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êtres, mais non à chacune de ses parties : il y en a d’oisives ou mortes.

Les choses éternelles se meuvent éternellement. Les choses passageres & périssables ne se meuvent qu’un tems.

On ne voit point, on ne touche point, on ne sent point les particules du feu ; elles nous échappent par la petitesse de leur masse & la rapidité de leur action. Elles sont incorporelles.

Il est un feu artificiel qu’il ne faut pas confondre avec le feu élémentaire.

Si tout émane du feu, tout se résout en feu.

Il y a deux mondes ; l’un éternel & incréé, un autre qui a commencé & qui finira.

Le monde éternel & incréé fut le feu élémentaire qui est, a été, & sera toûjours, mensura generalis accendens & extinguens, la mesure générale de tous les états des corps, depuis le moment où ils s’allument jusqu’à celui où ils s’éteignent.

Le monde périssable & passager n’est qu’une combinaison momentanée du feu élémentaire.

Le feu éternel, élémentaire, créateur & toûjours vivant, c’est Dieu.

Le mouvement & l’action lui sont essentiels ; il ne se repose jamais.

Le mouvement essentiel d’où naît la nécessité & l’enchaînement des événemens, c’est le Destin.

C’est une substance intelligente ; elle pénetre tous les êtres, elle est en eux, ils sont en elle, c’est l’ame du monde.

Cette ame est la cause génératrice des choses.

Les choses sont dans une vicissitude perpétuelle ; elles sont nées de la contrariété des mouvemens, & c’est par cette contrariété qu’elles passent.

Un feu le plus subtil & le plus liquescent a fait l’air en se condensant ; un air plus dense a produit l’eau, une eau plus resserrée a formé de la terre. L’air est un feu éteint.

Le feu, l’air, l’eau & la terre d’abord séparés, puis réunis & combinés, ont engendré l’aspect universel des choses.

L’union & la séparation sont les deux voies de génération & de destruction.

Ce qui se résout, se résout en vapeurs.

Les unes sont légeres & subtiles ; les autres pesantes & grossieres. Les premieres ont produit les corps lumineux ; les secondes, les corps opaques.

L’ame du monde est une vapeur humide. L’ame de l’homme & des autres animaux est une portion de l’ame du monde, qu’ils reçoivent ou par l’inspiration ou par les sens.

Imaginez des vaisseaux concaves d’un côté, & convexes de l’autre. Formez la convexité de vapeurs pesantes & grossieres ; tapissez la concavité de vapeurs légeres & subtiles, & vous aurez les astres, leurs faces obscures & lumineuses, avec leurs éclipses.

Le soleil, la lune & les autres astres n’ont pas plus de grandeur que nous ne leur en voyons.

Quelle différence de la Logique & de la Physique des anciens, & de leur morale ! Ils en étoient à peine à l’a b c de la nature, qu’ils avoient épuisé la connoissance de l’homme & de ses devoirs.

Morale d’Héraclite. L’homme veut être heureux. Le plaisir est son but.

Ses actions sont bonnes, toutes les fois qu’en agissant, il peut se considérer lui-même comme l’instrument des dieux. Quel principe !

Il importe peu à l’homme pour être heureux, de savoir beaucoup.

Il en sait assez s’il se connoît & s’il se possede.

Que lui fera-t-on, s’il méprise la mort & la vie ? Quelle différence si grande verra-t-il entre vivre & mourir, veiller & dormir, croître ou passer ; s’il est

convaincu que sous quelque état qu’il existe, il suit la loi de la nature ?

S’il y a bien réfléchi, la vie ne lui paroîtra qu’un état de mort, & son corps le sépulcre de son ame.

Il n’a rien ni à craindre ni à souhaiter au-delà du trépas.

Celui qui sentira avec quelle absolue nécessité la santé succede à la maladie, la maladie à la santé, le plaisir à la peine, la peine au plaisir, la satiété au besoin, le besoin à la satiété, le repos à la fatigue, la fatigue au repos, & ainsi de tous les états contraires, se consolera facilement du mal, & se réjouira avec modération dans le bien.

Il faut que le philosophe sache beaucoup. Il suffit à l’homme sage de savoir se commander.

Sur-tout être vrai dans ses discours & dans ses actions.

Ce qu’on nomme le génie dans un homme est un démon.

Nés avec du génie ou nés sans génie, nous avons sous la main tout ce qu’il faut pour être heureux.

Il est une loi universelle, commune & divine, dont toutes les autres sont émanées.

Gouverner les hommes, comme les dieux gouvernent le monde, où tout est nécessaire & bien.

Il faut avouer qu’il y a dans ces principes, je ne sais quoi de grand & de général, qui n’a pû sortir que d’ames fortes & vigoureuses, & qui ne peut germer que dans des ames de la même trempe. On y propose par-tout à l’homme, les dieux, la nature & l’universalité de ses loix.

Héraclite eut quelques disciples. Platon, jeune alors, étudia sa philosophie sous Héraclite, & retint ce qu’il en avoit appris sur la nature de la matiere & du mouvement. On dit qu’Hippocrate & Zenon éleverent aussi leurs systèmes aux dépens du sien.

Mais jusqu’où Hippocrate s’est-il approprié les idées d’Héraclite ? c’est ce qu’il sera difficile de connoître, tant que les vrais ouvrages de ce pere de la Medecine demeureront confondus avec ceux qui lui sont faussement attribués.

Les traités où l’on voit Hippocrate abandonner l’expérience & l’observation, pour se livrer à des hypothèses, sont suspects. Cet homme étonnant ne méprisoit pas la raison ; mais il paroît avoir eu beaucoup plus de confiance dans le témoignage de ses sens, & la connoissance de la nature & de l’homme. Il permettoit bien au medecin de se mêler de Philosophie, mais il ne pouvoit souffrir que le philosophe se mêlât de Medecine. Il n’avoit garde de décider de la vie de son semblable d’après une idée systématique. Hippocrate ne fut à proprement parler, d’aucune secte. Celui, dit-il, qui ose parler ou écrire de notre art, & qui prétend rappeller tous les cas à quelques qualités particulieres, telles que le sec & l’humide, le froid & le chaud, nous resserre dans des bornes trop étroites, & ne cherchant dans l’homme qu’une ou deux causes générales de la vie ou de la mort, il faut qu’il tombe dans un grand nombre d’erreurs. Cependant la Philosophie rationnelle ne lui étoit pas étrangere ; & si l’on consent à s’en rapporter au livre des principes & des chairs, il sera facile d’appercevoir l’analogie & la disparité de ses principes, & des principes d’Héraclite.

Physique d’Hippocrate. A quoi bon, dit Hippocrate, s’occuper des choses d’enhaut ? On ne peut tirer de leur influence sur l’homme & sur les animaux, qu’une raison bien générale & bien vague de la santé & de la maladie, du bien & du mal, de la mort & de la vie.

Ce qui s’appelle le chaud paroît immortel. Il comprend, voit, entend, & sent tout ce qui est & sera.

Au moment où la séparation des choses confuses