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secund. lib. prorrhetic. On ne sauroit nier que ce raisonnement de Galien ne soit très-plausible, très satisfaisant & très-favorable à l’influence des astres ; il indique d’ailleurs par-là une cause physique d’un fait dont on n’a encore aujourd’hui que des causes morales. Ce dogme particulier n’avoit besoin que de l’autorité de Galien, pour devenir une des lois fondamentales de la Médecine clinique ; il fut adopté par le commun des medecins, qui n’avoient d’autre regle que les décisions de Galien. Quelques medecins s’éloignant du chemin battu, oserent censurer cette doctrine quelquefois fausse, souvent outrée par ses partisans ; mais ils furent bientôt accablés par le nombre. Les medecins routiniers ont toujours souffert le plus impatiemment, que les autres s’écartassent de leur façon de faire & de penser. L’Astrologie devenant plus à la mode, la théorie de la Médecine s’en ressentit. Comme il est arrivé toutes les fois que la Physique a changé de face, la Médecine n’a jamais été la derniere à en admettre les erreurs dominantes ; les medecins furent plus attachés que jamais à l’influence des astres. Quelques-uns sentant l’impossibilité de faire accorder tous les cas avec les périodes de la lune, eurent recours aux autres astres, aux étoiles fixes, aux planetes. Bientôt ces mêmes astres furent regardés comme les principales causes de maladie, & l’on expliqua par leur action le fameux τὸ τεῖον d’Hippocrate, mot qui a subi une quantité d’interprétations toutes opposées, & qui n’est par conséquent pas encore défini. On ne manquoit jamais de consulter les astres avant d’aller voir un malade ; & l’on donnoit des remedes, ou l’on s’en abstenoit entierement, suivant qu’on jugeoit les astres favorables ou contraires. On suivit les distinctions frivoles établies par les astrologues des jours heureux & malheureux, & la Médecine devint alors ce qu’elle avoit été dans les premiers siecles, appellés tems d’ignorance ; l’Astrologie fut regardée comme l’œil gauche de la Medecine, tandis que l’Anatomie passoit pour être le droit. On alloit plus loin ; on comparoit un medecin destitué de cette connoissance à un aveugle qui marchant sans bâton, bronche à chaque instant, & porte en tremblant de côté d’autre des pas mal-assurés ; un rien le détourne, & il est dans la crainte de s’égarer : ce n’est que par hasard & à tâtons qu’il suit le bon chemin.

Les Alchimistes, si opposés par la nature de leurs prétentions aux idées reçues, c’est-à-dire au Galénisme, n’oublierent rien pour le détruire ; mais ils respecterent l’influence des astres, ils renchérirent même sur ce que les anciens avoient dit, & lui firent jouer un plus grand rôle en Medecine. Ils considérerent d’abord l’homme comme une machine analogue à celle du monde entier, & l’appellerent microcosme, μικρόκοσμος, mot grec qui signifie petit-monde. Ils donnerent aux visceres principaux les noms des planetes dont ils tiroient, suivant eux, leurs influences spéciales, & avec lesquelles ils croyoient entrevoir quelque rapport ; ainsi le cœur consideré comme le principe de la vie du microcosme, fut comparé au soleil, en prit le nom & en reçut les influences. Le cerveau fut appellé lune, & cet astre fut censé présider à ses actions. En un mot, on pensa que Jupiter influoit sur les poumons, Mars sur le foie, Saturne sur la rate, Venus sur les reins, & Mercure sur les parties de la génération. Les Alchimistes ayant supposé les mêmes influences des planetes ou des astres auxquels ils donnoient le nom, sur les sept métaux, de façon que chaque planete avoit une action particuliere sur un métal déterminé qui prit en conséquence son nom : ils appellerent l’or, soleil ; l’argent, lune ; le vif-argent, Mercure ; le cuivre, Venus ; le fer, Mars, & le plomb, Saturne. L’analogie qui se trouva entre les noms & les

