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Le quatrieme article du Décalogue défend de tuer indistinctement.

Les lois civiles que contient l’Exode, chap. xxj. portent entre autres choses, que qui frappera un homme, le voulant tuer, il mourra de mort ; que s’il ne l’a point tué de guet-à-pens, mais que Dieu l’ait livré entre ses mains, Dieu dit à Moyse qu’il ordonnera un lieu où le meurtrier se retirera ; que si par des embûches quelqu’un tue son prochain, Moyse l’arrachera de l’autel, afin qu’il meure ; que si un homme en frappe un autre avec une pierre ou avec le poing, & que le battu ne soit pas mort, mais qu’il ait été obligé de garder le lit, s’il se leve ensuite, & marche dehors avec son bâton, celui qui l’a frappé sera réputé innocent, à la charge néanmoins de payer au battu ses vacations pour le tems qu’il a perdu, & le salaire des medecins ; que celui qui aura frappé son serviteur ou sa servante, & qu’ils soient morts entre ses mains, il sera puni ; que si le serviteur ou la servante battus survivent de quelques jours, il ne sera point puni ; que si dans une rixe quelqu’un frappe une femme enceinte, & la fait avorter sans qu’elle en meure, le coupable sera tenu de payer telle amende que le mari demandera, & que les arbitres regleront ; mais que si la mort s’ensuit, il rendra vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pié pour pié, brûlure pour brûlure, plaie pour plaie, meurtrissure pour meurtrissure.

Ces mêmes lois vouloient que le maître d’un bœuf fût responsable de son délit ; que si l’animal avoit causé la mort, il fût lapidé, & que le maître lui-même qui auroit déja été averti, & n’auroit pas renfermé l’animal, mourroit pareillement ; mais que si la peine lui en étoit imposée, il donneroit pour racheter sa vie tout ce qu’on lui demanderoit : mais il ne paroît pas que l’on eût la même faculté de racheter la peine de l’homicide que l’on avoit commis personnellement.

Le livre des Nombres, chap. 35. contient aussi plusieurs réglemens pour la peine de l’homicide ; savoir, que les Israëlites désigneroient trois villes dans la terre de Chanaan, & trois au-delà du Jourdain, pour servir de retraite à tous ceux qui auroient commis involontairement quelque homicide ; que quand le meurtrier seroit refugié dans une de ces villes, le plus proche parent de l’homicidé ne pourroit le tuer jusqu’à ce qu’il eût été jugé en présence du peuple ; que celui qui auroit tué avec le fer seroit coupable d’homicide, & mourroit ; que celui qui auroit frappé d’un coup de pierre ou de bâton, dont la mort se seroit ensuivie, seroit puni de même ; que le plus proche parent du défunt tueroit l’homicide aussi-tôt qu’il pourroit le saisir ; que si de dessein prémédité quelqu’un faisoit tomber quelque chose sur un autre qui lui causât la mort, il seroit coupable d’homicide, & que le parent du défunt égorgeroit le meurtrier aussi-tôt qu’il le trouveroit ; que si, par un cas fortuit & sans aucune haine, quelqu’un causoit la mort à un autre, & que cela fût reconnu en présence du peuple, & après que la question auroit été agitée entre le meurtrier & les proches du défunt, que le meurtrier seroit délivré comme innocent de la mort de celui qui vouloit venger la mort, & seroit ramené en vertu du jugement dans la ville où il s’étoit refugié, & y demeureroit jusqu’à la mort du grand-prêtre. Si le meurtrier étoit trouvé hors des villes de refuge, celui qui étoit chargé de venger la mort de l’homicidé, pouvoit sans crime tuer le meurtrier, parce que celui-ci devoit rester dans la ville jusqu’à la mort du grand-prêtre ; mais, après la mort de celui-ci, l’homicide pouvoit retourner dans son pays. Ce réglement devoit être observé à perpétuité. On pouvoit prouver l’homicide par té-

moins ; mais on ne pouvoit pas condamner sur la

déposition d’un seul témoin. Enfin, celui qui étoit coupable d’homicide, ne pouvoit racheter la peine de mort en argent, ni ceux qui étoient dans des villes de refuge racheter la peine de leur exil.

