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vases pouvoit être, à ce qu’on conjecture, d’environ dix barrils mesure de Toscane ; je dis à ce qu’on conjecture, car malheureusement tout fut brisé au grand regret des Antiquaires. Au sortir de cette cave, on découvrit une statue de bronze, représentant le fils de Jupiter & d’Alcmene ; une lanterne à deux meches, & un bracelet d’or ciselé.

Dès qu’on eut commencé de rompre le pavé de mosaïque du temple d’Hercule, l’on trouva sous ce pavé des piédestaux de marbre, plusieurs lacrymatoires, & divers fragmens de métal blanc qui servoient de miroir.

En avançant d’autres fouilles, on apperçut quelques édifices qui avoient une suite uniforme de petites galeries pavées en mosaïque, des fenêtres de médiocre grandeur, & dans quelques-unes des restes de pierres diaphanes, faites de talc ou d’albâtre très-fin.

Après de nouveaux travaux, l’étonnement redoubla à la vue de huit statues colossales assises qui ont été restaurées, & qui servent d’embellissement au théâtre de la maison royale de Portici.

L’œil fut ensuite récréé par le spectacle de quantité de vases, trépiés, & statues d’idoles de plusieurs pieces qui sembloient sortir de ces fouilles, comme d’une source. Dans quelques-uns de ces vases, l’on a trouvé des provisions de toute espece, comme grains, fruits, olives, réduits en charbons ; ainsi qu’un pâté d’environ un pié de diametre, serré dans sa tourtiere & clos dans le four.

On n’a gardé cependant de toutes les curiosités de ce genre qu’un seul pain, semblable de figure à deux pains posés l’un sur l’autre, dont celui de dessous est plus plat, & celui de dessus plus rond. Autour de ce pain on lit : Seligo C. Granii E. Cicere. Il a environ huit pouces de diametre sur quatre de hauteur. Seroit-il de la qualité de ceux dont Juvenal dit :

Et tener, & niveus, molli seligine factus
Servatur domino.

Mais que ce soit un pain mollet ou non, il est entier, & le roi des deux Siciles l’a mis dans des crvstaux comme une chose très singuliere. Rien n’est en effet plus rare, que de posséder du pain de seize siècles, conservant encore sa forme & son étiquete.

A ces découvertes succéda celle de quantité de nouvelles peintures, dont voici les principales. Une chasse de cerfs & de sangliers ; une victoire ; un vase de fleurs avec un chevreuil de chaque côté ; deux muses, dont l’une joue de la lyre, & l’autre a un masque qui couvre son visage ; trois têtes de Méduse ; deux têtes d’animaux imaginaires ; un oiseau qui voltige autour d’un cerf ; un prêtre de Bacchus qui joue des timbales ; un autre assis sur un tigre ; Ariane abandonnée sur le rivage de la mer, & Thésée qui s’enfuit sur son vaisseau ; Jupiter sous diverses formes ; Hercule qui extermine les oiseaux du lac Stymphale ; six ou sept tableaux représentant chacun une bacchante, qui se prépare à danser, & qui est vêtue d’une étoffe de gaze avec toute la recherche imaginable, pour former la nudité variée des épaules & du sein ; enfin d’autres peintures offrent des marines, des coupes d’architecture, & des édifices élégans représentés en perspective & dans toutes les regles de ce genre si difficile.

Laissons aux Antiquaires le soin de parler des médailles que les ruines d’Herculanum ont procurées à sa majesté des deux Siciles, & en particulier des médailles de Vitellius en bronze, grandes & moyennes qui sont rares ; la légende de celles-ci du principal côté est : A. Vitellius Germanicus Imp. Aug. P. M. Fr. P. Les revers sont différens. Dans quelques uns, on voit Mars avec la lance & l’enseigne

romaine. Dans d’autres, la paix tient de la main droite le rameau d’olivier, & de la gauche la corne d’abondance.

Mais nous ne devons pas taire les lampes en grand nombre, qui ont été trouvées à Herculanum, & qui sont presque toutes consacrées à Vénus. Les anciens poëtes nous peignent cette ville & ses environs, comme un des siéges de l’empire de cette déesse. Pour juger à quel point on y portoit son culte, il ne faut que jetter un coup-d’œil sur les lampes dont nous parlons. Si celles de terre cuite sont modestes en général, les lampes de cuivre sont autant de monumens par leur différentes figures, de la dépravation de l’esprit & des mœurs des habitans qui les possédoient.

Il seroit long de décrire les ustensiles des sacrifices ; & ce n’en est pas ici le lieu. Peut-être aussi sera-t-il impossible de connoître précisément la destination de chacun. Il suffira donc de remarquer qu’on en a découvert de toutes especes, en marbre, en verre, en cuivre, en terre cuite, les uns pour les sacrifices proprement dits, les autres pour les libations ; ceux-ci pour l’eau lustrale, ceux là pour recevoir le vin dont on arrosoit les victimes, &c.

Outre ces ustensiles sacrés, Herculanum a fourni quelques meubles de ménage ou de luxe, comme tables & trépiés. Parmi les tables entieres, on en vante une d’un marbre couleur de fer, avec son pied de la même matiere, représentant 10. On ne loue pas moins le trépié que le roi des deux Siciles a placé dans son appartement. Les ornemens de ce trépié sont d’un goût délicat, & la cuvette est soutenue par trois sphynx aîlés d’une très-belle ciselure.

Les autres curiosités consistent en casques, armes de differentes especes, cuillers, bouteilles, vases, chandeliers, pateres, urnes, anneaux, agraffes, boucles d’oreilles, colliers & bracelets, indépendamment d’une cassette qui contenoit les instrumens propres aux occupations des femmes, comme ciseaux, aiguilles, dés à coudre, &c.

Ma joie seroit grande, si je pouvois terminer cet article par la nouvelle d’un beau manuscrit, tiré des ruines d’Herculanum : mais dans le petit nombre de ceux qu’on a déterrés de cette ville souterraine, ou l’écriture étoit effacée, ou les feuilles si fort collées les unes aux autres, qu’elles ont parti par lambeaux. Nous serions trop heureux si les excavations fussent tombées sur le temple d’un homme de lettres ; je veux dire, sur une maison écartée, consacrée aux muses, dans laquelle on eût trouvé en bon état quelqu’un de ces précieux ouvrages complets qui nous manquent toujours, comme un Diodore de Sicile, un Polybe, un Saluste, un Tite Live, un Tacite, la seconde partie des fastes d’Ovide, les vingt-quatre livres de la guerre des Germains, que Pline commença lorsqu’il servoit dans ce pays ; ou bien enfin, puisque ce peuple aimoit tant le théâtre, un Eschyle, un Eurypide, un Aristophane, un Ménandre ; certes on pouvoit se flatter de ce dernier genre de découvertes.

La Campanie où étoit Herculanum, n’offroit pas seulement une contrée délicieuse par la fécondité de ses champs, la beauté de ses fruits, l’aménité de ses bords, la salubrité de son air, mais encore par le séjour que les muses faisoient dans son voisinage. La plûpart des beaux-esprits de Rome sembloient s’être accordés pour venir habiter toutes les campagnes d’alentour. Enfin Herculanum étoit, pour ainsi dire, ceinte & munie de domiciles des sciences, & d’atteliers des beaux-arts. Ciceron, Pompée, celui qui le vainquit à Pharsale, & tant d’autres Romains, aussi célebres par leur savoir que par leur habileté dans la conduite de l’état, avoient des mai-