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dresse maternelle ; les autres sont la crainte de la disette, ou l’avarice & la jalousie qui conduit à la vengeance.

L’avarice est une conséquence de la faim précédemment sentie : la réflexion sur ce besoin produit une prévoyance commune à tous les animaux qui sont sujets à manquer. Les carnassiers cachent & enterrent les restes de leur proie pour les retrouver au besoin. Parmi les frugivores, ceux qui sont organisés de maniere à emporter les grains qui leur servent de nourriture, sont des provisions auxquelles ils ne touchent que dans le cas de nécessité ; tels sont les rats de campagne, les mulots, &c. mais l’avarice n’est pas une passion féconde en moyens ; son exercice se borne à l’amas & à l’épargne.

La jalousie est fille de l’amour : dans les especes dont les mâles se mêlent indifféremment avec toutes les semelles, elle n’est excitée que par la disette de celles-ci : le besoin de jouir se faisant vivement sentir à tous dans le même tems, il en résulte une rivalité réciproque & générale. Cette passion aveugle fait souvent manquer son objet à ceux qu’elle tourmente. Pendant que la fureur tient les vieux cerfs attachés au combat, un daguet s’approche des biches en tremblant, jouit & s’échappe. La jalousie est plus profonde & plus raisonnée dans les especes qui s’accouplent : quels que soient les motifs sur lesquels est fondé ce choix mutuel des deux individus, il est certain qu’il se fait, & que l’idée de propriété réciproque s’établit : dès-lors la moralité est introduite dans l’amour ; les femelles même deviennent susceptibles de jalousie : cette union commencée par l’attrait, & soutenue par le plaisir, est encore resserrée par la communauté des soins qu’exige l’éducation de la famille ; mais cet objet étant rempli, l’union cesse. Le printems, en inspirant à ces animaux de nouvelles ardeurs, leur donne des goûts nouveaux : je n’oserois cependant pas décider si les tourterelles méritent ou non la réputation de constance qu’elles ont acquise ; mais si elles sont constantes, au moins est-il sûr qu’elles ne sont pas fideles. J’en ai vû plusieurs fois faire deux heureux de suite sur une même branche : peut-être leur constance ne peut-elle être assurée qu’autant qu’elles se permettent l’infidélité.

Quoi qu’il en soit, on peut dire qu’en général l’amour n’est chez les bêtes qu’un besoin passager : cette passion, avec tous ses détails, ne les occupe guere qu’un quart de l’année, ainsi elle ne peut pas élever les individus à des progrès bien sensibles. Le tems du desintéressement doit amener l’oubli de toutes les idées que l’irritation des desirs avoit fait naître. On remarque seulement que l’expérience instruit les meres sur les choses relatives au bien de leur famille ; elles profitent dans un âge plus avancé des fautes de la jeunesse & de l’imprudence. Une perdrix de trois ou quatre ans choisit pour faire son nid une place bien plus avantageuse que ne fait une jeune ; elle se place sur un lieu un peu élevé, pour n’avoir point d’inondation à craindre : elle a soin qu’il soit environné d’épines & de ronces qui en rendent l’accès difficile. Lorsqu’elle quitte son nid pour aller manger, elle ne manque pas de dérober ses œufs, en les couvrant avec des feuilles.

Si la tendresse maternelle laisse des traces profondes dans la mémoire des bêtes, c’est que son exercice dure assez long-tems, & que d’ailleurs c’est une des passions qui affectent le plus fortement ces êtres sensibles. Elle produit en eux une activité inquiete & soutenue, une assiduité pénible, & lorsque la famille est menacée, une défense courageuse qui ressemble à un abandon total de soi-même. Je dis ressembler ; car on ne s’abandonne point entierement, & dans le moment extrème le moi se fait toûjours

sentir. Une preuve de cette vérité, c’est que dans les différentes especes la témérité apparente de la mere est toûjours proportionnée aux moyens qu’elle a d’échapper au danger qu’elle paroît braver. La louve & la laie deviennent terribles, lorsqu’elles ont leurs petits à défendre : la biche vient aussi chercher le péril ; mais sa foiblesse trahit bien-tôt son courage ; & malgré sa tendre inquiétude, elle est forcée de fuir. La perdrix & la canne sauvage qui ont une ressource assûrée dans la rapidité de leurs aîles, paroissent s’exposer beaucoup plus pour la défense de leurs petits que la poule faisande : le vol pesant de celle-ci la rendroit victime d’un attachement trop courageux.

Cet amour qui paroît si généreux, produit une jalousie qui va jusqu’à la cruauté dans les especes où il est au plus haut degré. La perdrix poursuit & tue impitoyablement tous les petits de son espece qui ne sont pas de sa famille. Au contraire la poule faisande, qui abandonne plus aisément les petits qu’elle a couvés, est douée d’une sensibilité générale pour ceux de son espece ; tous ceux qui manquent de mere, ont droit de la suivre.

Qu’est-ce donc, encore une fois, que l’instinct ? Nous voyons que les bêtes sentent, comparent, jugent, réfléchissent, choisissent, & sont guidées dans toutes leurs démarches par un sentiment d’amour de soi que l’expérience rend plus ou moins éclairé. C’est avec ces facultés qu’elles exécutent les intentions de la nature, qu’elles servent à l’ornement de l’univers, & qu’elles accomplissent la volonté, inconnue pour nous, que le Créateur eut en les formant.

Instinct, (Maréchallerie & Manege.) c’est un grand point dans le manege que de connoître l’instinct, c’est-à-dire le naturel du cheval. Cette connoissance s’acquiert plûtôt en le faisant d’abord travailler dans un endroit où il est retenu, comme autour d’un pilier, qu’en l’abandonnant à lui-même avec un cavalier sous lui, & elle épargne à un écuyer beaucoup de tems & de peine.

INSTITOIRE, s. m. (action) terme de jurisprudence, est l’action qu’exerce un commis contre son maître, pour raison de ce qu’il a fait en son nom. Ce mot vient du latin institor, facteur, c’est-à-dire celui dont un marchand se sert pour l’aider dans son commerce.

INSTITOR, s. m. (Belles-Lettres.) ce mot qu’il est bon d’entendre, se trouve dans Horace, Ovide, Properce, Séneque, & Quintilien. Il signifioit deux choses : premierement, il désignoit une espece de revendeur à gages, à qui des lingers ou des tailleurs donnoient du linge & des habits à vendre dans les rues ou dans les maisons, & Séneque le prend dans ce sens ; mais institor signifioit aussi un commis, un facteur aisé, soit qu’il eût la direction d’un magasin, soit qu’il voyageât en divers pays pour le commerce ; les Poëtes prennent ordinairement ce mot dans ce dernier sens. Comme il y avoit à Rome de ces facteurs très-riches, très bien mis, très-bien nippés, on les appelloit autrement pretiosi emptores, & les courtisanes s’en accommodoient souvent mieux que des grands seigneurs. Enfin, Quintilien emploie ingénieusement le mot institor au figuré, & l’applique à l’éloquence, eloquentiæ institor. (D. J.)

* INSTITUER, v. act. (Gram.) il y a un grand nombre d’acceptions diverses. On dit Moyse a institué la circoncision, Jesus-Christ le baptême, les payens des jeux. On institue un ordre, une société, une compagnie ; on institue des charges & des officiers. Instituer, c’est aussi élever, instruire ; on institue un sentier, on institue un collateur : instituer dans ces deux derniers cas est synonyme à constituer.

* INSTITUT, s. m. (Gram.) système de regles