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s’exécutoit avec de l’or ou de l’argent pur. Cette sorte d’incrustation se pratiquoit en deux manieres ; savoir, ou par simples feuilles d’or & d’argent battu, ou par lames solides de l’un & de l’autre métal. Les Romains firent des dépenses incroyables en ce genre.

La dorure en feuilles du temple de Jupiter Capitolin par Domitien, coûta seule plus de douze mille talens, c’est-à-dire, plus de trente-six millions de nos livres. Plutarque, après avoir parlé de cette dorure somptueuse du capitole, ajoute : si quelqu’un s’en étonne, qu’il visite les galeries, les basiliques, les bains des concubines de Domitien, il trouvera bien dequoi s’émerveiller davantage.

La mode s’etablit chez les particuliers de faire dorer les murs, les planchers & les chapiteaux des colomnes de leurs maisons. Laquearia, quæ nunc, & in privatis domibus auro teguntur, e templo Capitolino, transiere in cameras, in parietes quoque, qui jam & ipsi, tanquam vasa inaurantur, nous dit Pline, liv. XXXV, cap. iij.

C’étoit une chose ordinaire à Rome du tems de Properce, de bâtir de marbre de Ténare, & d’avoir des planchers d’ivoire sur des poutres dorées. Les deux vers suivans l’indiquent.

Quod non Toenaris domus est mihi fulta metallis,
Nec camera auratas inter eburna trabes.

Propert. Eleg. 5.

L’autre incrustation d’or consistoit en lames solides de ce métal, passées par les mains des Orfevres, & appliquées aux poutres, lambris, solives des maisons, portes des temples, & maçonnerie d’amphitéatres. Ces lames d’or sont désignées dans les auteurs par ces mots, crassum, vel solidum aurum, pour les distinguer des feuilles d’or battu, qu’ils nommoient bracteas, & qui servoient aux simples dorures : il faut bien que cet usage d’incrustation de lames d’or fût commun sous l’empire de Domitien, puisque Stace parlant du tems où l’ancienne frugalité regnoit encore, dit dans sa Thébaïde, liv. I.

Et nondùm crasso laquearia fulta metallo,
Montibus aut late Graiis effulta nitebant
Atria.

Lucain nous assure que les poutres du palais de Cléopatre avoient été couvertes de ces incrustations de lames d’or ; ce qu’il met au rang des superfluités des siecles les plus corrompus, qui les eussent à peine souffertes dans un temple.

Ipse locus templi (quod vis corruptior ætas
Exstruat) instar erat ; laqueataque tecta ferebant
Divitias, crassumque trabes absconderat aurum.

Toutefois rien ne ressemble en ce genre à la magnificence presque incroyable que déploya Néron, en faisant revêtir intérieurement de lames d’or tout le théatre de Pompée, lorsque Tiridate, roi d’Arménie, vint le voir à Rome, & même pour n’y demeurer qu’un seul jour : aussi ce jour, tant à cause de la dorure de ce théatre, que pour la somptuosité de tous les vases & autres ornemens dont on l’enrichit, fut appellé le jour d’or. Claudii successor Nero, Pompeii theatrum operuit auro in unum diem, quòd Tiridati, regi Armeniæ ostenderet, dit Pline, liv. XXXIII, cap. iij. Ce n’est donc pas ridiculement que le poëte Asconius, parlant de la ville de Rome, la caractérise en ces termes :

Prima urbs inter Divûm domus, aurea Roma.

Quant aux lames d’argent, Séneque nous raconte que les femmes de son siecle avoient leurs bains pavés d’argent pur, ensorte que le métal employé pour la table, leur servoit aussi de marche-pié. Argento fæminæ lavantur, & nisi argentea sint solia, fastidiunt, eademque materia & probris serviat, & cibis.

On en étoit venu jusqu’à enchâsser dans le par-

quetage des appartemens, des perles & des pierres

précieuses. Eò deliciarum pervenimus, ut nisi gemmas calcare nolimus. Et Pline dit à ce sujet qu’il ne s’agissoit plus de vanter des vases & des coupes enrichies de pierreries, puisque l’on marchoit sur des bijoux, que l’on portoit auparavant seulement aux doigts.

Stace n’a point oublié ce trait de luxe effréné, lorsque décrivant une maison de campagne appartenante à Manlius Vopiscus, il ajoute :

Vidi artes, veterumque manus, variisque metalla
Viva modis : labor est, auri memorare figuras :
Aut ebur, aut dignas digitis contingere gemmas.
Dùm vagor aspectu, visusque per omnia duco,
Calcabam, nec opimus opes.
Lib. sylvar. Manlii Vopisci.

Le quatrieme genre d’incrustations, sur lequel je serai court, consistoit en ouvrages de marqueterie & de mosaïque, opera tessellata, musiva, lithostrata, & cerostrata, dont on décoroit aussi les palais & les maisons particulieres. Dans ces sortes d’incrustations, différentes en forme & en matiere, on employoit aux ouvrages deux sortes d’émaux, les uns & les autres faits sur tables d’or, de cuivre ou autre métal, propres à recevoir couleurs & figures par le feu. Quand ces émaux étoient de pieces ou tables quarrées, on les appelloit abacos ; quand elles étoient rondes, on les nommoit specula & orbes.

Un homme se croyoit pauvre si tous les appartemens de sa maison, chambres & cabinets ne reluisoient d’émaux ronds ou quarrés, d’un travail exquis, si les marbres d’Alexandrie ne brilloient d’incrustations numidiennes, & si la marqueterie n’étoit si parfaite qu’on la prît pour une vraie peinture.

Mais que Séneque avoit raison d’apprécier en sage tous ces sortes d’ornemens à leur valeur réelle ! C’est un beau morceau que celui de l’épître 115, dans laquelle il fait la réflexion suivante. « Semblables, dit-il, à des enfans, & plus ridicules qu’eux, nous nous laissons entraîner à des recherches de fantaisie, avec une passion aussi coûteuse qu’extravagante. Les enfans se plaisent à amasser, à manier de petits cailloux polis qu’ils trouvent sur le bord de la mer ; nous, hommes faits, nous sommes fous de taches & de variétés de couleurs artificielles, que nous formons sur des colomnes de marbre, amenées à grands frais des lieux arides de l’Egypte, ou des deserts d’Afrique, pour soutenir quelque galerie. Nous admirons de vieux murs que nous avons enduits de feuilles de marbre, sachant bien le peu de prix de ce qu’elles cachent, & ne nous occupant que du soin de tromper nos yeux, plûtôt que d’éclairer notre esprit. En incrustant de dorures les planchers, les plafonds & les toîts de nos maisons, nous nous repaissons de ces illusions mensongeres, quoique nous n’ignorions pas que sous cet or il n’y a que du bois sale, vermoulu, pourri, & qu’il suffisoit de changer contre du bois durable & proprement travaillé ». (D. J.)

* INCUBATION, s. f. (Gram. & Hist. nat.) il se dit de l’action de la femelle des oiseaux, lorsqu’elle se met & demeure sur ses œufs pour les couver. La durée de l’incubation n’est pas la même pour tous les oiseaux.

INCUBE, s. m. (Divinat.) nom que les Démonographes donnent au démon quand il emprunte la figure d’un homme pour avoir commerce avec une femme.

Delrio, en traitant de cette matiere, pose pour premier axiome incontestable que les sorcieres ont coutume d’avoir commerce charnel avec les démons, & blâme fort Chytrée, Wyer, Biermann, Godelman, d’avoir été d’une opinion contraire, aussi-bien que Cardan & Jean-Baptiste Porta, qui ont regardé ce commerce comme une pure illusion.