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stion à des financiers plus qu’à des négocians, la guerre de 1667 pour les droits de la reine, qui n’étoient rien moins qu’incontestables ; celle de 1672 contre la Hollande, que Louis XIV. vouloit détruire, parce qu’elle étoit riche & fiere ; la perte des escadres envoyés aux Indes dans ce tems-là ; enfin, les guerres ruineuses pour la nation depuis le commencement du siecle jusqu’à la paix d’Utrecht, réduisirent les choses en un tel état, que ce qui a subsisté de cette compagnie, ou plûtôt celles qui se formerent de ses débris en diverses fois jusque en 1719, n’en ont été proprement que l’ombre & le squelete.

Mettons dans ce rang la cession que la Compagnie fit de son commerce & de ses priviléges en 1710 à de riches négocians de S. Malo, qui se chargerent du négoce des Indes orientales, moyennant dix pour cent qu’ils donnoient du total de la vente des marchandises qu’ils en rapportoient. Ce commerce languit d’abord dans leurs mains, & il étoit trop foible pour remplir nos besoins. Il nous falloit toûjours acheter de nos voisins la plus grande partie des marchandises qui venoient en Europe des pays orientaux, servitude onéreuse à l’état, dont Colbert avoit voulu l’affranchir.

Dans cette même vûe, pour profiter des grandes dépenses qui avoient été faites à ce sujet depuis 55 ans, & pour ne pas laisser un si beau dessein sans effet, M. Law, cet illustre écossois, auquel nous devons l’intelligence du commerce, & qui cependant a été chassé de France, & est mort dans la misere à Venise ; M. Law, dis-je, qui en Mai 1716, avoit établi une banque générale en France, & une compagnie de commerce, sous le nom de Compagnie d’occident avec des actions, ôta la compagnie des Indes aux Malouins, & réunit cette compagnie au mois de Mai 1719, à celle d’occident. On nomma la nouvelle compagnie, Compagnie des Indes. C’est celle qui subsiste aujourd’hui ; & elle est le seul vestige qui nous reste du grand & noble système de M. Law.

Cette réunion fit bien-tôt monter les anciennes actions de la compagnie d’occident, qui n’étoient qu’au pair, à 130 pour cent. La confiance augmentant, on souscrivit en moins d’un mois pour plus de 50 millions d’actions. Par arrêt du 11 Octobre 1719, les 50 millions furent poussés jusqu’à 300 millions. En un mot, pour abréger, il y eut sept créations d’actions, montant à 624 mille, nombre à la vérité prodigieux, mais qui n’auroit pas été au-delà des forces de la compagnie, si elle n’avoit promis un dividende de 200 livres par action ; ce qui étoit beaucoup au-dessus de son pouvoir : aussi les actions furent-elles réduites à 200 mille dans la suite.

Cependant le crédit de la Compagnie des Indes, soutenu des progrès de la banque royale, fut si singulier, qu’en Novembre 1719, on vit avec une extrême surprise les actions monter à 10000 livres (vingt fois plus que leur premiere valeur), malgré la compagnie même, qui pour les empêcher de monter, en répandit en une seule semaine pour 30 millions sur la place, sans pouvoir les faire baisser.

Plusieurs causes, comme nous allons le dire d’après M. Dutôt qui a écrit sur ce sujet un livre admirable pour la profondeur & la justesse, contribuerent à cette prodigieuse augmentation. 1°. L’union de la ferme du tabac. 2°. Celle des compagnies. 3°. Celle des monnoies & affinage. 4°. Celle des fermes générales. 5°. Celle des recettes générales. 6°. Le défaut d’emploi des deniers provenans des remboursemens des rentes sur la ville & charges supprimées. 7°. Le prêt de 2500 livres que faisoit la banque sur chaque action, moyennant 2 pour cent par an d’intérêt. 8°. Enfin les gains faits, & le desir d’en faire, porterent les choses à cet excès.

La Compagnie des Indes prêta 160 millions à Sa Majesté pour rembourser pareille somme sur les 2 milliards 62 millions 138 mille livres en principal, que le Roi devoit à son avenement à la couronne. La compagnie retenoit par ses mains sur les revenus de Sa Majesté pour l’intérêt de son prêt, 48 millions, non compris son bénéfice sur les fermes, sur le tabac, sur les monnoies, & sur son commerce des deux Indes ; de sorte que ses bénéfices pouvoient égaler sa recette au moment que le nombre de ses actions fut réduit à 200 mille.

Cependant l’union de la banque à cette compagnie qui devoit ce semble leur servir d’un mutuel appui, devint par la défiance, l’artifice & l’avidité, le terme fatal où commença la décadence de l’une & de l’autre. Les billets de la banque tomberent dans le discrédit, de même que les actions de la compagnie, le 10 Octobre 1720, tems où les billets de banque furent supprimés, & le crédit de l’état bouleversé. La banque périt entierement, & la compagnie des Indes fut prête à être entraînée par sa chûte, si l’on n’avoit fait des efforts depuis 1721 jusqu’en 1725 pour soutenir cette compagnie. Dans ladite année 1725 le Roi donna finalement au mois de Juin deux édits enregistrés au Parlement, l’un portant confirmation des privileges accordés à ladite compagnie pendant les années précédentes, & l’autre sa décharge pour toutes ses opérations passées.

Ce sont les deux principaux édits qui ont fixé l’état & le commerce de cette compagnie sur le pié où elle est. Je ne suivrai point depuis lors jusqu’à ce jour ses prospérités, ses malheurs, ses vicissitudes, ses traverses, ses contradictions, ses emprunts, ses améliorations, & ceux dont elle est encore susceptible. Tout cela n’est point du ressort de cet ouvrage, & d’ailleurs on ne pourroit guere en dire son sentiment sans risquer de déplaire.

Je me contenterai seulement de remarquer que c’est à tort que dans le tems des adversités de cette compagnie, on proposa sa destruction, & l’abolition du commerce des Indes, comme un établissement à charge à l’état ; les partisans de l’ancienne économie timide, ignorante & resserrée, déclamoient de même en 1664, ne faisant pas réflexion que les marchandises des Indes devenues nécessaires, seroient payées plus chérement à l’étranger. 2°. Si l’on porte aux Indes orientales plus d’especes qu’on n’en retire, ces especes qui viennent du Pérou & du Méxique, sont le prix de nos denrées portées à Cadix. 3°. Il faut encore considérer ce commerce par rapport aux épiceries, aux drogues, & aux autres choses qu’il nous procure, que nos provinces ne produisent pas, dont nous ne pouvons nous passer, & que nous serions obligés de tirer de nos voisins. 4°. La construction & l’armement de nos vaisseaux qui les vont chercher, se faisant dans le royaume, l’argent qu’on y emploie n’en sort point : il occupe du monde, il éleve des hommes à la mer, c’est un grand avantage pour l’état. Ainsi, bien loin que ce commerce soit à charge à la France, elle ne sauroit trop le protéger & l’augmenter. Il ne détruit point les autres branches de négoce qui n’ont jamais été si florissantes. La quantité de vaisseaux pour l’Amérique est presque triplée depuis la régence. Quelles autres lumieres voulons-nous pour nous éclairer ? 5°. Enfin il est de la bonne politique de pouvoir être informé avec certitude de tout ce qui se passe dans les autres parties du monde, à cause des établissemens qu’y ont les autres nations, ce qui ne se peut faire qu’en y commerçant. Le grand Colbert sentoit bien ces avantages, & le gouvernement présent connoît de plus en plus cette nécessité & l’utilité de ce commerce, puisqu’il le protege puissamment.

Concluons que tant que cette compagnie sera