît.

Quelle est la voie de l’humanité ? est-ce celle du persécuteur qui frappe, ou celle du persécuté qui se plaint ?

Si un prince incrédule a un droit incontestable à l’obéissance de son sujet, un sujet mécroyant a un droit incontestable à la protection de son prince. C’est une obligation réciproque.

Si le prince dit que le sujet mécroyant est indigne de vivre, n’est-il pas à craindre que le sujet ne dise que le prince infidéle est indigne de régner ? Intolérans, hommes de sang, voyez les suites de vos principes & frémissez-en. Hommes que j’aime, quels que soient vos sentimens ; c’est pour vous que j’ai recueilli ces pensées que je vous conjure de méditer. Méditez-les, & vous abdiquerez un système atroce qui ne convient ni à la droiture de l’esprit ni à la bonté du cœur.

Opérez votre salut. Priez pour le mien, & croyez que tout ce que vous vous permettrez au-delà est d’une injustice abominable aux yeux de Dieu & des hommes.

INTOLÉRANT, s. m. (Morale.) L’intolérant ou le persécuteur, est celui qui oublie qu’un homme est son semblable, & qui le traite comme une bête cruelle, parce qu’il a une opinion différente de la sienne. La religion sert de prétexte à cette injuste tyrannie, dont l’effet est de ne pouvoir souffrir une façon de penser différente de la sienne, tandis que sa véritable source vient de l’aveuglement, de la présomption, & de la méchanceté du cœur humain. Elle est si grande cette méchanceté, que tout homme de lettres, qui cherche ici bas le repos, doit sans cesse prier Dieu de lui faire trouver grace auprès des intolérans ; ceux de cet ordre ne sont pas d’ordinaire les plus habiles, & les plus zelés ne sont pas toujours les plus gens de bien ; mais les gouverneurs des états doivent tenir pour bons sujets tous les habitans pacifiques. Un seul est notre docteur, savoir Jesus-Christ, & nous sommes tous freres, dit l’Ecriture. (D. J.)

L’intolérant doit être regardé dans tous les lieux du monde comme un homme qui sacrifie l’esprit & les préceptes de sa religion à son orgueil ; c’est le téméraire qui croit que l’arche doit être soutenue par ses mains ; c’est presque toujours un homme sans religion, & à qui il est plus facile d’avoir du zele que des mœurs. Voyez Intolérance & Tolérance.

* INTONATION, s. f. (Gram.) c’est l’action d’entonner ; faire l’intonation d’un chant, c’est le commencer & donner le ton sur lequel il doit être