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On ne peut pas cumuler la voie civile & la voie criminelle, & le choix de la voie civile exclut la voie criminelle ; mais celui qui avoit d’abord pris la voie criminelle peut y renoncer & prendre la voie civile.

La réparation des injures particulieres, c’est-à-dire qui n’intéressent que l’offensé, ne peut être poursuivie en général que par celui qui a reçu l’injure.

Il y a cependant des cas où un tiers peut aussi poursuivre la réparation de l’injure, savoir, lorsqu’elle rejaillit sur lui. Ainsi un mari peut poursuivre la réparation de l’injure faite à sa femme, un pere de l’injure faite à son enfant ; des parens peuvent venger l’injure faite à un de leurs parens, lorsqu’elle rejaillit sur toute la famille ; des héritiers peuvent venger l’injure faite à la mémoire du défunt ; un maître celle faite à ses domestiques ; un abbé celle qui est faite à un de ses religieux ; une compagnie peut se plaindre de l’injure faite à quelqu’un du corps, lorsqu’il a été offensé dans ses fonctions.

Lorsque l’injure est telle que le public y est intéressé, le ministere public en peut aussi poursuivre la réparation, soit seul, soit concurremment avec la partie civile, s’il y en a une.

Il est même nécessaire dans toutes les actions pour réparation d’injures, lorsque l’on a pris la voie criminelle, que le ministere public y soit partie pour donner ses conclusions.

Quoiqu’on ait rendu plainte d’une injure, le juge ne doit pas permettre d’en informer, à moins que le fait ne paroisse assez grave pour mériter une instruction criminelle, soit eu égard au fait en lui-même, ou à la qualité de l’offensant & de l’offensé & autres circonstances ; & si après l’information le fait ne paroît pas aussi grave qu’on l’annonçoit, le juge ne doit pas ordonner qu’on procédera par recollement & confrontation, mais renvoyer les parties à fin civile & à l’audience.

Pour que des discours ou des écrits soient réputés injurieux, il n’est pas nécessaire qu’ils soient calomnieux, il suffit qu’ils soient diffamatoires, & les parties intéressées peuvent en rendre plainte quand même ils seroient véritables ; car il n’est jamais permis de diffammer personne. Toute la différence en ce cas est, que l’offensé ne peut pas demander une retractation, & que la peine est moins grave sur-tout si les faits étoient déjà publics : mais si l’offensant a revélé quelque turpitude qui étoit cachée, la réparation doit être proportionnée au préjudice que souffre l’offensé.

On est quelquefois obligé d’articuler des faits injurieux, lorsqu’ils viennent au soutien de quelque demande ou défense, comme quand on soutient la nullité d’un legs fait à une femme, parce qu’elle étoit la concubine du défunt. Le juge doit admettre la preuve de ces faits ; & si la personne que ces faits blesse en demande réparation comme d’une calomnie, le sort de cette demande dépend de ce qui sera prouvé par l’évenement.

L’insensé, le furieux, & l’impubere étant encore en enfance ou plus proche de l’enfance que de la puberté, ne peuvent être poursuivis en réparation d’injures, utpotè doli incapaces.

Pour ce qui est de l’ivresse, quoiqu’elle ôte l’usage de la raison, elle n’excuse point les injures dites ou faites dans le vin : non est enim culpa vini, sed culpa bibentis : l’injure dite par un homme yvre est cependant moins grave que celle qui est dite de sang-froid.

Celui qui a repoussé l’injure qui lui a été faite, & qui s’est vengé lui-même, sibi jus dixit, il ne peut plus en rendre plainte, paria enim delicta mutuâ pensatione tolluntur.

Lorsqu’il y a eu des injures dites de part & d’autre, on met ordinairement les parties hors de cour,

avec défenses à elles de se méfaire ni médire.

Quand l’injure est grave, il ne suffit pas pour toute réparation de la desavouer ou de déclarer que l’on se rétracte ; il peut encore selon les circonstances, y avoir lieu à diverses peines.

Il y eut une loi chez les Romains qui fixa en argent la réparation dûe pour certaines injures, comme pour un soufflet tant, pour un coup de pié tant : mais on ne fut pas long-tems à reconnoître l’inconvénient de cette loi, & à la révoquer ; attendu qu’un jeune étourdi de Rome trouvant que l’on en étoit quitte à bon marché, prenoit plaisir à donner des soufflets aux passans ; & pour prévenir la demande en réparation, il faisoit sur le champ payer l’amende à celui qu’il avoit offensé, par un de ses esclaves qui le suivoit avec un sac d’argent destiné à cette folle dépense.

Les différentes lois qui ont été recueillies dans le code des lois antiques, n’ordonnoient aussi que des amendes pécuniaires pour la plûpart des crimes, & singulierement pour les injures de paroles qui y sont taxées selon leur qualité avec la plus grande exactitude : on y peut voir celles qui passoient alors pour offensantes.

La loi unique au code de famosis libellis, prononçoit la peine de mort non-seulement contre les auteurs des libelles diffamatoires, mais encore contre ceux qui s’en trouvoient saisis. Les capitulaires de Charlemagne prononçoient la peine de l’exil ; l’ordonnance de Moulins veut que ceux qui les ont composés, écrits, imprimés, exposés en vente, soient punis comme perturbateurs du repos public.

Un édit du mois de Décembre 1704, a déterminé la peine dûe pour chaque sorte d’injure.

Mais nonobstant cet édit & les autres antérieurs ou postérieurs, il est vrai de dire qu’en France la réparation des injures est arbitraire, de même que celle de tous les autres délits, c’est-à-dire que la peine plus ou moins rigoureuse dépend des circonstances & de ce qui est arbitré par le juge.

L’action en réparation d’injures, appellée chez les Romains actio injuriarum, étoit du nombre des actions fameuses, famosæ ; c’est-à-dire que l’action directe en cette matiere emportoit infamie contre le défendeur ou accusé, ce qui n’a pas lieu parmi nous.

Le tems pour intenter cette action est d’un an à l’égard des simples injures ; en quoi notre usage est conforme à la disposition du droit romain, suivant lequel cette action étoit annale ; mais s’il y a eu des excès réels commis, il faut vingt ans pour prescrire la peine.

Il n’y a point de garantie en fait d’injures, non plus qu’en fait d’autres délits ; c’est pourquoi un procureur qui avoit signé des écritures injurieuses à un magistrat, ne laissa pas d’être interdit, quoiqu’il rapportât un pouvoir de sa partie.

Outre le laps de tems qui éteint l’action en réparation d’injures, elle s’éteint encore.

1°. Par la mort de celui qui a fait l’injure, ou de celui à qui elle a été faire ; de sorte que l’action ne passe point aux héritiers, à-moins qu’il n’y eût une action intentée par le défunt avant l’expiration du tems qui est donné par la loi, ou que l’injure n’ait été faite à la mémoire du défunt.

2°. La réconciliation expresse ou tacite éteint aussi l’injure.

3°. La remise qui en est faite par la personne offensée ; mais quoique l’action soit éteinte à son égard, cela n’empêche pas un tiers qui y est intéressé d’agir pour ce qui le concerne, & à plus forte raison, le ministere public, avec lequel il n’y a jamais de transaction, est-il toûjours recevable à agir pour la vindicte publique, si l’injure est telle que la réparation intéresse le public. Voyez au digeste & au code le titre