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ture pour expliquer les lampes éternelles de Descartes, dont on constata la fausseté. Cette lymphe qui reste dans le sang sert encore à expliquer la force des contractions du cœur, qu’on croit devoir être jointes à la vitesse pour faire la fievre ; car par son moyen la masse du sang augmentera. D’où il suivroit que la fievre sera proportionnée à la quantité de lymphe qui restera dans le sang ; & qu’ainsi une inflammation très étendue (pour ne pas aller chercher d’autres exemples étrangers, aussi contraires à cette assertion) sera toûjours suivie d’une fievre considérable ; & une inflammation qui occupera peu d’espace, dans laquelle peu de vaisseaux lymphatiques seront embarrassés par ces prétendues parties fibreuses, ne sera jamais suivie de la fievre : mais la fievre aiguë qui survient aux panaris, & mille autres observations, font voir tout le faux & l’insuffisance de cette théorie.

Le grand Boerhaave & l’illustre Swieten, le commentateur de ses fameux & obscurs aphorismes, admettent aussi à-peu-près la même opinion ; ils y ajoutent un certain broyement du sang qui se fait dans les vaisseaux obstrués par la contraction de ces mêmes vaisseaux, & par l’impulsion du sang qui aborde continuellement avec la même vitesse, ou une plus grande ; du reste, c’est encore ici un sang qui va au cœur par des chemins plus courts, dont la masse est aussi augmentée. Il faut, disent-ils, ou que ce sang surabondant reste dans les vaisseaux libres, ou il doit en sortir avec plus de vitesse : l’un des deux est assurément indispensable ; l’observation & l’expérience que le commentateur a fait sur un chien, font voir qu’il n’y reste pas ; donc, concluent-ils, sa vitesse augmente. D’ailleurs la pléthore suffit, selon qu’ils l’exposent ailleurs, pour déterminer le cœur à des contractions plus violentes & plus réitérées. Quoique la fausseté de cette théorie qui est pourtant encore la plus reçue dans les écoles, appuyée du grand nom de Boerhaave, soit assez démontrée par ce que nous avons dit, je remarquerai que son broyement est purement imaginaire ; que sa pléthore loin de produire la fievre, doit retarder les contractions du cœur ; aussi voyons-nous que le pouls des personnes pléthoriques est remarquable par sa lenteur : concluons aussi que suivant ces systèmes, une personne qui aura la moitié du corps gangrenée, par exemple, devra avoir une fievre extrèmement aiguë, dont la force sera en raison composée de l’augmentation des humeurs & de la briéveté de leur chemin. Remarquons enfin, pour en déterminer la nouveauté, que cette stagnation d’un sang broyé & en mouvement de nos modernes, ne differe pas beaucoup de la congestion d’un sang agité & bouillant que Galien avoit établi.

Les éclectiques ou animistes, avec Stahl, ou plutôt Hippocrate leur chef, voyant ou croyant voir l’impossibilité de déduire tous les mouvemens humains d’un pur méchanisme, ont recouru à une puissance hyper-méchanique, qu’ils en ont fait le premier auteur. Cette puissance ou faculté motrice est connue dans les ouvrages d’Hippocrate, Galien & autres illustres peres de la Medecine ancienne, sous les noms de nature, d’ame, de chaud inné, d’archée, de chaleur primordiale effective, &c. Tous ces noms étoient synonymes & indifféremment employés pour désigner l’ame, comme on peut le voir par une foule de passages d’Hippocrate, & comme Galien le dit expressément dans le livre intitulé, περὶ ῥίγους καὶ τρόμου, où il s’exprime ainsi : καὶ ἥ γε φύσις καὶ ἡ ψυχὴ οὐδὲν ἄλλο ἢ τοῦτ’ ἔστιν, la nature & l’ame ne sont rien autre chose. Dans les maladies les anciens croyoient reconnoître son ouvrage bienfaisant, αἱ δὲ φύσιες, dit Hippocrate, Epid. lib. VI. τῶν νούσων ἰητροὶ, & ils la regardoient dans l’état de santé comme un principe veillant à la

conservation du corps attirant ce qui lui paroissoit bon, le retenant, assimilant ce qui pouvoit contribuer à la nutrition de son domicile, & chassant ce qui ne pouvoit que lui être nuisible. Galen. de disser. febr. lib. II. cap. xj.

