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Dans notre usage on joint souvent ensemble les termes de franchises, libertés, privileges, exemptions & immunités. Ces termes ne sont cependant pas synonymes. La franchise consiste à n’être pas sujet à certaines charges ou devoirs ; les libertés sont aussi à-peu-près la même chose que les franchises ; le privilege consiste dans quelque droit qui n’est pas commun à tous ; les exemptions & immunités qui signifient la même chose, sont l’affranchissement de quelque charge ou devoir accordé à quelqu’un qui sans cette exemption y auroit été sujet.

L’immunité est quelquefois prise pour le droit d’asyle ; quelquefois le lieu même qui sert d’asyle, s’appelle l’immunité ; quelquefois enfin le terme d’immunité est pris pour l’amende que l’on paye pour avoir enfreint une immunité, comme quand on dit payer l’immunité de l’Eglise.

Les immunités peuvent être accordées à des particuliers, ou à des corps & communautés.

Les provisions des officiers contiennent ordinairement la clause que le pourvû jouira des honneurs, prérogatives, franchises, privileges, exemptions & immunités attachés à son office.

Les villes & communautés ont aussi leurs immunités.

Toute immunité doit être accordée par le prince ou par quelqu’autre seigneur ou autre personne qui en a le pouvoir.

Au défaut de titre elle peut être fondée sur la possession.

L’immunité est personnelle ou réelle.

On entend par immunité personnelle celle qui exempte la personne de quelque devoir personnel, comme du service militaire de guet & de garde, de tutelle & curatelle, de la collecte & autres fonctions publiques.

Telle est aussi l’exemption de payer certaines impositions, comme la taille, les droits de péages, les droits dûs au roi pour mutation des héritages qui sont dans sa mouvance.

L’immunité réelle est celle qui est attachée à certains fonds, & dont le possesseur ne jouit qu’à cause du fonds, & non à cause d’aucune qualité personnelle. Telles sont les immunités dont jouissent ceux qui demeurent dans certains lieux privilégiés, soit pour l’exemption de taille, soit pour avoir la liberté de travailler de certains arts & métiers sans avoir payé de maîtrise, soit pour n’être pas sujets à la visite & jurisdiction d’autres officiers que de ceux qui ont autorité dans ce lieu.

Chaque ordre de l’état a ses immunités. La noblesse est exempte de taille & des charges publiques qui sont au-dessous de sa condition.

Les bourgeois de certaines villes ont aussi leurs immunités plus ou moins étendues ; il y en a de communes à tous les citoyens, d’autres qui sont propres à certaines professions, & qui sont fondées ou sur la nécessité de leur ministere, ou sur l’honneur que l’on y a attaché.

Mais de toutes les immunités, les plus considérables sont celles qui ont été accordées soit à l’Eglise en général, ou singulierement à certaines Eglises, chapitres & monasteres, ou à chaque ecclésiastique en particulier.

Ces immunités sont de trois sortes ; les unes sont attachées à l’édifice même de l’Eglise, & aux biens ecclésiastiques ; les autres sont attachées à la personne des ecclésiastiques qui desservent l’église ; d’autres enfin sont attachées à la seule qualité d’ecclésiastique.

La premiere espece d’immunités qui est de celles attachées à l’édifice même de l’église, & aux biens ecclésiastiques, consiste 1°. en ce que ces sortes de biens sont hors du commerce. Les églises sont mises

en droit dans la classe des choses appellées res sacræ, & sont du nombre de celles que les loix appellent res nullius, parce qu’elles n’appartiennent proprement à personne ; elles sont hors du patrimoine, & ne peuvent être engagées, vendues, ni autrement aliénées.

Nous n’avons pourtant pas là-dessus tout-à fait les mêmes idées que les Romains ; car selon nos mœurs, quoique les églises n’appartiennent proprement à personne, cependant par leur destination elles sont attachées à certaines personnes plus particulierement qu’à d’autres ; ainsi chaque église cathédrale est le chef-lieu du diocese ; chaque église paroissiale est propre à ses paroissiens ; les églises monachales appartiennent chacune à quelque ordre ou congrégation, & ainsi des autres ; de sorte qu’on pourroit plûtôt mettre les églises dans la classe des choses appellées en droit res communes, dont la propriété n’appartient à personne, mais dont l’usage est commun à tout le monde.

Les biens d’église ne peuvent être engagés, vendus, ni autrement aliénés, sans une nécessité ou utilité évidente pour l’église, & sans y observer certaines formalités qui sont une enquête de commodo & incommodo, l’autorisation de l’Evêque diocésain, le consentement du patron s’il y en a un, qu’il y ait des publications faites en justice en présence du ministere public, enfin que le contrat d’aliénation soit homologué par le juge royal.

2°. La prescription des biens d’église ne peut être acquise que par quarante ans, à la différence des biens des particuliers, qui, selon le droit commun, se prescrivent par dix ans entre présens, & vingt ans entre absens avec titre, & par trente ans sans titre.

3°. L’immunité des églises consiste en ce qu’elles sont tenues en franche-aumône. Le seigneur, qui donne un fonds pour construire une église, cimetiere ou autre lieu sacré, ne se réserve ordinairement aucun droit ni devoir sur les biens par lui donnés, auquel cas on tient communément qu’il ne reste plus ni foi ni jurisdiction sur le fonds, du-moins quant à la chose, mais non pas quant aux personnes qui sont toujours justiciables du juge du lieu ; & même quoique le seigneur ne perçoive aucune redevance sur le fonds, & qu’on ne lui en passe point de déclaration ou aveu, il ne perd pas pour cela sa directe ni son droit de justice sur le fonds même, de sorte que s’il est nécessaire de faire quelqu’acte de jurisdiction dans l’église même, ses officiers sont constamment en droit de le faire.

Le seigneur conserve aussi sur le fonds-aumôné le droit de patronage.

On distingue la pure-aumôme de la tenure en franche-aumône ; la premiere est quand on donne à l’église des biens temporels, produisans un revenu sur lesquels le fief & la jurisdiction demeurent, soit au donateur, s’il a le fief & la jurisdiction sur le lieu, soit au seigneur, si le donateur ne l’est pas ; les héritages donnés à l’église en pure-aumône sont tenus franchement, & sans en payer aucune redevance ni autre droit, si ce n’est ad obsequium precum.

Mais l’église ne possede en franche-aumône ou pure-aumône que ce qui lui a été donné à ce titre ; ses autres biens sont sujets aux mêmes lois que ceux des particuliers.

4°. Une autre immunité des églises, c’étoit le droit d’asyle ; mais ce privilége n’appartenoit pas singulierement à l’église, car il tiroit son origine de ce que dans la loi de Moïse, Dieu avoit lui-même établi six villes de réfuge parmi les Israëlites, où les coupables pouvoient se mettre en sureté, lorsqu’ils n’avoient pas commis un crime de propos délibéré.