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Dans cette société, ainsi perfectionnée, plusieurs hommes, après avoir satisfait aux fonctions de leur état, jouissent d’un repos qui seroit empoisonné par l’ennui sans le secours des arts agréables ; ces arts, dans cette société non-corrompue, entretiennent l’amour de la vertu, la sensibilité de l’ame, le goût de l’ordre & du beau, dissipent l’ennui, fécondent l’esprit ; & leurs productions devenues un des besoins principaux des premieres classes des citoyens, sont honorées de ceux même qui ne peuvent en jouir.

Dans cette société étendue, des mœurs pures paroissent moins utiles à la masse de l’état que l’activité & les grands talens ; ils conduisent aux honneurs, ils ont l’estime générale, & souvent on s’informe à peine si ceux qui les possedent ont de la vertu : bien-tôt on ne rougit plus que d’être sot ou pauvre.

La société se corrompt de jour en jour : on y a d’abord excité l’industrie, & même la cupidité ; parce que l’état avoit besoin des citoyens opulens ; mais l’opulence conduit aux emplois, & la vénalité s’introduit alors. Les richesses sont trop honorées, les emplois, les richesses sont héréditaires, & l’on honore la naissance.

Si le bonheur de plaire aux princes, aux ministres, conduit aux emplois, aux honneurs, aux richesses ; on honore l’art de plaire.

Bien-tôt il s’éleve des fortunes immenses & rapides ; il y a des honneurs sans travail, des dignités, des emplois sans fonctions. Les arts de luxe se multiplient, la fantaisie attache un prix à ce qui n’en a pas ; le goût du beau s’use dans des hommes desœuvrés qui ne veulent que jouir ; il faut du singulier, les arts se dégradent, le frivole se répand, l’agréable est honoré plus que le beau, l’utile & l’honnête.

Alors les honneurs, la gloire même, sont séparés du véritable honneur ; il ne subsiste plus que dans un petit nombre d’hommes, qui ont eu la force de s’éclairer & le courage d’être pauvres : l’honneur de préjugé est éteint ; & cet honneur qui soûtenoit la vigueur de la nation, ne regne pas plus dans les secondes & dernieres classes que le véritable honneur dans la premiere.

Mais dans une monarchie, celui de tous les gouvernemens qui réforme le plus aisément ses abus & ses mœurs sans changer de nature, le législateur voit le mal, tient le remede, & en fait usage.

Que dans tous les genres il décore de préférence les talens unis à la vertu, & que sans elle le génie même ne puisse être ni avancé ni honoré, quelque utile qu’il puisse être ; car rien n’est aussi utile à un état que le véritable honneur.

Que le vice seul soit flétri, qu’aucune classe de citoyens ne soit avilie, afin que dans chaque classe tout homme puisse bien penser de lui-même, faire le bien, & être content.

Que le prince attache l’idée de l’honneur & de la vertu à l’amour & à l’observation de toutes les lois ; que le guerrier qui manque à la discipline soit deshonoré comme celui qui fuit devant l’ennemi.

Qu’il apprenne à ne pas changer & à ne pas multiplier ses lois ; il faut qu’elles soient respectées, mais il ne faut pas qu’elles épouvantent. Qu’il soit aimé ; dans un pays où l’honneur doit regner, il faut aimer le législateur, il ne faut pas le craindre.

Il faut que l’honneur donne à tout citoyen l’horreur du mal, l’amour de son devoir ; qu’il ne soit jamais un esclave attaché à son état, mais qu’il soit condamné à la honte, s’il ne peut faire aucun bien.

Que le prince soit persuadé que les vertus qui fondent les sociétés, petites & pauvres, soûtiennent les sociétés étendues & puissantes ; & les Mandevill & leurs infâmes échos ne persuaderont ja-

mais aux hommes que le courage, la fidélité à ses

engagemens, le respect pour la vérité & pour la justice ne sont point nécessaires dans de grands états.

Qu’il soit persuadé que ces vertus & toutes les autres accompagneront les talens, quand la célébrité & la gloire du génie ne sauveront pas de la honte des mauvaises mœurs : l’honneur est actif, mais le jour où l’intrigue & le crédit obtiennent les honneurs est le moment où il se repose.

Les peuples ne se corrompent guere sans s’être éclairés ; mais alors il est aisé de les ramener à l’ordre & à l’honneur : rien de si difficile à gouverner mal, rien de si facile à gouverner bien, qu’un peuple qui pense.

Il y a moins dans ce peuple les préjugés & l’enthousiasme de chaque état, mais il peut conserver le sentiment vif de l’honneur.

Que l’industrie soit excitée par l’amour des richesses & quelques honneurs ; mais que les vertus, les talens politiques militaires ne soient excités que par les honneurs ou par la gloire.

Un prince qui renverse les abus dans une partie de l’administration, les ébranle dans toutes les autres : il n’y a guere d’abus qui ne soient l’effet des vices, & n’en produisent.

Enfin, lorsque le gouvernement aura ranimé l’honneur, il le dirigera, il l’épurera ; il lui ôtera ce qu’il tenoit des tems de barbarie, il lui rendra ce que lui avoit ôté le regne du luxe & de la mollesse ; l’honneur sera bien-tôt dans chaque citoyen, la conscience de son amour pour ses devoirs, pour les principes de la vertu, & le témoignage qu’il se rend à lui-même, & qu’il attend des autres, qu’il remplit ses devoirs, & qu’il suit les principes.

Honneur, (Mytholog.) divinité des anciens Romains. Ils étoient bien dignes d’encenser ses autels, & d’entrer dans son sanctuaire ; il leur appartenoit de multiplier ses temples & ses statues. Quintus Maximus ayant montré l’exemple à ses concitoyens, Marcus Claudius Marcellus crut pouvoir encore renchérir ; celui qu’on avoit nommé l’épée de Rome, qui fut cinq fois consul, qui, rempli d’estime pour Archimede, pleura sa mort, & ne s’occupa que du desir de conserver ses jours en assiégeant Syracuse ; un tel homme, dis-je, pouvoit hardiment bâtir un même temple à l’Honneur & à la Vertu. Ayant cependant consulté les pontifes sur ce noble dessein, ils lui répondirent qu’un seul temple seroit trop petit pour deux si grandes divinités ; Marcellus goûta leurs raisons. Il fit donc construire deux temples à la fois, mais voisins l’un de l’autre, & bâtis de maniere qu’il falloit passer par celui de la Vertu, pour arriver à celui de l’Honneur ; c’étoit une belle idée, pour apprendre qu’on ne pouvoit acquérir le véritable honneur que par la pratique de la vertu. On sacrifioit à l’Honneur la tête découverte, pour marquer le respect infini qu’on devoit porter à cette divinité.

Elle est représentée sur plusieurs médailles sous la figure d’un homme, qui tient la pique de la main droite, & la corne d’abondance de l’autre. Mais j’aime mieux celles où, au lieu de pique, l’on voit une branche d’olivier, symbole de la paix. C’est ainsi qu’elle est sur des médailles de Titus ; ce prince qui, comptant ses jours par ses bienfaits, mettoit son honneur & sa gloire à procurer la paix & l’abondance. (D. J.)

Honneur se prend encore en divers sens ; ainsi l’on dit, rendre honneur à quelqu’un : alors c’est une marque extérieure par laquelle on montre la vénération, le respect qu’on a pour la personne ou pour la dignité.

On dit le point d’honneur. Voyez Point d’honneur.