Stahl a renouvellé, corrigé, châtié, ou pour mieux dire, habillé à la moderne le sentiment des anciens qu’on a vu depuis se glorifier du beau nom de stahlianisme. L’appui d’un si grand maître a attiré beaucoup de sectateurs à cette opinion. On a cru voir l’ame ou la nature, bonne & prévoyante mere, opérer avec choix & succès, quoiqu’à l’aveugle, guérir obligeamment des maladies qu’elle ne connoît pas, & manier avec intelligence des ressorts dont la structure & le méchanisme lui sont aussi cachés : qu’importe ? On a observé dans l’éternuement une quantité de muscles mis en jeu & mûs d’une façon particuliere très appropriée pour balayer & emporter les parties acres qui irritoient la membrane pituitaire ; dans le vomissement, un méchanisme très-joliment imaginé pour dégager l’estomac surchargé, sans chercher, sans faire attention que ces effets auroient peut être pû être exécutés avec moins d’efforts & moins de dépense de fluide nerveux. On a crié que ces opérations se faisoient le mieux qu’il fut possible dans la plus parfaite des machines, & conséquemment par la plus spirituelle & la plus bienfaisante des intelligences ; tous les visceres, tous les vaisseaux sont parsemés de nerfs, qui semblent être ses émissaires & ses espions qui l’avertissent des irritations, des dérangemens qui demandent son action ; ils sont munis & entourés de fibres musculaires propres à exécuter les mouvemens que l’ame juge nécessaires.

Cela posé, pour expliquer l’inflammation, les Stahliens supposent la stagnation du sang dans les vaisseaux capillaires ou dans les pores, comme parle Stahl ; l’ame dès lors attentive à la conservation de sa précieuse machine, prévoyant le mal qui arriveroit si le sang croupissoit long-tems immobile dans les vaisseaux, envoie une plus grande quantité de fluide nerveux dans les vaisseaux obstrués & circonvoisins pour emporter cette obstruction. Si l’inflammation est plus considérable, ou plûtôt si la douleur plus vive la lui fait paroître telle, & le danger plus pressant, l’ame en général instruite proportionnera le remede à la grandeur du péril ; voyant l’insuffisance du premier secours, augmentera par tout le corps (assez inutilement) le mouvement du cœur & des arteres ; ce qui quelquefois résoudra l’inflammation ; d’autres fois la fera gangrener, si un médecin attentif ne sait pas modérer la fougue & l’ardeur de ce principe impétueux ; si le sort du combat est malheureux, que la maladie ait le dessus, c’est au défaut des forces, à la mauvaise disposition des organes que le peu de succès doit être attribué, & quelquefois aussi, remarque fort naïvement Neuter, fervent animiste, aux erreurs de l’ame, qui pouvant se tromper, & se trompant en effet très-souvent dans les choses morales, ne doit pas être censée infaillible dans celles qui concernent la conservation de la vie & de la santé.

Cette théorie, qui paroît d’abord très-satisfaisante, & qui est sur-tout assez conforme à la pratique, a été mise dans un très beau jour, & fort savamment exposée dans une très-belle & très-géométrique dissertation, que M. de Sauvages a fait soutenir il y a quelques années aux écoles de Médecine de Montpellier.

Quelles que soient cependant les autorités & les apparences de cette opinion, elle est fondée sur un principe dont la vérité ne paroît pas incontestable : c’est l’ame, dit-on, qui est la cause efficiente de l’inflammation, parce qu’elle est le principe des mouvemens vitaux ; quelques effets que les passions d’a-