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l’inoculation depuis 1754. Il y répond sommairement aux critiques précédentes, & particulierement aux questions du docteur de Vienne, à qui M. Tissot a répondu depuis plus au long & très-solidement en 1759. Plusieurs écrits polémiques pour & contre ont paru, & paroissent journellement sur cette matiere, depuis quatre ans dans le mercure de France & dans diverses journaux

Dans l’histoire précédente de l’inoculation, nous nous sommes renfermés dans les faits de notoriété publique, dont aucun ne peut être contesté, & nous ne nous sommes permis aucune réflexion.

Pratique de l’inoculation. L’insertion de la petite vérole se fait de différentes manieres en différens pays. La Motraye qui vit faire cette opération en Circassie l’année 1712 sur une jeune fille de quatre à cinq ans, rapporte que l’opératrice qui étoit une femme âgée, se servit de trois aiguilles liées ensemble, avec lesquelles elle piqua l’enfant au creux de l’estomac, à la mamelle gauche, au nombril, au poignet droit, & à la cheville gauche. Les femmes grecques, dont l’une pratiquoit l’inoculation à Constantinople depuis 30 ans, & qui avoient inoculé plusieurs milliers de sujets, se servoient d’une aiguille triangulaire, tranchante, avec laquelle elles faisoient au patient de petites blessures à différentes parties du corps, en y joignant certaines superstitions. Le point capital de leur opération consistoit à mêler avec le sang des piquûres, de la matiere liquide récemment recueillie des boutons d’une petite vérole naturelle & bénigne. A Bengale on perce la peau entre le pouce & l’index, avec une aiguille & un fil imbu de pus varioleux. A Tripoli de Barbarie le chirurgien fait une incision sur le dos de la main entre le pouce & l’index, & y introduit un peu de matiere exprimée des boutons les plus gros & les plus pleins d’une autre petite vérole. Au pays de Galles les enfans se gratent le dessus de la main jusqu’au sang, la frotent contre celle d’un malade actuel de la petite vérole, & prennent la maladie. M. Tronchin se contente d’entamer la peau avec une emplâtre vésicatoire, & de placer sur la plaie un fil qui a traversé un bouton mûr de petite vérole.

Tous ces moyens paroissent également propres à introduire le virus dans le sang, ce qui est le but de l’opération ; mais le contact seul suffit : la maladie communique en tenant seulement dans la main pendant quelque tems, de la matiere des pustules prise dans le tems de la suppuration. Un chirurgien de Padoue nommé Bertri, a inoculé sa fille en lui appliquant un parchemin enduit de cette matiere sous les aisselles, sous les jarrets & sur les poignets. A la Chine on introduit dans le nez du coton parfumé, saupoudré de croutes varioleuses desséchées. On a reconnu en Angleterre que cette méthode étoit dangereuse : elle fut essayée en 1721 sur une fille de dix-huit ans du nombre des six criminels choisis pour subir l’épreuve de l’inoculation ; elle eut de violens maux de tête, & fut plus malade que tous les autres. L’incision que Timoni avoit déja substituée aux piquûres, a prévalu. L’expérience a fait aussi connoître qu’il importe peu ou point que la matiere soit prise d’une petite vérole bénigne ou maligne, & qu’une seule incision suffit, quoiqu’on en fasse ordinairement deux, soit aux bras ou aux jambes, tant pour avoir une plus grande certitude que l’opération produira son effet, que pour ouvrir un double canal à l’épanchement de la matiere varioleuse, & pour rendre par ce moyen celle qui forme les boutons moins abondante, moins âcre & moins corrosive. On s’est encore assuré par expérience, & les Chinois l’avoient déja reconnu, que la matiere propre à l’inoculation se conserve plusieurs mois, & que prise d’une petite vérole, soit naturelle soit artificielle, elle n’en produit pas moins son effet.

Voici la méthode pratiquée par M. Ramby, premier chirurgien du roi d’Angleterre, le plus célebre & le plus heureux des inoculateurs. C’est celle qu’on a suivie le plus communément à Genève.

Les enfans ont à peine besoin de préparation : quelques jours de régime & une ou deux purgations suffisent ; rarement on emploie la saignée. A l’égard des adultes, comme il s’agit de disposer le corps à une maladie inflammatoire, plus le sujet est sain & vigoureux, plus généralement parlant ses forces ont besoin d’être affoiblies par la saignée, la diete, l’usage des remedes rafraichissans. On y joitit quelques purgatifs & quelquefois les bains. Il est à propos de consulter un medecin sage, qui connoisse le tempérament de celui qu’il dispose à l’inoculation, & qui puisse lui prescrire un régime convenable.

Quant à l’opération, on fait aux deux bras dans la partie externe & moyenne, au-dessous de l’insertion du muscle deltoïde, pour ne point gêner la liberté du mouvement, une incision de moins d’un pouce de long, & si peu profonde, qu’elle entame à peine la peau. On insere dans la plaie un fil de la même longueur, imprégné de la matiere d’un bouton mûr & sans rougeur à sa base, pris d’une petite vérole soit naturelle soit artificielle, d’un enfant sain ; on couvre le tout d’un plumasseau, d’un emplâtre de diaplame, & d’une compresse qu’on assujettit avec une bande. On leve cet appareil environ quarante heures après, & on pense la plaie une fois tous les vingt-quatre heures.

Quoique les premiers jours après l’opération, le sujet soit en état de sortir, on lui fait garder la chambre & continuer le régime. On le met au lit quand les symptomes commencent à paroître ; ordinairement c’est le six ou le septieme jour ; on lui retranche alors la viande, & on lui prescrit la même diete que dans les maladies aiguës. Tous les symptomes cessent par l’éruption ; l’inflammation des plaies diminue, elles donnent plus de matiere. Le nombre des boutons est ordinairement peu considérable, & va rarement à deux ou trois cens sur tout le corps. Ils ne laissent point de cicatrices. Le dixieme jour après l’éruption les plaies commencent à se remplir ; le quinzieme à se cicatriser : elles se ferment souvent le vingtieme. Si l’on voit qu’elles continuent à fluer, il ne faut pas se hâter de les fermer.

Quelquefois le venin s’échappe presque tout par les plaies ; ensorte que le malade n’a qu’une ou deux pustules ; quelquefois même pas une seule. On a reconnu qu’il n’en est pas moins à l’abri de contracter la petite vérole naturelle, quand même on l’inoculeroit de nouveau, ce qu’on a plusieurs fois éprouvé. La preuve évidente que c’est le virus varioleux qui sort par les incisions, c’est que cette matiere étant insérée dans un autre corps y produit une petite vérole sous la forme ordinaire. M. Maty a été témoin de cette expérience.

On choisit pour inoculer une saison qui ne soit ni trop froide ni trop chaude. Le printems & l’automne y paroissent également propres. On préfere ordinairement le printems, parce que la belle saison favorise la convalescence ; mais il y a nombre d’exemples d’inoculations qui ont réussi en toute saison. Les opératrices greques inoculoient en hiver à Constantinople. L’été est, d’un aveu général, la saison la moins convenable, cependant on inocule avec succès à la Jamaïque qui est située dans la Zone torride. M. Tronchin vient d’inoculer à Genève au mois d’Août 1759, une dame de Paris qui vouloit être en état de revenir au mois de Septembre ; il est vrai que par des précautions très-recherchées, il a trouvé le moyen d’entretenir le thermometre de Reaumur de quinze à dix-sept degrés dans la chambre de la