corder celui d’effet, d’air, d’instrument oculaire, qui ne concourroit pas peu à donner des idées nettes de ce que c’est que l’harmonie en peinture, produite seulement par les effets de lumiere & de couleur.
Quoiqu’il soit impossible de suivre avec la derniere exactitude la forme de ces derniers, en y plaçant des objets ; cependant j’ai vû de jeunes peintres y en répandre, les suivre jusqu’à un certain point, & leur production devenir moins mal, quant à l’harmonie de lumiere & de couleur que lorsqu’ils ne se servoient pas de ce moyen.
Lorsqu’on entend par harmonie l’effet total, le tout ensemble d’un tableau ; l’on ne dit point de toutes les parties concourantes à cet effet, cette partie est harmonieuse, a une belle harmonie. L’on s’exprime alors plus généralement. Exemple : cette figure, ce vase, sont bien placés-là ; outre qu’ils y sont convenablement amenés, ils interrompent ce vuide, font communiquer ce grouppe avec cet autre, y forment l’harmonie ; ce ciel lumineux derriere cette draperie fait un bel effet, une belle harmonie ; cette branche d’arbre éclairée réunissant ces deux lumieres, elles font une belle harmonie ; il résulte de cet effet une harmonie charmante ; tout concourt, tout s’accorde dans la composition de ce tableau à caractériser le sujet, & rendre l’harmonie complette ; tout y est si convenablement d’accord que le plus léger changement y feroit une dissonance.
Harmonie. (Accord de sons.) L’harmonie a lieu, soit dans la prose, soit dans la poésie. Elle est à la vérité plus marquée dans les vers que dans la prose ; mais elle n’en existe pas moins dans celle-ci, & n’y est pas moins nécessaire. Nous parlerons d’abord de celle-ci, & ensuite de l’harmonie poétique.
L’harmonie de la prose étoit appellée par les Grecs rythmes, & par les Latins nombre oratoire, numerus. Voyez Nombre & Rythmes.
On ne peut disconvenir que l’arrangement des mots ne contribue beaucoup à la beauté, quelquefois même à la force du discours. Il y a dans l’homme un goût naturel qui le rend sensible au nombre & à la cadence ; & pour introduire dans les langues cette espece de concert, cette harmonie, il n’a fallu que consulter la nature, qu’étudier le génie de ces langues, que sonder & interroger pour ainsi dire les oreilles, que Ciceron appelle avec raison un juge fier & dédaigneux. En effet, quelque belle que soit une pensée en elle-même, si les mots qui l’expriment sont mal arrangés, la délicatesse de l’oreille en est choquée ; une composition dure & rude la blesse, au lieu qu’elle est agréablement flatée de celle qui est douce & coulante. Si le nombre est mal soutenu, & que la chûte en soit trop prompte, elle sent qu’il y manque quelque chose, & n’est point satisfaite. Si au contraire il y a quelque chose de trainant & de superflu, elle le rejette, & ne peut le souffrir. En un mot, il n’y a qu’un discours plein & nombreux qui puisse la contenter.
Par la différente structure que l’orateur donne à ses phrases, le discours tantôt marche avec une gravité majestueuse, ou coule avec une prompte & légere rapidité, tantôt charme & enleve l’auditeur par une douce harmonie, ou le pénetre d’horreur & de saisissement par une cadence dure & âpre ; mais comme la qualité & la mesure des mots ne dépendent point de l’orateur, & qu’il les trouve pour ainsi dire tout taillés, son habileté consiste à les mettre dans un tel ordre que leur concours & leur union, sans laisser aucun vuide ni causer aucune rudesse, rendent le discours doux, coulant, agréable ; & il n’est point de mots, quelque durs qu’ils paroissent par eux-mêmes, qui placés à propos par une main habile, ne puissent contribuer à l’harmonie du discours, comme dans un bâtiment les pierres les plus
brutes & les plus irrégulieres y trouvent leur place. Isocrate, à proprement parler, fut le premier chez les Grecs qui les rendit attentifs à cette grace du nombre & de la cadence, & Ciceron rendit le même service à la langue de son pays.
Quoique le nombre doive être répandu dans tout le corps & le tissu des périodes dont un discours est composé, & que ce soit de cette union & de ce concert de toutes les parties que résulte l’harmonie, cependant on convient que c’est sur-tout à la fin des périodes qu’il paroît & se fait sentir. Le commencement des périodes ne demande pas un soin moins particulier, parce que l’oreille y donnant une attention toute nouvelle, en remarque aisément les défauts.
Il y a un arrangement plus marqué & plus étudié qui peut convenir aux discours d’appareil & de cérémonie, tels que sont ceux du genre démonstratif, où l’auditeur, loin d’être choqué des cadences mesurées & nombreuses observées, pour ainsi dire, avec scrupule, sait gré à l’orateur de lui procurer par-là un plaisir doux & innocent. Il n’en est pas ainsi, quand il s’agit de matieres graves & sérieuses, où l’on ne cherche qu’à instruire & qu’à toucher ; la cadence pour lors doit avoir quelque chose de grave & de sérieux. Il faut que cette amorce du plaisir qu’on prépare aux auditeurs soit comme cachée & enveloppée sous la solidité des choses & sous la beauté des expressions, dont ils soient tellement occupés qu’ils paroissent ne pas faire d’attention à l’harmonie.
Ces principes que nous tirons de M. Rollin, qui les a lui-même puisés dans Ciceron & Quintilien, sont applicables à toutes les langues. On a long-tems cru que la nôtre n’étoit pas susceptible d’harmonie, ou du moins on l’avoit totalement négligée jusqu’au dernier siecle. Balzac fut le premier qui prescrivit des bornes à la période, & qui lui donna un tour plein & nombreux. L’harmonie de ce nouveau style enchanta tout le monde ; mais il n’étoit pas lui-même exempt de défauts, les bons auteurs qui sont venus depuis les ont connus & évités.
L’harmonie de la prose contient, 1°. les sons qui sont doux ou rudes, graves ou aigus ; 2°. la durée des sons brefs ou longs ; 3°. les repos qui varient selon que le sens l’exige ; 4°. les chûtes des phrases qui sont plus ou moins douces ou rudes, serrées ou négligées, séches ou arrondies. Dans la prose nombreuse, chaque phrase fait une sorte de vers qui a sa marche. L’esprit & l’oreille s’ajustent & s’alignent, dès que la phrase commence pour faire quadrer ensemble la pensée & l’expression, & les mener de concert l’une avec l’autre jusqu’à une chûte commune qui les termine d’une façon convenable, après quoi c’est une autre phrase. Mais comme la pensée sera différente, soit par la qualité de son objet, soit par le plus ou le moins d’étendue, ce sera un vers d’une autre espece & aussi d’une autre étendue, & qui sera autrement terminé ; tellement que la prose nombreuse, quoique liée par une sorte d’harmonie, reste cependant toûjours libre au milieu de ses chaînes. Il n’en est pas de même dans les vers, tout y est prescrit par les lois fixes, & dont rien n’affranchit : la mesure est dressée, il faut la remplir avec précision, ni plus ni moins, la pensée finie ou non ; la regle est formelle & de rigueur. Cours de Belles-lettr. tome I.
Mais parce que ce qui constituoit l’harmonie dans la poésie greque & latine, étoit fort différent de ce qui la produit dans les langues modernes, les unes & les autres n’ont pas à cet égard des principes communs.
Le premier fondement de l’harmonie, dans les vers grecs & latins, c’est la regle des syllables, soit pour