Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

produit en appartenoit autrefois aux Janissaires : mais depuis plus de cent ans, cet impôt se perçoit par un officier exprès qu’on envoye de Constantinople sur les lieux, & qu’on appelle pour cette raison harrach aga. Les Chrétiens ci-devant ne payoient que deux dollars & trois quarts, par une espece de traité fait avec Sélim ; présentement ils doivent payer de capitation, depuis l’âge de seize ans, les uns cinq dollars & demi, & les autres onze, suivant leur bien. Le dollar vaut trois livres de notre monnoie, ou deux shellings six sols d’Angleterre. (D. J.)

HARAI, s. m. (Hist. mod.) c’est ainsi que les Turcs nomment un tribut reglé que doivent payer au grand Seigneur tous ceux qui ne sont point mahométans ; cet impôt est fondé sur l’alcoran, qui veut que chaque personne parvenue à l’âge de maturité paye chaque année treize drachmes d’argent pur, si en demeurant sous la domination mahométane elle veut conserver sa religion. Mais les sultans & les visirs, sans avoir égard au texte de l’alcoran, ont souvent haussé cette capitation ; elle est affermée, & celui qui est préposé à la recette de ce tribut se nomme haraj-bachi.

Pour s’assûrer si un homme est parvenu à l’âge où l’on doit payer le haraj, on lui mesure le tour du cou avec un fil, qu’on lui porte ensuite sur le visage ; si le fil ne couvre pas l’espace qui est entre le bout du menton & le sommet de la tête, c’est un signe que la personne n’a point l’âge requis, & elle est exempte du tribut pour cette année ; sans quoi elle est obligée de payer. Voyez Cantemir, hist. ottomane.

HARAM, s. m. (Hist. mod.) à la cour du roi de Perse, c’est la maison où sont renfermées ses femmes & concubines ; comme en Turquie l’on nomme serrail le palais ou les appartemens qu’occupent les sultanes.

* HARAME, s. m. (Bot.) nom que les habitans de Madagascar donnent à l’arbre qui produit la gomme tacamahaca.

HARANGUE, s. f. (Belles-Lettres.) discours qu’un orateur prononce en public, ou qu’un écrivain, tel qu’un historien ou un poëte, met dans la bouche de ses personnages.

Ménage dérive ce mot de l’italien arenga, qui signifie la même chose ; Farrari le fait venir d’arringo, joûte, ou place de joûte ; d’autres le tirent du latin ara, parce que les Rhéteurs prononçoient quelquefois leurs harangues devant certains autels, comme Caligula en avoit établi la coûtume à Lyon.

Aut Lugdunensem rhetor dicturus ad aram. Juven.

Ce mot se prend quelquefois dans un mauvais sens, pour un discours diffus ou trop pompeux, & qui n’est qu’une pure déclamation ; & en ce sens un harangueur est un orateur ennuyeux

Les héros d’Homere haranguent ordinairement avant que de combattre ; & les criminels en Angleterre haranguent sur l’échafaud avant que de mourir : bien des gens trouvent l’un aussi déplacé que l’autre.

L’usage des harangues dans les historiens a de tout tems eu des partisans & des censeurs ; selon ceux-ci elles sont peu vraissemblables, elles rompent le fil de la narration : comment a-t-on pû en avoir des copies fideles ? c’est une imagination des historiens, qui sans égard à la différence des tems, ont prêté à tous leurs personnages le même langage & le même style ; comme si Romulus, par exemple, avoit pû & dû parler aussi poliment que Scipion. Voilà les objections qu’on fait contre les harangues, & sur-tout contre les harangues directes.

Leurs défenseurs prétendent au contraire qu’elles répandent de la variété dans l’histoire, & que quelquefois on ne peut les en retrancher, sans lui dérober une partie considérable des faits : « Car, dit à ce

sujet M. l’abbé de Vertot, il faut qu’un historien remonte, autant qu’il se peut, jusqu’aux causes les plus cachées des évenemens ; qu’il découvre les desseins des ennemis ; qu’il rapporte les délibérations, & qu’il fasse voir les différentes actions des hommes, leurs vûes les plus secrettes & leurs intérêts les plus cachés. Or c’est à quoi servent les harangues, sur-tout dans l’histoire d’un état républicain. On sait que dans la république romaine, par exemple, les résolutions publiques dépendoient de la pluralité des voix, & qu’elles étoient communément précédées des discours de ceux qui avoient droit de suffrage, & que ceux-ci apportoient presque toûjours dans l’assemblée des harangues préparées ». De même les généraux rendoient compte au sénat assemblé du détail de leurs exploits & des harangues qu’ils avoient faites ; les historiens ne pouvoient-ils pas avoir communication des unes & des autres ?

Quoi qu’il en soit, l’usage des harangues militaires sur-tout paroît attesté par toute l’antiquité : « mais pour juger sainement, dit M. Rollin, de cette coûtume de haranguer les troupes généralement employée chez les anciens, il faut se transporter dans les siecles où ils vivoient, & faire une attention particuliere à leurs mœurs & à leurs usages ».

« Les armées, continue-t-il, chez les Grecs & chez les Romains étoient composées des mêmes citoyens à qui dans la ville & en tems de paix on avoit coûtume de communiquer toutes les affaires ; le général ne faisoit dans le camp ou sur le champ de bataille, que ce qu’il auroit été obligé de faire dans la tribune aux harangues ; il honoroit ses troupes, attiroit leur confiance, intéressoit le soldat, réveilloit ou augmentoit son courage, le rassûroit dans les entreprises périlleuses, le consoloit ou ranimoit sa valeur après un échec, le flattoit même en lui faisant confidence de ses desseins, de ses craintes, de ses espérances. On a des exemples des effets merveilleux que produisoit cette éloquence militaire ». Mais la difficulté est de comprendre comment un général pouvoit se faire entendre des troupes. Outre que chez les anciens les armées n’étoient pas toûjours fort nombreuses, toute l’armée étoit instruite du discours du général, à peu-près comme dans la place publique à Rome & à Athenes le peuple étoit instruit des discours des orateurs. Il suffisoit que les plus anciens, les principaux des manipules & des chambrées se trouvassent à la harangue dont ensuite ils rendoient compte aux autres ; les soldats sans armes debout & pressés occupoient peu de place ; & d’ailleurs les anciens s’exerçoient dès la jeunesse à parler d’une voix forte & distincte, pour se faire entendre de la multitude dans les délibérations publiques.

Quand les armées étoient plus nombreuses, & que rangées en ordre de bataille & prêtes à en venir aux mains elles occupoient plus de terrein, le général monté à cheval ou sur un char parcouroit les rangs & disoit quelques mots aux différens corps pour les animer, & son discours passoit de main en main. Quand les armées étoient composées de troupes de différentes nations, le prince ou le général se contentoit de parler sa langue naturelle aux corps qui l’entendoient, & faisoit annoncer aux autres ses vûes & ses desseins par des truchemens ; ou le général assembloit les officiers, & après leur avoir exposé ce qu’il souhaitoit qu’on dît aux troupes de sa part, il les renvoyoit chacun dans leur corps ou dans leurs compagnies, pour leur faire le rapport de ce qu’ils avoient entendu, & pour les animer au combat.

Au reste, cette coûtume de haranguer les troupes a duré long-tems chez les Romains, comme le prouvent les allocutions militaires représentées sur les