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conde soit aussi périlleuse que la premiere, au-moins ne le sera-t-elle pas davantage. Il y en aura donc une mortelle sur sept ; mais il faut au moins dix mille petites véroles pour rencontrer une rechûte : donc il en faudra sept fois dix mille, pour qu’il s’en trouve une funeste : donc sur soixante-dix mille inoculés, il en mourra peut être un d’une seconde petite vérole. C’est tout ce qu’on peut conclure des suppositions précédentes gratuitement accordées.

Si l’on soutenoit qu’il est impossible que l’inoculation fût jamais suivie d’aucun accident mortel, un seul exemple contraire suffiroit pour détruire cette prétention ; mais il ne s’agit entre les deux parties, que de savoir sur quel nombre d’inoculations on doit craindre un tel évenement ; si c’est par exemple, un sur 500, 300, 200, ou cent inoculés. Les anti-inoculistes. pour affoiblir les avantages de la méthode, ont prétendu dans le tems des premieres épreuves, qu’il mouroit un inoculé de 50 ; mais ils n’avoient pas compris dans leur calcul ceux qui meurent, selon eux, d’une seconde petite vérole. Nous venons de faire voir qu’on n’en peut faire monter le nombre à plus d’un sur 70000. Au lieu donc de 1400 morts qu’ils auroient compté sur 70000 inoculés, à raison d’un mort sur chaque 50, il en faudra compter 1401. Veut on que les inoculateurs regardent leur méthode comme pernicieuse, parce que sur 70 mille il peut arriver un accident de plus qu’ils n’avoient cru ? Et leurs adversaires trouveront-ils la question décidée en leur faveur, quand ils auront prouvé qu’au lieu de 1400 morts sur 70000, il en faut compter 1401 ?

Quatrieme objection. Le pus transmis dans le sang de l’inoculé, ne peut il pas lui communiquer d’autres maux que la petite vérole, tel que le scorbut, les écrouelles, &c ? Non-seulement il n’y a point d’exemple que ni la contagion naturelle, ni l’inoculation, aient communiqué d’autres maladies que la petite vérole même ; mais on a des preuves de fait que la matiere varioleuse prise d’un corps infecté de virus vénérien, n’a donné qu’une petite vérole simple & bénigne. La premiere expérience fut faite par hasard ; le docteur Kirkpatrick en parle dans son ouvrage. Elle a depuis été répétée : il seroit donc inutile de s’étendre sur les raisons de théorie qui refutent cette objection. D’ailleurs puisqu’on est le maître de choisir la matiere de l’inoculation, rien n’empêche de la prendre d’un enfant bien sain, & dans lequel on ne puisse soupçonner d’autre mal que la petite vérole.

Cinquieme objection. L’inoculation laisse quelquefois de facheux restes, comme des plaies, des tumeurs, &c. Ces accidens très-fréquens après la petite vérole naturelle, sont extremement rares à la suite de l’inoculation. Cette derniere est ordinairement si bénigne, qu’elle a fait douter que ce fût une vraie petite vérole. Les symptomes, les accidens, & les suites de ces deux maladies, conservent la même proportion. M. Ranby atteste que sur cent personnes inoculées, à peine s’en trouve-t-il une à laquelle il survienne le moindre clou. Une simple saignée occasionne quelquefois de plus grands & de plus dangereux accidens : il faut donc proscrire ce remede avant que de faire le procès à l’inoculation.

Sixieme objection. L’inoculation fait violence à la nature. On en peut dire autant de tous les remedes. Pourquoi saigner ou purger ? Que n’attend-on que la nature se soulage par une hémorrhagie & par une diarrhée. Voyez sur cette objection l’inoculation justifiée de M. Tissot.

