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seront plus sensibles ; ainsi les contractions des arteres étant plus fortes & plus réitérées, le sang abordera à la partie plus abondamment : effet nécessaire de l’action augmentée des vaisseaux : suite manifeste & constante de toute irritation. Mais 1°. le sang ne s’en allant pas en même proportion de la partie enflammée qu’il y aborde, il s’accumulera, distendra les vaisseaux, augmentera le volume de la partie, l’élevera au-dessus du niveau des autres, & produira la tumeur. 2°. La distraction des fibres nerveuses qui forment le tissu des vaisseaux, suivant leur distension trop forte, causera la douleur. 3°. La chaleur augmentera dans la même proportion que l’action réciproque des vaisseaux sur le sang, & du sang sur les vaisseaux ; elle sera d’autant plus forte, que le mouvement progressif sera plus gêné ; elle sera beaucoup aidée par le mouvement intestin, pour lors plus développé, & par un caractere particulier du sang. Voyez Chaleur. 4°. La rougeur sera proportionnée à la quantité du sang arrêté, au nombre de vaisseaux lymphatiques engorgés, &c. Si un sang épais, abondant forme la matiere de l’obstruction, la tumeur sera dure, la rougeur plus vive, la chaleur & la douleur moindres ; l’inflammation sera phlegmoneuse ; si c’est un sang au contraire fluxile, acre, détrempé de bile ou de matiere perspiratoire qui soit arrêté dans les vaisseaux entamés, unique siége de l’érésipele, la tumeur sera très-superficielle, molle, la rougeur très-douce, &c. l’inflammation sera un érésipele.

Si l’irritation est peu considérable, que la douleur ne soit pas trop forte, ces symptômes accompagneront seuls l’inflammation ; & le mouvement des arteres indépendant de celui du sang, ne sera augmenté que dans la partie : cette irritation détermine-t-elle une plus grande quantité de fluide nerveux à la partie, ou ne fait-elle qu’augmenter les vibrations des nerfs ? Il n’y a que de la probabilité de côté & d’autre : un peu plus de connoissance du corps humain pourroit éclaircir la question ; mais c’est une question qui n’est pas de notre sujet, qui seroit inutile & vraissemblablement infructueuse ; ne mêlons point d’ailleurs à nos faits rien d’hypothétique. Par la même raison qu’une légere irritation n’augmente l’action que des nerfs de la partie, & n’excite qu’une fievre locale, une irritation beaucoup plus vive doit, par la communication des nerfs & leur sympathie connue & démontrée par les effets, augmenter le jeu & le mouvement de tous les organes vitaux, c’est-à-dire exciter une fievre générale : aussi voyons-nous que la fievre survient non pas aux inflammations les plus vastes, mais à celles qui sont les plus dolorifiques.

On peut déduire de tout ce que nous avons dit, pourquoi les inflammations de la peau, des parties membraneuses, sont si dolorifiques & si vives ; pourquoi au contraire celles qui ont leur siége dans le parenchime des visceres, sont assez lentes & suivies d’une pesanteur plûtôt que d’une douleur ; pourquoi l’inflammation du foie, qui dépend de l’obstruction des extrémités de la veine porte, est si lourde & si opiniâtre ; pourquoi les enfans, les femmes sont plus sujets à l’inflammation, &c.

Déduisons enfin de notre théorie, pour terminer cette partie, les différentes issues de l’inflammation. Nous en avons compté six : la résolution, la suppuration, la gangrene, l’induration, la terminaison en œdème, & l’exulcération.

1. La résolution se fait lorsque les phénomenes inflammatoires disparoissent sans qu’on observe le moindre dérangement, le plus léger vice dans la partie enflammée ; le sang alors suit ses routes accoutumées, & les vaisseaux restent dans leur entier. Lorsque l’inflammation n’a son siége que dans les extrémités

artérielles sanguines, rien n’est plus simple ; la seule cessation des causes qui avoient déterminé l’inflammation suffit à cet effet ; si c’est une ligature, une compression, un corps étranger, un caustique, &c. ces causes cessant d’agir, l’inflammation se résout, pourvu que l’obstruction ne soit pas trop forte. L’oscillation modérée des vaisseaux rend le sang plus fluide, & son mouvement intestin plus développé par la stagnation, concourt aussi admirablement à sa fluxilité ; ainsi l’inflammation peut être mise dans la classe des maladies qui se guérissent par elles-mêmes. L’impétuosité modérée des humeurs, une certaine souplesse dans les vaisseaux, la qualité d’un sang ni trop épais ni trop acre, mais suffisamment détrempé par la sérosité, favorisent beaucoup la résolution. On voit par-là pourquoi cette terminaison est plus familiere aux érésipeles. Si le sang est arrêté dans les vaisseaux, il faut, pour la résolution, ou qu’il rétrograde, ou qu’il passe des arteres lymphatiques dans les veines correspondantes ; le mouvement des arteres suffit pour faire rétrograder le sang arrêté, ou pour le diviser & le rendre capable de passer par les petits vaisseaux, comme le prouve une observation très-curieuse de Leeuvenhoek. Ce physicien observateur examinoit avec le microscope dans une chauve-souris à demi-morte de froid & d’inanition, cette membrane fine & délicate qui fait les fonctions d’aîle dans cet animal, il n’apperçut d’abord aucun mouvement ; mais cinq à six heures après que la chauve-souris eut été ranimée par la chaleur, il vit avec le microscope dans une artere quelques globules de sang arrêté, qui par les oscillations de cette artere, alloient & revenoient, rétrogradoient & ensuite avançoient dans ces vaisseaux, jusqu’à ce que suffisamment atténués, ils pussent en sortir. Si l’obstruction n’a lieu que dans le commencement des vaisseaux lymphatiques, alors la résolution pourra se faire par rétrogradation ; mais si le sang trop engagé dans les vaisseaux lymphatiques ne peut revenir dans les sanguins, alors il est transmis de ces arteres dans les veines ; & pour qu’il puisse les trouver, il est assez inutile de recourir à la prétendue composition & décomposition d’un globule rouge en six globules séreux ; le sang peut être atténué par les contractions successives des arteres, comme dans l’observation de Leeuvenhock, suffisamment pour pouvoir enfiler les plus petits vaisseaux : bien des observations prouvent en effet que le sang peut traverser, en conservant sa masse & sa couleur, tous les différens ordres des vaisseaux lymphatiques & séreux. Haller dit avoir vû sortir par intervalles de l’hypocondre droit d’une personne, une assez grande quantité de sang sans la moindre blessure. (Oper. practic. pagin. 584.) Moor raconte qu’une fille âgée de 22 ans, bien réglée, eut une hémorrhagie très-considérable par les joues & les bras, sans qu’on pût observer la plus légere solution de continuité. (Præfat. de medicin. instaur.) M. de Lamure, célebre professeur de Montpellier, m’a rapporté avoir vû le canal thorachique tellement gorgé de sang, qu’il en imposoit pour un vaisseau sanguin. Enfin, sans aller entasser d’autres faits aussi concluans, le chien cruellement & fort à propos fouetté par M. Astruc, présente un exemple incontestable d’une semblable résolution.

Si par une passion d’ame vive, ou quelqu’autre cause subite, ou même par l’application de quelques répercussifs trop énergiques, ou appliqués à contretems, la tumeur inflammatoire disparoît tout-à-coup ; c’est le cas de la délitescence. Elle se fait par la retrogradation du sang inflammatoire dans les vaisseaux plus considérables, d’où il se jette souvent sur quelqu’autre partie ; ce transport, ce changement s’appellent μετάστασις, métastase.