Jesus-Christ, dans S. Matthieu, chap. v. dit que celui qui tuera, sera coupable de mort, reus erit judicio ; & dans S. Jean, chap. 18. lorsque Pilate dit aux Juifs de juger Jesus-Christ selon leur loi, ils lui répondirent qu’il ne leur étoit pas permis de tuer personne : ainsi l’on observoit dès-lors qu’il n’y avoit que les juges qui pussent condamner un homme à mort.

Enfin, pour parcourir toutes les lois que l’Ecriture-sainte nous offre sur cette matiere, il est dit dans l’Apocalypse, chap. 22. que les homicides n’entreront point dans le royaume de Dieu.

Chez les Athéniens, le meurtre involontaire n’étoit puni que d’un an d’exil ; le meurtre de guet-à-pens étoit puni du dernier supplice. Mais ce qui est de singulier, est qu’on laissoit au coupable la liberté de se sauver avant que le juge prononçât sa sentence ; & si le coupable prenoit la fuite, on se contentoit de confisquer ses biens, & de mettre sa tête à prix. Il y avoit à Athènes trois tribunaux différens où les homicides étoient jugés ; savoir, l’aréopage pour les assassinats prémédités, le palladium pour les homicides arrivés par cas fortuits, & le delphinium pour les homicides volontaires, mais que l’on soûtenoit légitimes.

La premiere loi qui fut faite sur cette matiere chez les Romains, est de Numa Pompilius ; elle fut insérée dans le code papyrien. Suivant cette loi, quiconque avoit tué un homme de guet-à-pens (dolo), étoit puni de mort comme un homicide ; mais s’il ne l’avoit tué que par hasard & par imprudence, il en étoit quitte pour immoler un bélier par forme d’expiation. La premiere partie de cette loi de Numa contre les assassinats volontaires, fut transportée dans les douze tables, après avoir été adoptée par les décemvirs.

Tullus Hostilius fit aussi une loi pour la punition des homicides. Ce fut à l’occasion du meurtre commis par un des Horaces ; il ordonna que les affaires qui concerneroient les meurtres, seroient jugées par les décemvirs ; que si celui qui étoit condamné, appelloit de leur sentence au tribunal du peuple, cet appel auroit lieu comme étant légitime ; mais que si par l’événement la sentence étoit confirmée, le coupable seroit pendu à un arbre, après avoir été fustigé ou dans la ville ou hors des murs. La procédure que l’on tenoit en cas d’appel, est très-bien détaillée par M. Terrasson en son histoire de la Jurisprudence Romaine sur la seizieme loi du code papyrien, qui fut formée de cette loi de Tullus Hostilius.

La loi que Sempronius Gracchus fit dans la suite sous le nom de loi Sempronia, de homicidiis, ne changea rien à celles de Numa & de Tullus Hostilius.

Mais Lucius Cornelius Sylla, étant dictateur, l’an de Rome 673, fit une loi connue sous le nom de loi Cornelia de sicariis. Quelque tems après la loi des douze tables, les meurtriers furent appellés sicarii, du mot sica qui signifioit une petite épée recourbée que l’on cachoit sous sa robe. Cette espece de poignard étoit défendue, & l’on dénonçoit aux triumvirs ceux que l’on en trouvoit saisis, à moins que cet instrument ne fût nécessaire au métier de celui qui le portoit, par exemple si c’étoit un cuisinier qui eût sur lui un couteau.

Suivant cette loi Cornelia, si le meurtrier étoit élevé en dignité, on l’exiloit seulement ; si c’étoit une personne de moyen état, on la condamnoit à perdre la tête ; enfin, si c’étoit un esclave, on le crucifioit, ou bien on l’exposoit aux bêtes sauvages.