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préparées de plus loin. Ces cas ne sont pas rares ; cependant c’est communément le concours des causes extérieures & des dispositions particulieres qui produit les indigestions graves. Comme il n’y a que ce concours qui vraissemblablement puisse produire une maladie proprement dite. Voyez Maladie.

Les indigestions que j’ai appellées infaillibles, étant comme ce nom même l’exprime, des accidens toûjours prévus, elles peuvent toûjours être détournées par un régime convenable ; & c’est presque à les prévenir, que se borne uniquement le secours que l’art peut fournir dans ce cas ; car ces indigestions surviennent à des sujets si foibles, ou d’ailleurs si malades, qu’ils y succombent le plus souvent, ou du moins que leur mort en est considérablement hâtée. Au reste elles indiquent, lorsqu’elles ne sont pas absolument incurables, les secours communs aux indigestions graves en général ; secours que nous indiquerons dans la suite de cet article.

Les indigestions legeres, celles qu’éprouvent les sujets sains & vigoureux, se terminent ordinairement d’elles-mêmes par une abondante purgation, soit par le vomissement & par les selles, soit par les selles seulement, ce qui s’appelle percer ; une pareille indigestion doit être regardée comme un effort critique, suivi de l’effet le plus complet ; ou si l’on veut, comme l’action d’une forte medecine, comme une superpurgation plus ou moins modérée.

Les malades & les Medecins ont coûtume de seconder cette évacuation spontanée par une boisson abondante d’une liqueur aqueuse tiede, ou même par quelques grains de tartre stibié donnés soit en lavage, soit en une seule dose. Ces secours abregent en effet le mal aise souvent très-incommode, les angoisses, la douleur ; mais il est sûr qu’ils ne sont pas nécessaires, & qu’une courageuse expectation suffiroit le plus souvent. Il est plus généralement utile de donner après que les évacuations spontanées ont presque entierement cessé, un purgatif doux, & dont l’effet se borne, autant qu’il est possible, à entraîner le reste des alimens non digérés, & quelques sucs, dont l’excrétion a été vraissemblablement augmentée, forcée pendant l’indigestion. Les eaux minérales purgatives sont éminemment propres à remplir cette indication.

Les indigestions qui se présentent sous l’apparat le moins effrayant, qui ont d’abord le caractere par lequel nous avons défini les indigestions legeres, & lors même qu’elles tendent à la solution de la maniere la plus avantageuse, qu’elles percent ; ces affections, dis-je, qui selon ce que nous venons de faire entendre, méritent à peine le nom d’incommodité chez les personnes saines & vigoureuses, ne doivent pas être regardées comme une affection d’aussi peu de conséquence chez les sujets mal constitués dont nous avons fait mention plus haut. Elles peuvent dans tous les tems de l’attaque dégénérer en indigestion grave. On ne sauroit trop se hâter, sur-tout dans les sujets humides, pléthoriques, lourds, chargés d’embonpoint, sujets aux affections soporeuses, de dégager l’estomac & les intestins par le secours de puissans évacuans, & sur-tout du tartre émétique donné d’abord à assez haute dose pour vuider l’estomac, & ensuite très-étendu & mêlé à la manne, ou aux sels purgatifs, ou bien dissous dans une eau minérale, chargée d’un sel ou de sels neutres.

L’indigestion grave est relativement à sa terminaison accompagnée de vomissement, ou d’évacuation par les selles ; ou bien elle n’est point accompagnée de ces évacuations, & elle s’appelle dans le langage ordinaire indigestion seche. La derniere est communément regardée comme plus dangereuse que la premiere ; mais cette opinion n’est pas confirmée par l’expérience. Il n’est pas rare de voir, sur-tout chez

des hommes mélancholiques & chez des femmes vaporeuses, des indigestions seches, accompagnées de gonflement considérable du bas-ventre, de douleurs de colique très-cruelles, de borborygmes énormes, de convulsions, de fiévre, se dissiper en deux ou trois jours sans aucun secours médicinal, ou tout au plus par celui de quelques lavages, & moyennant la diete la plus sévere ; & n’être terminées par aucune évacuation abdominale, mais seulement par la voie de la transpiration & par l’écoulement de quelques urines troubles : & d’un autre côté des indigestions qui produisent de bonne heure le vomissement, n’en sont pas moins suivies pour cela des accidens les plus funestes, d’affections convulsives ou soporeuses, d’inflammations du bas-ventre, d’une fiévre prolongée, & qui devient une seconde maladie susceptible de toutes les diverses déterminations vers la poitrine, la tête, les visceres du bas ventre, & de tous les caracteres de maladie humorale, nerveuse, maligne, &c. Voyez Maladie.

L’indigestion grave n’a pas, comme on voit par ce court exposé, un caractere constant & une marche uniforme, d’après quoi on puisse établir une méthode curative générale ; on peut avancer seulement que l’administration convenable des boissons aqueuses & des divers évacuans, soit émétiques, soit purgatifs, doit fournir la base de la curation dans tous les cas.

C’est un ancien dogme en Medecine, de ne pas saigner dans les indigestions, non plus que pendant l’effet d’un purgatif, dans les coliques d’estomac, & dans les coliques intestinales. Les Medecins s’en sont un peu écartés dans le traitement des coliques, vraissemblablement mal-à propos : l’observation a prouvé que la saignée étoit presque constamment funeste pendant l’action d’un vrai purgatif. Quelques medecins mettent aujourd’hui en problème si on doit saigner dans les indigestions, voyez Journal de Medecine, Février 1759 ; & la mode paroît même être sur le point de se décider pour l’affirmative. Car la pléthore, les érétismes, l’engorgement du cerveau annoncé par l’assoupissement, le délire, les convulsions, sont des états que la théorie courante a si fort réalisés, & qu’elle a soumis si exclusivement, aussi bien que la violence de la fiévre, à l’action victorieuse de la saignée, que certes il est difficile de renoncer à la conséquence pratique qui découle naturellement de ses principes. Aussi est-il déja écrit qu’il faut saigner dans les indigestions, lorsque la fiévre est violente, la pléthore évidente, &c. voyez Journal de Medecine à l’endroit déja cité. Mais j’ose l’avancer avec assurance : cette pratique est proscrite par trop d’événemens malheureux. Les raisons sur lesquelles on l’a appuyée jusqu’à présent sont, s’il est permis d’ainsi parler, si rationelles ; & la distinction des cas qu’on a voulu assigner les uns à l’émétique, les autres à la saignée, cette distinction sur laquelle on l’établit principalement, constitue une division si incomplette, puisqu’on a omis ceux qu’il falloit livrer à l’expectation ou au rien-faire ; l’utilité de la saignée est si peu manifestée par des faits ; d’ailleurs l’analogie des funestes effets de la saignée pendant l’action réelle d’un purgatif, est si frappante ; l’induction plus générale à tirer de ce que l’indigestion est un effort critique très-évident, très actuel, très présent, & du trouble dangereux que la saignée a coutume de jetter dans un pareil travail ; enfin, le peu de valeur réelle de la saignée en soi, & comme secours véritablement curatif ; toutes ces considérations doivent faire prévaloir l’ancienne pratique, rendre la saignée scrupuleusement prohibée dans l’indigestion proprement dite, pendant tout le tems où l’on peut raisonnablement soupçonner l’action des alimens non digérés sur l’esto-