influences d’une partie du corps & du métal correspondant, fit attribuer à ce métal la vertu spécifique de guérir les maladies de cette partie ; ainsi l’or fut regardé comme le spécifique des maladies du cœur, & les teintures solaires passoient pour être éminemment cordiales ; l’argent fut affecté au cerveau ; le fer au foie, & ainsi des autres. Ils avoient conservé les distinctions des humeurs reçûes chez les anciens en pituite, bile & mélancholie : ces humeurs recevoient aussi les influences des mêmes planetes qui influoient sur les visceres dans lesquels se faisoit leur sécrétion, & leur dérangement étoit rétabli par le même métal qui étoit consacré à ces parties ; de façon que toute leur medecine consistoit à connoître la partie malade & la nature de l’humeur peccante, le remede approprié étoit prêt. Il seroit bien à souhaiter que toutes ces idées fussent aussi réelles qu’elles sont ou qu’elles paroissent chimériques, & qu’on pût réduire la Medecine à cette simplicité, & la porter à ce point de certitude qui résulteroient de la précieuse découverte d’un spécifique assûré pour chaque maladie ; mais malheureusement l’accomplissement de ce souhait est encore très-éloigné, & il est même à craindre qu’il n’ait jamais lieu, & que nous soyons toujours réduits à la conjecture & au tâtonnement dans la science la plus intéressante & la plus précieuse, en un mot où il s’agit de la santé & de la vie des hommes ; science qui exigeroit par-là le plus de certitude & de pénétration. Quelque ridicules qu’ayent paru les prétentions des Alchimistes sur l’influence particuliere des astres & sur l’efficacité des métaux, on a eu de la peine à nier l’action de la lune sur le cerveau des fous, on n’a pas cessé de les appeller lunatiques (σεληνιαζομένους) ; on a conservé les noms planétaires des métaux, les teintures solaires de Minsicht ont été long-tems à la mode, & encore aujourd’hui l’or entre dans les fameuses gouttes du général la Motte ; les martiaux sont toujours & méritent d’être regardés comme très-efficaces dans les maladies du foie ; & l’on emploie dans les maladies chroniques du poumon l’anti-hectique de Poterius, qui n’a d’autre mérite (si c’en est un) que de contenir de l’étain.

Ces mêmes planetes qui, par leur influence salutaire, entretiennent la vie & la santé de chaque viscere particulier, occasionnent par leur aspect sinistre des dérangemens dans l’action de ces mêmes visceres, & deviennent par-là, suivant les Alchimistes, causes de maladie ; on leur a principalement attribué celles dont les causes sont très-obscures, inconnues, la peste, la petite vérole, les maladies épidémiques & les fievres intermittentes, dont la théorie a été si fort discutée & si peu éclaircie. Les medecins qui ont bien senti la difficulté d’expliquer les retours variés & constans des accès fébrils, ont eu recours aux astres, qui étoient pour les medecins de ce tems ce qu’est pour plusieurs d’aujourd’hui la nature, l’idole & l’asyle de l’ignorance. Ils leur ont donné l’emploi de distribuer les accès suivant l’humeur qui les produisoit ; ainsi la lune par son influence sur la pituite étoit censée produire les fievres quotidiennes ; Saturne, à qui la mélancholie étoit subordonnée, donnoit naissance aux fievres quartes ; le cholérique Mars dominant sur la bile, avoit le district des fievres tierces ; enfin on commit aux soins de Jupiter le sang & les fievres continues qui étoient supposées en dépendre. Zacutus lusit. de medic. princip. D’autres medecins ont attribué tous ces effets à la lune ; & ils ont crû que ses différentes positions, ses phases, ses aspects, avoient la vertu de changer le type des fievres, & d’exciter tantôt les tierces, tantôt les quartes, &c. conciliat. de different. febr. 88. Pour compléter les excès auxquels on s’est porté sur l’influence des astres, on pourroit y ajou-