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soutenue & bien dirigée, elle trouvera toujours en elle-même la consommation de ses retours que nous portons même déja chez nos voisins. Elle a la propriété de Ponticheri qui lui assure le commerce de la côte de Coromandel & de Bengale, les îles de Bourbon & Maurice, la quantité de fonds & de vaisseaux nécessaires, la représentation de ses actions sur la place qui lui font une seconde valeur réelle, circulante, & libre, des fondemens peut-être équivalens à ceux de la compagnie des Indes d’Angleterre, & des établissemens solides, quoique beaucoup moins étendus que ceux de la Compagnie des Indes orientales de Hollande. Enfin ses retours sont très-considérables, puisqu’ils vont présentement (1752) à plus de 24 millions par an. (D. J.)

Indes, (Compagnie Hollandoise des.) Commerce. Il y a en Hollande deux Compagnies des Indes, l’orientale & l’occidentale, dont je vais parler en peu de mots, bien fâché de ne pouvoir m’étendre.

De la Compagnie orientale. Le desespoir & la vengeance, dit M. Savary, & il dit bien vrai, furent les premiers guides qui apprirent le chemin des Indes aux Hollandois, cette nation née pour le commerce. L’Espagne leur ayant fermé tous ses ports, & sous le prétexte de la religion, les persécutant avec une rigueur, pour ne pas dire avec une barbarie extrème, ils entreprirent en 1595 d’aller chercher en Asie le commerce libre & assuré qu’on leur refusoit en Europe, afin d’acquérir des fonds pour entretenir leurs armées, & maintenir leurs privileges & leur liberté.

La nécessité inspira en 1594 à quelques Zélandois encouragés par le P. Maurice, le projet de se frayer une nouvelle route pour la Chine & les Indes orientales par le nord-est, comme on vient de le tenter tout récemment avec quelque vraissemblance de succès ; mais d’un côté les froids extrèmes de la nouvelle Zemble, & de l’autre les glaces impénétrables du détroit de Weigatz, ruinerent & rebuterent les escadres qui y furent alors envoyées, de même qu’elles rebuterent les Anglois qui dès l’an 1553 avoient travaillé à la même recherche.

Cependant, tandis que les armateurs de Zélande tentoient inutilement & malheureusement ce passage, d’autres compagnies prirent avec succès en 1595 la route ordinaire des Portugais, pour se rendre en Asie. Cette derniere entreprise fut si heureuse, qu’en moins de sept ans divers particuliers armerent jusqu’à dix ou douze flottes qui presque toutes retournerent avec des profits immenses.

Les états généraux appréhendant que ces diverses compagnies particulieres ne se nuisissent, leurs directeurs furent assemblés, & consentirent à l’union, dont le traité fut confirmé par leurs H. P. le 20 Mars 1602, époque bien remarquable, puisqu’elle est celle du plus célebre, du plus durable, & du plus solide établissement de commerce qui ait jamais été fait dans le monde.

Le premier fonds de cette compagnie fut de 6 millions 600 mille florins (environ 13 millions 920 mille livres de notre monnoie) & les états généraux lui accorderent un octroi ou concession exclusive pour 21 ans. Par cet octroi déjà renouvellé cinq fois (en 1741), & qui coûte à chaque renouvellement environ 2 millions de florins à la compagnie, elle a droit de contracter des alliances, de bâtir des forteresses, d’y mettre des gouverneurs & garnisons, des officiers de justice & de police, en faisant néanmoins les traités au nom de leurs H. P. auquel nom se prêtent aussi les sermens des officiers tant de guerre que de justice. Soixante directeurs partagés en diverses chambres, font la régie de la compagnie, & l’on sait qu’il n’est rien de plus sage & de plus prudemment concerté que la police & la discipline avec laquelle tout y est réglé.

