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dans le bas-ventre. On n’a connu cette singularité de déplacement de parties que par l’ouverture de son cadavre.

Cinquieme exemple de pareils jeux dans un vieillard. Le soldat dont il s’agit, étant mort âgé de 70 ans, le 23 Octobre 1688, à l’hôtel des Invalides, M. Morand fit l’ouverture de son cadavre en présence de MM. du Parc, Saviard, & autres chirurgiens.

Après avoir levé les tégumens communs, & découvert la duplicature du péritoine, on y trouva le veine ombilicale couchée au long de la ligne blanche, laquelle, aulieu de se détourner ensuite du côté droit pour entrer dans la scissure du foie, se trouvoit effectivement placée, ainsi que la rate, au côté droit, contre l’ordre naturel.

Le grand lobe du foie occupoit entierement l’hypochondre gauche, & la scissure regardoit le derriere du cartilage xiphoïde. Son petit lobe occupoit une partie de la région épigastrique, & déclinoit vers l’hypocondre droit.

On remarqua dans la poitrine, que l’œsophage y entroit par le côté droit, & passoit au-devant de l’uretere ; puis descendant & se glissant du même côté droit, y perçoit le diaphragme, & après l’avoir traversé, se glissoit entre le foie & la rate pour entrer dans le bas-ventre.

Le fond de l’estomac, suivant la même route, étoit situé du côté droit, entre le foie & la rate ; le pylore & l’intestin duodenum se trouvoient au dessous du foie ; & ce boyau passant par-dessous la veine & l’artere mésentérique supérieure, puis faisant sa courbure, se glissoit du côté droit vers la partie lombaire, & formoit le jejunum.

Tous les intestins grêles avoient aussi changé de situation ; le cœcum & le commencement du colon étoient placés dans l’île gauche, & le contour de ce dernier boyau passoit à l’ordinaire, mais de gauche à droite, sous l’extrémité du foie, du ventricule & de la rate, & descendoit ensuite dans la région iliaque droite, pour produire le rectum.

La même transposition s’étoit faite aux reins & aux parties génitales : car le rein droit se trouvant au côté gauche, & le gauche étant au côté droit, l’on voyoit la veine spermatique droite sortir de l’émulgente, & la veine spermatique gauche sortir du tronc de la cave contre l’ordre naturel.

De plus, le rein du côté droit étoit plus élevé que celui du côté gauche, & deux ureteres sortoient du rein droit, l’un du bassinet à l’ordinaire, & l’autre de sa partie inférieure.

Les capsules atrabilaires avoient aussi passé d’un côté à l’autre, ce qu’on reconnut par les veines, la capsule gauche recevant la sienne du tronc de la cave, & la droite de l’émulgente.

Le cœur lui-même prenoit part à ce changement ; sa base étoit située au milieu de la poitrine, mais sa pointe inclinoit du côté droit contre son ordinaire, qui est de se porter du côté gauche. De cette façon, le ventricule droit du cœur regardoit le côté gauche de la poitrine, & la veine-cave qui en sortoit du même côté, produisoit deux troncs à l’ordinaire ; l’inférieur perçoit le diaphragme au côté gauche du corps des vertebres, & l’artere du poumon sortoit de ce même ventricule, se glissant du côté droit, & là se partageoit en deux branches à l’ordinaire.

Le tronc de l’aorte sortant du ventricule gauche, & se trouvant placé au côté droit de la poitrine, se courboit du même côté contre la coûtume ; après quoi, perçant le diaphragme au côté droit, & descendant jusqu’à l’os sacrum, il occupoit toûjours le côté droit du corps des vertebres.

La veine du poûmon sortant du même ventricule, se courboit aussi un peu du côté droit.

Enfin, la veine azygos se trouvoit au côté droit

du corps des vertebres, ensorte que la distribution des vaisseaux souffroit un changement conforme à celui qui étoit arrivé aux visceres. Voyez l’observat. 112 de Saviard, ou l’hist. de l’acad. royale des Sciences de 1686 à 1699. tom. II p. 44.

6°. Autres exemples confirmatifs. Ce fait tout étrange, tout surprenant qu’il paroisse, n’est cependant pas unique ; on avoit déja vû à Paris en 1650 un pareil exemple dans le meurtrier qui avoit tué un gentilhomme, au lieu de M. le duc de Beaufort, & dont le corps, après avoir été roué, fut disséqué par M. Bertrand, chirurgien, qui en a publié l’histoire avec des remarques, dans un traité particulier. Cette même histoire est détaillée plus au long dans les observat. médic. de M. Cattier, docteur en Médecine. Bonet l’a inséré dans son sepulchretum, liv. IV. sect. 1. obs. 7. 5. 3. Il en est aussi fait mention dans les mémoires de Joly, qui à cette occasion rapporte qu’on avoit observé la même chose dans un chanoine de Nantes.

Un savant plein d’érudition, ce doit être M. Falconet, m’a encore indiqué le journal de dom Pierre de Saint-Romuald, imprimé à Paris en 1661, où il est dit qu’on trouva une pareille transposition de visceres en 1657, dans le cadavre du sieur Audran, commissaire des gardes françoises.

On peut joindre à tout ceci l’observation d’Hoffman, imprimée à Leipsick en 1671, in-4°. sous le titre de Cardianastrophe, seu cordis universi, memorabilis observatio, &c.

Septieme exemple de jeux de la nature sur la situation de visceres dans la poitrine. Les Transactions philosophiques de l’année 1702, n°. 275, & les acta eruditorum, même année 1702, p. 524. font le détail du cas suivant, qui est fort extraordinaire.

Charles Holt, en disséquant un enfant de deux mois, en présence de trois témoins experts en Anatomie, ne découvrit ni d’intestins hormis le rectum, ni de mésentere dans la cavité du bas ventre ; mais ayant détaché le sternum, il les trouva dans la cavité de la poitrine, couchés sur le cœur & les poumons. Pour comble de surprise, l’omentum & le médiastin manquoient. Le pylore étoit retiré vers le fond du ventricule près des vertebres du dos : le gros boyau s’étendoit obliquement depuis l’anus vers un trou particulier du diaphragme, & étoit caché dessous avec une partie du duodenum. Il paroît que ce trou du diaphragme étoit absolument naturel, & avoit servi au passage des intestins dans la poitrine, car tout étoit entier sans aucun déchirement. On ne trouva pas la moindre communication des intestins avec aucune autre partie du corps ; cependant l’enfant avoit vêcu, prenoit tous les jours des alimens, & alloit à la selle.

Ce petit nombre de faits singuliers, tirés de bonnes sources, ne suffit que trop pour conclure qu’aujourd’hui comme du tems de Pline, nous pouvons répéter avec lui, ignotum est quo modo & per quæ vivimus.

Huitieme exemple de jeux de la nature sur le manque des parties de la génération. Ces parties, qui depuis tant de siecles renouvellent continuellement la face de l’univers par un méchanisme inexplicable, sont non-seulement exposées à des vices bisarres d’origine & de conformation ; mais quelquefois même elles manquent absolument dans des enfans qui viennent au monde. Ainsi Saviard a été le témoin oculaire d’un enfant né à l’Hôtel-Dieu de Paris, manquant des parties de la génération qui appartiennent à l’un ou à l’autre sexe, & n’ayant d’autre ouverture à l’extérieur que celle du rectum.

Ainsi le docteur Barton témoigne avoir vû dans le comté d’Yorck un enfant qui ressembloit entierement à celui de Saviard. Cet enfant n’avoit au-