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défendues par un canon du concile de Cognac, tenu en 1260. Malgré ces défenses, les abus subsisterent encore long-tems, & ne furent totalement abolis, du-moins en France, qu’après l’année 1444, où les docteurs de Sorbonne écrivirent à ce sujet une fort belle lettre adressée à tous les évêques du royaume.

* INNOMBRABLE, adj. (Gram.) qui ne se peut nombrer. L’acception de tous ces termes indéfinis varie dans l’esprit des hommes : pour un sauvage qui ne peut pas compter jusqu’à cinquante, l’innombrable commence au-delà de ce nombre.

* INNOMINATI les, (Hist. littéraire.) académiciens établis à Parme sous cette dénomination.

INNOMINE, adj. en Anatomie, nom de différentes parties du corps humain, auxquelles les Anatomistes n’avoient point donné de nom.

La glande innominée, voyez Lacrymal.

Les os innominés, voyez Hanche & Iles.

Les nerfs innominés, voyez Trijumeaux.

INNOVATION, s. f. (Gouvernement politique.) nouveauté, ou changement important qu’on fait dans le gouvernement politique d’un état, contre l’usage & les regles de sa constitution.

Ces sortes d’innovations sont toûjours des difformités dans l’ordre politique. Des lois, des coutumes bien affermies, & conformes au génie d’une nation, sont à leur place dans l’enchaînement des choses. Tout est si bien lié, qu’une nouveauté qui a des avantages & des desavantages, & qu’on substitue sans une mûre considération aux abus courans, ne tiendra jamais à la tissure d’une partie usée, parce qu’elle n’est point assortie à la piece.

Si le tems vouloit s’arrêter, pour donner le loisir de remédier à ses ravages… Mais c’est une roue qui tourne avec tant de rapidité ; le moyen de réparer un rayon qui manque, ou qui menace ! …

Les révolutions que le tems amene dans le cours de la nature, arrivent pas-à-pas ; il faut donc imiter cette lenteur pour les innovations utiles qu’on peut introduire dans l’état ; car il ne s’agit pas ici de celles de la police d’une ville particuliere.

Mais sur-tout, quand on a besoin d’appuyer une innovation politique par des exemples, il faut les prendre dans les tems de lumieres, de modération, de tranquillité, & non pas les chercher dans les jours de ténebres, de trouble, & de rigueurs. Ces enfans de la douleur & de l’aveuglement sont ordinairement des monstres qui portent le desordre, les malheurs, & la desolation. (D. J.)

INNTHAL, (Géog.) c’est à dire la vallée d’Inn, contrée d’Allemagne dans le Tirol, arrosée par la riviere d’Inn ; Inspruck en est la capitale. (D. J.)

INOBSERVANCE, ou INOBSERVATION, s. f. (Gram.) mépris, négligence, infraction des lois ou regles présentes. On dit l’inobservation des commandemens de l’Eglise, l’inobservation du carême, l’inobservance des constitutions d’un état.

INOCULATION, s. f. (Chirurgie, Medecine, Morale, Politique.) ce nom synonyme d’insertion, a prévalu pour désigner l’opération par laquelle on communique artificiellement la petite vérole, dans la vue de prévenir le danger & les ravages de cette maladie contractée naturellement.

Histoire de l’inoculation jusqu’en 1759. On ignore l’origine de cet usage, dont les premiers medecins arabes sont peut-être les inventeurs. Il subsiste, de tems immémorial, dans les pays voisins de la mer Caspienne, & particulierement en Circassie, d’où les Turcs & les Persans tirent leurs plus belles esclaves. La Motraye, voyageur françois, l’y a vû pratiquer en 1712. C’est de-là vraissemblablement que cette coutume a passé en Grece, en Morée & en Dalmatie, où elle a plus de 200 ans d’ancienneté. Son époque n’a point de terme fixe en Afrique, sur

les côtes de Barbarie, sur celles du Sénégal, ni dans l’intérieur du continent, non plus qu’en Asie, en divers endroits de l’Inde, particulierement à Bengale, enfin à la Chine, où elle a reçu une forme particuliere. Elle a été anciennement connue dans quelques parties occidentales de l’Europe, sur-tout dans la principauté de Galles en Angleterre ; le docteur Schwenke l’a trouvée établie parmi le peuple en 1712, dans le comté de Meurs & le duché de Cleves en Westphalie. Bartholin en parle dans une lettre imprimée à Copenhague en 1673. On en trouve des vestiges dans quelques provinces de France, & particulierement en Périgord.

Il y a plus de 80 ans que l’inoculation fut apportée ou renouvellée à Constantinople par une femme de Thessalonique, qui opéroit encore au commencement du siecle présent, à peu-près de la même maniere qu’en Circassie. Cette femme & une autre greque de Philippopolis avoient inoculé très-heureusement dans la même capitale plusieurs milliers de personnes. Emmanuel Timoni & Jacques Pilarini, de la même nation, l’un premier medecin du grand-seigneur, l’autre qui l’avoit été du czar Pierre, tous deux docteurs en l’université de Padoue, & le premier en celle d’Oxford, témoins l’un & l’autre pendant plusieurs années des succès constans des deux greques, adopterent cette pratique, & la firent connoître dans le reste de l’Europe. Timoni, par divers écrits latins publiés dans les transactions philosophiques au mois de décembre 1713, dans les actes des Savans de Leipsick en 1714, dans les éphémérides des curieux de la nature en 1717, dont l’un est rapporté par la Motraye à la suite de son voyage, comme l’ayant reçu du même Timoni au mois de Mai 1712 ; & Pilarini, par un petit ouvrage latin imprimé à Venise en 1715. Antoine le Duc, autre medecin grec, né à Constantinople, où lui-même avoit été inoculé, soutint une these en faveur de l’inoculation à Leyde en 1722, en recevant en cette université le bonnet de docteur, & publia une dissertation sur la même matiere. Tous attestent unanimement qu’ils n’ont jamais vu d’exemple d’un inoculé qui ait depuis repris la petite vérole.

Dès le mois de Février 1717, M. Boyer, doyen actuel de la faculté de Paris, dans une these soutenue à Montpellier, avoit osé dire & prouver, qu’il étoit plus à propos d’exciter par art une petite vérole bénigne, que d’abandonner à la nature une affaire de cette conséquence dans un cas où cette tendre mere sembloit se conduire en marâtre, &c.

La même année, ladi Vortley Montague, ambassadrice d’Angleterre à la Porte ottomane, eut le courage de faire inoculer à Constantinople son fils unique, âgé de six ans, par Maitland son chirurgien, & depuis sa fille à son retour à Londres en 1721. Alors le college des Medecins de cette ville demanda que l’expérience fût faite sur six criminels condamnés à mort. Après l’heureux succès de cette tentative, & d’une autre sur cinq enfans de la paroisse de S. James, la princesse de Galles fit inoculer à Londres, sous la direction du docteur Sloane, ses deux filles, l’une depuis reine de Dannemarck, & l’autre princesse de Hesse-Cassel, & quelques années après le feu prince de Galles à Hanovre. Mais tandis que les docteurs Sloane, Fuller, Broady, Schadwel, que l’évêque de Salisbury & plusieurs autres docteurs en Medecine & en Théologie confioient la vie de leurs enfans à l’inoculation, un medecin obscur & un apoticaire la décrioient dans leurs écrits, & un théologien prêchoit que c’étoit une invention du diable qui en avoit fait le premier essai sur Job. Le docteur Arbuthnot, sous le nom de Maitland, réfuta le premier par un écrit très-fort & très mesuré. Le mépris & le silence répondirent au théologien fanatique.