Les Hollandois, après avoir été quelque tems sur la défensive, attaquerent au fond de l’Asie ces mêmes maîtres qui jouissoient alors des découvertes des Portugais, les vainquirent, les chasserent, & devinrent en moins de 60 ans les souverains de l’orient. La compagnie formée en 1602 gagnoit déjà près de 3 cent pour cent en 1620. Elle a choisi le cap de bonne Espérance pour le lieu des rafraichissemens de ses flottes ; elle a établi dans les Indes orientales 40 comptoirs, bâti 25 forteresses, entr’autres en 1619, & pour le centre de son commerce, la ville de Batavia, la plus belle de l’Asie, dans laquelle résident plus de 30 mille Chinois, Javanois, Chalayes, Amboiniens, &c. & où abordent toutes les nations du monde.

De plus, cette compagnie a ordinairement dans les Indes plus de 100 vaisseaux depuis 30 jusqu’à 60 pieces de canon, 12 à 20 mille hommes de troupes réglées, un gouverneur qui ne paroît en public qu’avec la pompe des rois, sans que ce faste asiatique, dit M. de Voltaire, corrompe la frugale simplicité des Hollandois en Europe. Heureux ! s’ils savent la conserver en rappellant le commerce général qui s’échappe tous les jours de leurs mains par plusieurs détours, passe dans le nord, ou se fait ailleurs directement sans leur entremise.

En effet il faut convenir que le commerce & cette frugalité sont l’unique ressource des provinces unies ; car quoique leur compagnie orientale se trouve la seule qui ait eu le bonheur de se maintenir toujours avec éclat sur son premier fonds, sans aucun appel nouveau, ses grands succès sont en partie l’effet du hasard qui l’a rendue maîtresse des épiceries ; trésors aussi réels que ceux du Pérou, dont la culture est aussi salutaire à la santé, que le travail des mines est nuisible, trésors enfin dont l’univers ne sauroit se passer. Mais si jamais ce hasard, ou plûtôt la jalousie éclairée, l’industrie vigilante, offre à quelqu’autre peuple la culture de ces mêmes épiceries si enviées, alors cette célebre compagnie aura bien de la peine à soutenir les frais immenses de ses armemens, de ses troupes, de ses vaisseaux, de la régie de tant de forteresses & de tant de comptoirs. Déjà depuis plusieurs années quelques nations de l’Europe sont en concurrence avec elle pour le poivre qu’elle ne fournit presque plus à la France en particulier. Déjà,… Mais qu’on jette seulement les yeux sur le sort de la compagnie occidentale.

De la compagnie occidentale. Elle commença en 1621, avec les mêmes lois, les mêmes privileges que la compagnie orientale, & même avec un fonds plus considérable, car il fut de 7 millions 200000 florins, partagés en actions de 6000 florins argent de banque, ce qui fit en tout 1200 actions, & les états généraux pour favoriser cette compagnie, lui firent présent de trois vaisseaux montés de 600 soldats. Ses conquêtes & ses espérances furent d’abord des plus brillantes. Il paroît par les registres de cette compagnie, que depuis l’an 1623 jusqu’en 1636, elle avoit équipé 800 vaisseaux tant pour la guerre que pour le commerce dont la dépense montoit à 451 millions de florins, & qu’elle en avoit enlevé aux Portugais ou aux Espagnols 545 qu’on estimoit 60 millions de florins, outre environ 30 millions d’autres dépouilles. Elle fut pendant les premieres années en état de faire des répartitions de 20, 25 & 50 pour cent. Elle s’empara de la baie de tous les Saints, de Fernanbouc, & de la meilleure partie du Brésil.

Cependant cette rapide prospérité ne fut pas de longue durée. Ces conquêtes même si glorieuses & si avantageuses l’engagerent à faire des efforts qui l’épuiserent : d’autres causes qu’il seroit inutile de rapporter, concoururent à son désastre : il suffira de dire qu’elle perdit ses conquêtes, qu’elle n’a jamais