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Les Furies, nées selon Hésiode, du sang d’un pere outragé par son fils, de Célus mutilé par Saturne, étoient les ministres infatigables des vengeances paternelles. C’étoit à elles que les peres dans l’excès de leur colere, adressoient les imprécations contre leur propre sang ; & s’ils appelloient quelque autre divinité à leur vengeance, les Furies étoient toujours prêtes à se joindre à elles, pour exécuter leurs ordres. Althée, dit Homere, frappoit à genoux la terre avec les mains, lorsqu’elle proféroit son imprécation contre son fils Méléagre, & demandoit aux dieux des enfers & à Proserpine la mort de ce fils infortuné, la Furie qui erre dans les ténebres, entendit du fond du Tartare sa funeste priere.

L’effet même des imprécations paternelles sur des enfans innocens, ne se révoquoit point en doute, parce que le pere étoit regardé comme le souverain seigneur de sa famille. La politique fortifia dans l’esprit des hommes une opinion d’où dépendoit le repos de l’ordre public.

Entre les imprécations prononcées par un pere avec justice, personne ne peut oublier celle d’Œdipe contre Etéocle & Polinice, qui leur fut si fatale. C’est le principal point de vûe des Phéniciennes d’Eurypide, & de la tragédie d’Eschyle, intitulée les sept devant Thebes.

On ne se ressouvient pas moins des imprécations de Thésée, qui toutes injustes qu’elles étoient, donnerent la mort à Hyppolite son fils vertueux, & à lui une douleur mortelle. C’est encore le sujet de la tragédie d’Eurypide, qui a pour titre Hyppolite.

L’histoire moderne rapporte que le malheureux Henri IV. empereur d’Allemagne, trompé par son indigne fils, qui le dépouilla de sa couronne, s’écrioit en mourant, « Dieu des vengeances, vous vengerez ce parricide ». Ainsi de tout tems, les hommes ont imaginé que Dieu exauçoit les imprécations des mourans, & sur-tout celles des peres. Erreur utile & respectable, dit M. de Voltaire, si elle pouvoit arrêter le crime !

En général, les Romains croyoient que les imprécations avoient une telle force, qu’aucun de ceux contre qui elles avoient été faites, n’en pouvoit éviter l’effet. C’est en profitant de cette opinion superstitieuse, qu’Horace dans une ode satyrique contre la magicienne Canidie, lui dit : « vos maléfices ne changeront point le cours de la justice des dieux ; mais mes imprécations vont attirer sur vous la colere du ciel, & nul sacrifice n’en pourra détourner l’accomplissement ».

Dira detestatio
Nullâ expiatur victimâ. Ode V. lib. V.

Je ne dois pas oublier de remarquer que les anciens, à la prise & à la destruction des villes, qui leur avoient couté beaucoup de sang, prononcerent quelquefois des imprécations contre quiconque oseroit les rétablir.

Quelques-uns croient que ce fut-là la principale raison, pour laquelle Troie ne put jamais se relever de ses cendres, les Grecs l’ayant dévouée à une chûte éternelle & irréparable.

Ces imprécations contre des villes entieres saccagées & renversées, passerent chez les Juifs, qui les goûterent avec avidité, & les employerent impitoyablement. Ainsi nous lisons que Josué à la destruction de Jéricho, fit de fatales imprécations contre quiconque oseroit la rebâtir ; ce qui fut accompli au bout d’environ 537 ans, dans la personne d’Hiel de Béthel ; & s’il est parlé dans ce long espace de tems d’une ville de Jéricho, cette ville n’avoit point été bâtie sur les fondemens de l’ancienne, mais dans son voisinage. Ce ne fut qu’après la mort d’Hiel, qu’on vint demeurer dans la premiere qu’il avoit réparée.

Mais tous les peuples s’accorderent à lancer des imprécations contre les violateurs des sépulchres, qui par-tout étoient des lieux réputés sacrés. On chargeoit les tombeaux de diverses formules terribles : que le violateur meure le dernier de sa race, qu’il s’attire l’indignation des dieux, qu’il soit privé de la sépulture, qu’il soit précipité dans le Tartare, qu’il voie les ossemens des siens déterrés & dispersés, que les mysteres d’Isis troublent à jamais son repos, que ses descendans soient réduits au même état qu’il éprouve. Deos iratos habeat… ossa suorum eruta atque dispersa videat, si quis de eo sepulchro violarit, &c.

Enfin, les imprécations furent en usage chez les Gaulois, mais il n’appartenoit qu’aux druides de les prononcer, & la desobéissance à leurs décisions étoit au rapport de César, de bello Gallico, lib. VI. p. 220, edit. variorum, le cas le plus ordinaire où ils les employassent. On en peut croire César sur sa parole, il avoit vû ce qu’il avançoit, & s’il ne l’avoit pas vû, on pourroit l’en croire encore. (D. J.)

Imprécations, s. f. pl. (Littérat.) diræ ; ce sont les déesses impitoyables que l’on nommoit Furies sur la terre ; Euménides aux enfers, & imprécations dans le ciel, dit Servius sur le quatrieme livre de l’Enéïde.

Quelques uns croient que leur nom latin diræ vient du grec δειναὶ, qui signifie terribles.

Incinctæ igni
Incedunt cum ardentibus tædis.

On les invoquoit toujours dans toutes les prieres qu’on faisoit contre ses ennemis, ou contre les scélerats.

Ces prétendues déesses vengeresses avoient outre leurs temples & leurs bois sacrés, des libations qui leur étoient propres, & dans lesquelles on n’employoit que l’eau & le miel, sans aucun mêlange de vin. On ne parloit qu’avec une horreur religieuse de ces divinités infernales & célestes. On évitoit de prononcer leurs deux noms d’imprécations & de Furies, & l’on leur substituoit celui d’Euménides, qui n’offroit rien d’affreux. Voyez Euménides.

Enfin, comme on tremble toujours à l’aspect de la main qui va nous frapper, aussi n’y avoit-il rien qui portât avec soi plus d’épouvante que le caractere des Furies, dont Héraclite disoit qu’elles arrêteroient le soleil même, s’il vouloit se détourner de sa route ; mais il ne s’agit pas ici de s’étendre davantage, le lecteur peut consulter leur article, où l’on est entré dans de grands détails. (D. J.)

Imprécation, (Littérat.) figure de rhétorique par laquelle l’orateur souhaite des malheurs à ceux à qui il parle. Elle est quelquefois dictée par l’horreur pour le crime & pour les scélérats, comme celle-ci du grand-prêtre Joad dans l’Athalie de Racine.

Daigne, daigne, mon Dieu, sur Mathan & sur elle
Répandre cet esprit d’imprudence & d’erreur,
De la chûte des rois, funeste avant-coureur.

Quelquefois elle est l’effet de l’indignation, mais le plus souvent celui de la colere & de la fureur. Ainsi dans Rodogune Cléopatre expirante, souhaite à son fils Antiochus & à cette princesse tous les malheurs réunis.

Puisse le ciel, tous deux vous prenant pour victimes,
Laisser tomber sur vous la peine de mes crimes.
Puissiez-vous ne trouver dedans votre union,
Qu’horreur, que jalousie, & que confusion ;
Et pour vous souhaiter tous les malheurs ensemble,
Puisse naître de vous un fils qui me ressemble.

IMPRÉGNATION, sub. f. (Œcon. anim.) ce terme est proprement synonyme de fécondation. Voy. Fécondation, Génération, Grossesse

IMPREGNER, verb. act. (Gram.) impregner un