Objections morales. Septieme objection. C’est usurper les droits de la Divinité, que de donner une maladie à celui qui ne l’a pas, ou d’entreprendre d’y soustraire celui qui dans l’ordre de la Providence y étoit naturellement destiné. Si cette objection n’avoit été faite de bonne-foi par des personnes pieuses, elle ne mériteroit pas

de réponse. La confiance dans la Providence nous dispense-t-elle de nous garantir des maux que nous prévoyons, quand on sait par expérience qu’on peut les prévenir ? Faut il imiter les Turcs, qui de peur de contrarier les vûes de la Providence, périssent par milliers dans les tems de peste, si commune à Constantinople, tandis qu’ils voyent les Francs établis au milieu d’eux s’en préserver en évitant la communication ? Si l’inoculation, comme l’expérience le prouve, est un moyen de se préserver des accidens funestes de la petite vérole, la Providence qui nous offre le remede, défend elle d’en faire usage ? Tous les préservatifs, tous les remedes de précaution, seront-ils desormais illicites ? Nous renvoyons ceux sur qui l’autorité semble avoir plus de poids que l’évidence, à la décision déja citée des neuf docteurs de Sorbonne, consultés par M. de la Coste ; aux diverses consultations de plusieurs théologiens italiens ; aux traités sur l’inoculation approuvés par des inquisiteurs ; aux argumens du celebre évêque de Worcester ; à l’ouvrage des docteurs Some & Doddrige, en observant que dans le cas présent, le suffrage des docteurs protestans doit avoir d’autant plus de poids auprès des Théologiens catholiques, que nous ne différons pas d’avec eux sur les principes de morale, & que leurs opinions sur la prédestination absolue, prête plus de couleur à l’objection que nous refutons. M. Chais y a répondu de la maniere la plus solide & la plus satisfaisante dans son Essai apologétique.

Huitieme objection. Il n’est pas permis de donner une maladie cruelle & dangereuse à quelqu’un qui ne l’auroit peut-être jamais eu. Nous avons prouvé dans l’article des avantages de l’inoculation, que la petite vérole artificielle n’est ni cruelle, ni dangereuse. Il ne reste donc que la seconde partie de l’objection à détruire. Quoique l’inoculation soit moins douloureuse qu’une saignée, & quelque petit que soit le danger qui l’accompagne, il y auroit de l’extravagance à faire subir cette opération à quelqu’un qui seroit sûr de n’avoir jamais la petite vérole. Mais comme il n’est pas possible d’obtenir cette sécurité, & qu’au contraire quiconque n’a pas eu cette maladie, court grand risque de l’avoir & d’en mourir, il est non-seulement permis, mais très-conforme à la prudence, de prendre les moyens les plus sûrs pour se dérober autant qu’il est possible, à ce danger ; & l’on n’en connoît point de plus efficace que l’inoculation.

Mais, dira-t-on, c’est toujours une maladie : pourquoi la donner gratuitement à celui qui ne l’auroit peut-être jamais ? Premierement on ne donne point la maladie à celui qui ne l’auroit jamais : l’expérience a fait voir qu’il y a quelques personnes qui ne la prennent point par inoculation ; il est plus que probable que ce sont celles qui ne l’auroient jamais eue. Secondement, c’est moins, dit l’évêque de Worcester, donner une maladie à un corps exempt de la contracter, que choisir le tems & les circonstances les plus favorables pour le délivrer d’un mal presque autrement inévitable, & dont l’issue est souvent sans cela très dangereuse. Troisiemement, c’est donner un petit mal pour en éviter un beaucoup plus grand. C’est convertir un danger, dont rien ne peut garantir, en un danger infiniment moindre, pour ne pas dire absolument nul.

Si j’avois actuellement la petite vérole, dira quelqu’un, je conviens qu’il n’y auroit que six contre un à parier pour ma vie ; mais j’espere être du nombre de ceux qui ne l’ont jamais, & cette espérance diminue beaucoup le danger que je cours. Oui, répond M. de la Condamine, l’espérance de n’avoir jamais la petite vérole diminue le danger dont vous êtes menacé ; mais de si peu de chose que le risque d’en