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nuyeuse qu’on ne peut rompre, comme dans les vers alexandrins. De plus, le vers pentametre latin venant après un hexametre, produisoit une variété qui nous manque.

Ces vers de cinq piés à deux hémistiches égaux pourroient se souffrir dans des chansons : ce fut pour la Musique que Sapho inventa chez les Grecs une mesure à-peu-près semblable, qu’Horace les imita quelquefois lorsque le chant étoit joint à la Poésie, selon sa premiere institution. On pourroit parmi nous introduire dans le chant cette mesure qui approche de la saphique.

L’amour est un dieu | que la terre adore,
Il fait nos tourmens, | il sait les guérir.
Dans un doux repos heureux qui l’ignore !
Plus heureux cent fois | qui peut le servir.


Mais ces vers ne pourroient être tolérés dans des ouvrages de longue haleine, à cause de la cadence uniforme. Les vers de dix syllabes ordinaires sont d’une autre mesure ; la césure sans hémistiche est presque toûjours à la fin du second pié, de sorte que le vers est souvent en deux mesures, l’une de quatre, l’autre de six syllabes ; mais on lui donne aussi souvent une autre place, tant la variété est nécessaire.

Languissant, foible, & courbé sous les maux,
J’ai consumé mes jours dans les travaux :
Quel fut le prix de tant de soins ? L’envie.
Son soufle impur empoisonna ma vie.


Au premier vers la césure est après le mot foible ; au second après jours ; au troisieme elle est encore plus loin après soins ; au quatrieme elle est après impur.

Dans les vers de huit syllabes il n’y a jamais d’hémistiche, & rarement de césure.

Loin de nous ce discours vulgaire,
Que la nature dégenere,
Que tout passe & que tout finit.
La nature est inépuisable,
Et le travail infatigable
Est un dieu qui la rajeunit.


Au premier vers s’il y avoit une césure, elle seroit à la troisieme syllabe, loin de nous ; au second vers à la quatrieme syllabe, nature. Il n’est qu’un cas où ces vers consacrés à l’ode ont des césures, c’est quand le vers contient deux sens complets comme dans celui-ci.

Je vis en paix, je fuis la cour.


Il est sensible que je vis en paix, forme une césure ; mais cette mesure répétée seroit intolérable. L’harmonie de ces vers de quatre piés consiste dans le choix heureux des mots & des rimes croisées : foible mérite sans les pensées & les images.

Les Grecs & les Latins n’avoient point d’hémistiche dans leurs vers hexametres ; les Italiens n’en ont dans aucune de leurs poésies.

Lé donné, j cavalier, l’armi, gli amori,
Lé cortésie, l’audaci impresé jo canto
Ché furo al tempo ché passaro j mori
D’africa il mar, e in francia nocquer tanto
, &c.


Ces vers sont composés d’onze syllabes, & le génie de la langue italienne l’exige. S’il y avoit un hémistiche, il faudroit qu’il tombât au deuxieme pié & trois quarts.

La Poésie angloise est dans le même cas ; les grands vers anglois sont de dix syllabes ; ils n’ont point d’hémistiche, mais ils ont des césures marquées.

At tropington | not far from cambridge, stood
A cross a pleasing stream | a bridge of wood,
Near it a mill | in low and plashy ground,
Where corn for all the neighbouring parts | was grown’d.


Les césures différentes de ces vers sont désignées par les tirets |.

Au reste, il est peut-être inutile de dire que ces vers sont le commencement de l’ancien conte du berceau, traité depuis par la Fontaine. Mais ce qui est utile pour les amateurs, c’est de savoir que non seulement les Anglois & les Italiens sont affranchis de la gêne de l’hémistiche, mais encore qu’ils se permettent tous les hiatus qui choquent nos oreilles, & qu’à cette liberté ils ajoûtent celle d’allonger & d’accourcir les mots selon le besoin, d’en changer la terminaison, de leur ôter des lettres ; qu’enfin, dans leurs pieces dramatiques, & dans quelques poëmes, ils ont secoué le joug de la rime : de sorte qu’il est plus aisé de faire cent vers italiens & anglois passables, que dix françois, à génie égal.

Les vers allemans ont un hémistiche, les espagnols n’en ont point : tel est le génie différent des langues, dépendant en grande partie de celui des nations. Ce génie qui consiste dans la construction des phrases, dans les termes plus ou moins longs, dans la facilité des inversions, dans les verbes auxiliaires, dans le plus ou moins d’articles, dans le mêlange plus ou moins heureux des voyelles & des consonnes : ce génie, dis-je, détermine toutes les différences qui se trouvent dans la poésie de toutes les nations ; l’hémistiche tient évidemment à ce génie des langues.

C’est bien peu de chose qu’un hémistiche : ce mot sembloit à peine mériter un article ; cependant on a été forcé de s’y arrêter un peu ; rien n’est à mépriser dans les Arts ; les moindres regles sont quelquefois d’un très-grand détail. Cette observation sert à justifier l’immensité de ce Dictionnaire, & doit inspirer de la reconnoissance pour les peines prodigieuses de ceux qui ont entrepris un ouvrage, lequel doit rejetter à la vérité toute déclamation, tout paradoxe, toute opinion hasardée, mais qui exige que tout soit approfondi. Article de M. de Voltaire.

HÉMITRITÉE, (Maladie.) c’est une épithete que les Grecs ont donnée à une sorte de fievre, qui étant de sa nature continue, exacerbante, c’est-à-dire avec redoublement, tient cependant du caractere de la fievre intermittente tierce, par le type ou l’ordre de ses redoublemens : c’est l’ἡμιτριταῖος πυρετὸς, febris hemitritæa seu semi-tertiana, de Galien, de Sennert.

La fievre hémitritée, ou l’hémitritée, ce mot étant souvent employé substantivement, ou ce qui est la même chose, la demi-tierce, est donc cette espece de fievre dans laquelle, outre les redoublemens de la fievre continue quotidienne, dont les retours sont reglés, il survient encore de deux en deux jours un redoublement plus considérable qui se fait sentir à la même heure, & correspond aux accès de l’espece de fievre intermittente, appellée tierce : en sorte que chaque troisieme jour, à compter du premier accès, il y a deux redoublemens, c’est-à-dire, celui de la fievre quotidienne & celui de la fievre tierce, intermittente, qui est comme antée sur la continue ; & le jour intermédiaire n’a qu’un redoublement, qui est de celle-ci : ainsi la fievre ne cesse point, ne diminue point jusqu’à l’apyrexie, jusqu’à l’intermittence complette ; mais dans la diminution de tous les symptomes, dans la rémission surviennent tous les jours des redoublemens de quotidienne continue & de plus de deux jours en deux jours, des paroxysmes tiercenaires, qui sont encore plus forts que les autres, & tels qu’ils paroissent dans la véritable fievre intermittente tierce.

On doit cependant observer qu’il y a trois sortes de fievres, auxquelles les anciens ont donné le nom d’hémitritée ; savoir, 1°. la fievre tierce intermit-