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plus le vulgaire, ces apparences ne rendent pas le cas fort grave, & les secours de l’art se réduisent alors à emporter les lambeaux de toutes les parties atteintes de pourriture sans toucher aux parties saines circonvoisines : on procure ensuite, par l’usage des médicamens convenables, la suppuration qui doit détacher le reste des parties putréfiées ; on s’applique enfin à déterger l’ulcere, & il n’est pas difficile d’en obtenir la parfaite consolidation.

La liberté du cours des matieres stercorales par la continuité du canal intestinal, pendant que l’intestin est étranglé, est un signe manifeste qu’il ne l’est que dans une portion de son diametre : on en juge par la facilité avec laquelle le malade va à la selle. Il est bon d’observer que ces déjections pourroient être supprimées sans qu’on pût en conclure que tout le diametre de l’intestin est étranglé ; de même, le vomissement des matieres stercorales qui a toujours passé pour un autre signe caractéristique de l’étranglement de tout le diametre de l’intestin, ne doit pas passer pour absolument décisif, puisqu’on l’a observé dans des hernies où l’intestin n’étoit que pincé.

Dans l’opération par laquelle on emporte les lambeaux gangréneux, il ne faut pas dilater l’anneau. Ce seroit mettre obstacle aux heureuses dispositions de la nature ; & l’on s’abuseroit fort, en croyant remplir un précepte de Chirurgie dans la dilatation de l’anneau, lorsque l’intestin gangréné a contracté des adhérences, comme cela est presque toujours, & même nécessairement dans le cas dont il s’agit. La dilatation n’est recommandée en général dans l’opération de l’hernie que pour faciliter la réduction des parties étranglées. Dans l’hernie avec pourriture & adhérence, il n’y a point de réduction à faire, & il n’y a plus d’étranglement. La crevasse de l’intestin & la liberté de l’excrétion des matieres fécales qui en est l’effet, ont fait cesser tous les accidens qui dépendoient de l’étranglement. La dilatation de l’anneau n’est plus indiquée, & elle peut devenir nuisible ; l’incision peut détruire imprudemment un point d’adhérence essentiel, & donner lieu à l’épanchement des matieres stercorales dans la cavité du ventre : il peut au moins en résulter une moindre résistance à l’écoulement des matieres par la plaie, & par conséquent une plus grande difficulté au rétablissement de leur passage par la voie naturelle ; ce qui est peu favorable à la guérison radicale.

L’expérience a montré que rien ne la favorise plus que l’usage des lavemens, & même quelquefois celui des purgatifs minoratifs, lorsqu’il y a de l’embarras dans les glandes du canal intestinal. Il faut en procurer le dégorgement de bonne heure, afin d’éviter les déchiremens qu’il produiroit, lorsqu’il est trop tardif, sur la plaie dont la consolidation est commencée, ou a déja fait quelques progrès. On peut voir à ce sujet les observations sur la cure des hernies avec gangrene, dans le troisieme tome des mémoires de l’académie royale de Chirurgie.

Le second cas est celui où l’intestin est pincé dans tout son diametre. La disposition de l’intestin réglera la conduite que le chirurgien doit tenir dans ce cas épineux. Si l’intestin étoit libre & sans adhérence, ce qui doit être extraordinairement rare dans le cas supposé, il faudroit se comporter comme on le feroit si l’on avoit été obligé de retrancher une portion plus ou moins longue de l’intestin gangréné, formant une anse libre dans le sac herniaire. Ce point de pratique sera discuté dans un instant. Mais si des adhérences de l’intestin mettent le chirurgien dans l’impossibilité d’en rapprocher les orifices d’une façon qui puisse faire espérer une réunion exemte de tout risque ; si la nature, aidée des secours de l’art,

ne paroît pas disposée à faire reprendre librement & avec facilité le cours aux matieres par les voies ordinaires, il faudra nécessairement, si l’on veut mettre la vie du malade en sûreté, procurer un nouvel anus par la portion de l’intestin qui répond à l’estomac. Plusieurs faits judicieusement observés, montrent les avantages de ce précepte, & le danger de la conduite contraire.

Dans le troisieme cas, l’intestin forme une anse libre dans l’anneau : s’il est attaqué de gangrene, sans apparence qu’il puisse se revivifier par la chaleur naturelle après sa réduction dans le ventre, il seroit dangereux de l’y replacer. Le malade périroit par l’épanchement des matieres stercorales dans la cavité de l’abdomen, il faut donc couper la portion gangrénée de l’intestin. Voici quelle étoit la pratique autorisée dans un cas pareil : on lioit la portion intestinal qui répond à l’anus ; & en assujettissant dans la plaie avec le plus grand soin le bout de l’intestin qui répond à l’estomac, on procuroit dans cet endroit un anus nouveau, que les auteurs ont nommé anus artificiel, c’est-à-dire une issue permanente pour la décharge continuelle des excrémens. Des observations plus récentes, dont la premiere a été fournie par M. de la Peyronie en 1723, nous ont appris qu’en retenant les deux bouts de l’intestin dans la plaie, on pouvoit obtenir leur réunion, & guérir le malade par le rétablissement de la route naturelle des matieres fécales. Malheureusement les guérisons qui se sont faites ainsi, & qu’on a regardées comme une merveille de l’art, n’ont point été durables. Les malades tourmentés après leur guerison par des coliques qu’excitoient les matieres retenues par le rétrécissement du canal à l’endroit de la cicatrice, sont morts par la crevasse de l’intestin, qui a permis l’épanchement des matieres dans la capacité du bas-ventre, ensorte que la cure par l’anus artificiel auroit été beaucoup plus sûre, & l’on peut dire qu’elle est certaine ; & que par l’autre procédé, la mort est presque nécessairement déterminée par les circonstances desavantageuses qui accompagnent une cure brillante & trompeuse.

L’art peut cependant venir utilement au secours de la nature dans ce cas. Il y a une méthode de réunir sur le champ les deux bouts de l’intestin libre, dont on a retranché la partie gangrénée, & sans qu’il reste exposé au danger de se retrécir, comme dans la réunion qu’on n’obtient qu’à la longue par le resserrement de la cicatrice extérieure. Nous devons cette méthode à l’industrie de M. Rhamdor, chirurgien du duc de Brunsvich. Après avoir amputé environ la longueur de deux piés du canal intestinal, avec une portion du mesentere, gangrénée dans une hernie ; il engagea la portion supérieure de l’intestin dans l’inférieure, & il les maintint ainsi par un point d’aiguille auprès de l’anneau. Les excrémens cesserent dès-lors de passer par la playe, & prirent leur cours ordinaire par l’anus. La personne guérit en très-peu de tems : cette méthode excellente paroît susceptible de quelque perfection : elle ne convient que dans le cas où l’intestin est libre & sans aucune adhérence, mais il y a des précautions à prendre pour en assûrer le succès, & quoique l’auteur ne les ait point prises & qu’il ait parfaitement réussi, il paroît raisonnable & nécessaire de les proposer.

Il est important que ce soit la portion supérieure de l’intestin qui soit insinuée dans l’inférieure : cette attention doit décider de la réussite de l’opération ; or il n’est pas toujours facile de distinguer d’abord, & dans tous les cas, quelle est précisément la portion de l’intestin qui répond à l’estomac, & quelle est celle qui conduit à l’anus. Cette difficulté n’est point un motif pour rejetter une opération dont la