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été examiné sur les parties des Mathématiques nécessaires à son état, c’est-à-dire, sur l’Arithmétique, la Géométrie élémentaire & pratique, la Méchanique & l’Hydraulique. Le Roi paye pour cet effet un examinateur particulier.

L’intention de M. le maréchal de Vauban étoit, qu’après cet examen, on envoyât les jeunes gens, qui l’avoient subi, dans les places où il y avoit de grands travaux, pour les former dans le service des places, & leur faire acquérir les différentes parties de la science du Génie. Cette espece de noviciat devoit durer un an ou deux, après quoi il vouloit qu’on les examinât de nouveau pour juger de leurs talens & du progrès de leur application avant que de les admettre à l’état d’ingénieur. Ceux dont les talens auroient paru trop médiocres pour le Génie, devoient être placés dans l’infanterie, où les connoissances qu’ils avoient acquises ne pouvoient que contribuer à en faire de bons officiers.

Le Roi a établi à Mézieres, depuis quelques années, une école particuliere pour le Génie.

Quoique tous les Ingénieurs doivent être également versés dans le service des places & dans celui de campagne ; cependant comme il est difficile d’exceller en même tems dans chacun de ces deux services, peut-être seroit-il à propos de les diviser en ingénieurs de place & en ingénieurs de campagne.

Ces deux états, dont M. le maréchal de Vauban a réuni les différentes qualités dans le degré le plus éminent, supposent également la science de la fortification ; mais comme on peut posséder le détail de la construction des travaux, qui ne s’apprend point en campagne, & ignorer ou du moins ne point exceller dans ce détail, & être très-habile dans le service de campagne, qui ne donne aucune idée de celui des places, le partage de ces deux fonctions pourroit peut-être donner lieu de former des sujets plus habiles dans chacune de ces deux parties du Génie.

Le service de campagne demande beaucoup de connoissance de l’art de la guerre ; il exige d’ailleurs une grande vivacité d’esprit & d’intelligence pour imaginer & exécuter en même tems les différens travaux nécessaires en campagne, pour fortifier les camps & les postes qu’on veut défendre : « On n’étudie point cette matiere dans les places, dit M. de Clairac dans l’Ingénieur de campagne, parce que ce n’est point l’objet présent… D’ailleurs, quel que soit le rapport de la fortification de campagne avec celle des places, la science de celle-ci ne suffit pas toujours pour développer pleinement ce qui concerne l’autre ». C’est pourquoi, dès que les travaux de l’ingénieur en campagne exigent une étude particuliere, il semble qu’il seroit très-convenable de s’y appliquer aussi particulierement.

Les qualités nécessaires aux ingénieurs de guerre ou de campagne sont, suivant M. le maréchal de Vauban, « beaucoup de cœur, beaucoup d’esprit, un génie solide, & outre cela une étude perpétuelle & une expérience consommée sur les principales parties de la guerre : mais si la nature rassemble très-rarement ces trois premieres qualités dans un seul homme, il est encore plus extraordinaire d’en voir échapper à la violence de nos sieges, & qui puissent vivre assez pour pouvoir acquèrir les deux autres. Le métier est grand & noble, mais il mérite un génie fait exprès & l’application de plusieurs années ». Instruct. pour la conduite des sieges.

Aux qualités précédentes, « il faut encore, dit M. Maigret, joindre l’activité & la vigilance absolument nécessaires dans toutes les actions de la guerre, mais sur-tout dans l’attaque des places qui esperent du secours. Il ne faut point donner le

tems aux assiégés de se reconnoître ; qui y perd une heure, en perd pour le moins deux, & un seul moment perdu en ces occasions est quelquefois irréparable. C’est par l’activité & la vigilance que les ingénieurs contraignent souvent des assiégés de capituler, qui ne le feroient que long-tems après, si ces ingénieurs n’avoient pas usé d’une grande promptitude dans le progrès des attaques ». Traité de la sûreté des états par le moyen des forteresses.

Aux deux divisions précédentes d’ingénieur de place & d’ingénieur de campagne, peut-être seroit-il encore à propos de faire une troisieme classe pour la fortification des villes maritimes, qui demande une étude particuliere, & dans laquelle il est difficile d’exceller sans beaucoup de travail & d’application. Il suffit, pour s’en convaincre, d’une lecture sérieuse & réfléchie des deux derniers volumes de l’Architecture hydraulique, par M. Belidor.

Les appointemens des ingénieurs, lorsqu’on les reçoit, sont de six cens livres par an. Ils augmentent ensuite, selon le mérite & l’ancienneté. Dans les sieges & en campagne, les moindres appointemens de ceux qu’on y emploie sont de cent cinquante livres par mois.

Les ingénieurs obtiennent les mêmes grades militaires & les mêmes récompenses que les autres officiers des troupes. Ainsi ils parviennent à celui de brigadier, de maréchal de camp, de lieutenant général & même de maréchal de France, comme l’a été M. de Vauban. Ils ont aussi des pensions, des majorités, des gouvernemens de places, &c.

Le nombre des ingénieurs en France est de trois cens. Ils sont partagés dans les différentes places de guerre du royaume. En tems de guerre, on en forme des détachemens à la suite des armées. Ceux qui servent dans les siéges sont partagés en brigades, à la tête de chacune desquelles est un ancien ingénieur, auquel on donne le nom de brigadier. Ces brigades se relevent toutes les vingt-quatre heures.

Dans les places où il y a plusieurs ingénieurs, le premier est appellé ingénieur en chef. Il a la direction principale de tous les travaux ; les autres agissent sous ses ordres. Les appointemens des ingénieurs en chef sont de 1800 livres, mais ils ont outre cela des récompenses & des gratifications. Cette place demande des soins infinis, dit M. le maréchal de Vauban, « une activité perpétuelle, beaucoup de conduite, de bon-sens, d’expérience dans tous les ouvrages de terre, de bois & de pierre, avec une parfaite intelligence de toutes les différentes especes de matériaux, de leur prix, & de la capacité des ouvriers. Ces qualités sont si nécessaires dans la conduite des grands travaux, que par-tout où elles se trouvent manquer, on peut s’assûrer que le moindre mal qui en puisse arriver sera un retardement, une longue & ennuyeuse construction, quantité de mal-façons, & toujours beaucoup de dépense superflue : accidens à jamais inséparables de la médiocre intelligence de ceux qui en seront chargés ». Directeur des fortifications.

Il y a aussi des ingénieurs provinciaux ou directeurs des fortifications dans les provinces. Ce sont ceux qui sont chargés de la direction générale de tous les travaux qui se font dans les places de leur département. (Q)

* INGENIEUX, adj. (Gramm.) qui montre de l’esprit & de la sagacité. Il se dit des choses & des personnes. Un poëte ingénieux. Un machiniste ingénieux. Une pensée ingénieuse ; une machine ingénieuse. Les choses ingénieuses déparent les grandes choses. Si elles sont accumulées dans un ouvrage, elles fatiguent. Elles sont plus faites pour être dites que pour être écrites. Elles consistent dans des rapports fins, délicats & petits qui échappent aux hom-