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un morceau de papier gris qui débordoit vers l’orifice inférieur. L’eau pénétra dans cette espece de gouttiere & dans le papier gris ; mais il n’en tomba aucune goutte par ce canal ; on n’en put même exprimer en pressant avec les doigts, le papier gris mouillé. Tout cet équipage tiré hors du vase, ne produisit aucun écoulement ; il n’avoit lieu que lorsqu’on versoit de l’eau par le haut du tuyau ; & le tuyau ayant été rempli de terre au lieu de sable, on n’apperçut aucun écoulement, & la terre absorboit plus d’eau que le sable, quand on en versoit par le haut ; ce qui a été observé depuis par M. de Reaumur. Il paroît qu’il faut pour pénétrer la terre, une quantité d’eau égale au tiers de sa masse.

M. Perrault soûmit à la même expérience de l’eau salée ; les sables contractoient d’abord un certain degré de salure, & l’eau diminuoit un peu son amertume : mais lorsque les couloirs s’étoient une fois chargés de sels, l’eau qui s’y filtroit n’en déposoit plus. Et d’ailleurs des percolations réitérées au travers de cent différentes matieres sabloneuses, n’ont point entierement dessalé l’eau de la mer. Voilà des faits très-destructifs des suppositions précédentes. On peut ajoûter à ces expériences d’autres faits aussi décisifs. Si l’eau se dessaloit par filtration, moins elle auroit fait de trajet dans les couches terrestres, & moins elle seroit dessallée : or on trouve des fontaines & même des puits d’eau douce, sur les bords de la mer, & des sources même dans le fond de la mer, comme nous le verrons par la suite. Il est vrai que quand les eaux de la mer pénetrent dans les sables en se réunissant aux pluies, elles produisent un mélange saumache & salin ; mais il suffit qu’on trouve des eaux douces dans des fontaines abondantes & dans des puits voisins de la mer, pour que l’on puisse soûtenir que les eaux de la mer ne peuvent se dessaler par une filtration soûterreine. On n’alléguera pas sans doute les eaux salées, puisqu’il s’en trouve au milieu des terres, comme en Alsace, en Franche-Comté, à Salins ; & d’ailleurs il est certain que cette eau n’est salée, que parce qu’elle dissout des mines de sel.

En général, on peut opposer à l’hypothèse que nous venons de décrire, plusieurs difficultés très-fortes.

1°. On suppose fort gratuitement des passages libres & ouverts, depuis le lit de la mer jusqu’au pié des montagnes. On n’a pû prouver par aucun fait l’existence de ces canaux soûterreins ; on a plûtôt prouvé le besoin que l’on en a, que leur réalité ou leur usage. Comment concevoir que le lit de la mer soit criblé d’ouvertures, & la masse du globe toute percée de canaux soûterreins ? voyons-nous que la plûpart des lacs & des étangs perdent leurs eaux autrement que par des couches de glaise ? Le fond de la mer est tapissé & recouvert d’une matiere visqueuse, qui ne lui permet pas de s’extravaser aussi facilement & aussi abondamment qu’il est nécessaire de le supposer, pour disperser avec autant de profusion les fontaines sur la surface des îles & des continens. Quand même la terre pénétreroit certaines couches de son fond à une profondeur assez considérable, on ne peut en conclure la filtration de ses eaux dans la masse du globe. Prétendre outre cela, que les gouffres qui paroissent absorber l’eau de la mer, soient les bouches de ces canaux soûterreins, c’est s’attacher à des apparences pour le moins incertaines, comme nous le verrons par la suite.

On n’a pas plus de lumieres sur ces grands réservoirs ou ces immenses dépôts, qui, selon quelques auteurs, fournissent l’eau à une certaine portion de la surface du globe ; sur ces lacs soûterreins décrits dans Kircher (mund. subterr.) sous le nom d’Hydrophilacia, & dont il a cru devoir donner des plans

pour rassûrer la crédulité de ceux qui seroient portés à ne les pas adopter sur sa parole.

2°. Quand leur existence seroit aussi certaine qu’elle est douteuse à ceux qui n’imaginent pas gratuitement, il ne s’ensuivroit pas que ces lacs eussent une communication avec la mer. Les lacs soûterreins que l’on a découverts, sont d’eau douce : au surplus ils tirent visiblement leurs eaux des couches supérieures de la terre. On observe constamment toutes les fois qu’on visite des soûterreins, que les eaux se filtrent au-travers de l’épaisseur de la croûte de terre qui leur sert de voûte. Lorsqu’on fait un étalage de ces cavernes fameuses, par lesquelles on voudroit nous persuader l’existence & l’emploi de ces réservoirs soûterreins, on nous donne lieu de recueillir des faits très-décisifs contre ces suppositions : car la caverne de Baumannia située dans les montagnes de la forêt d’Hircinie, celle de Podpetschio dans la Carniole, celles de la Kiovie, de la Podolie, toutes celles que Scheuchzer a eu lieu d’examiner dans les Alpes, celles qu’on trouve en Angleterre, sont la plûpart à sec, & l’on y remarque tout-au-plus quelques filets d’eau qui viennent des voûtes & des congélations, formées par les dépôts successifs des eaux qui se filtrent au travers des couches supérieures. La forme des fluors, la configuration des stalactites en cul-de-lampe, annonce la direction des eaux gouttieres. Les filets d’eau & ces especes de courans, tarissent par la sécheresse, comme on l’a remarqué dans les caves de l’observatoire & dans la grotte d’Arcy en Bourgogne, dans laquelle il passe en certain tems une espece de torrent qui traverse une de ses cavités. Si l’on examine l’eau des puits & des sources, on trouvera qu’elle a des propriétés dépendantes de la nature des couches de terre supérieures au bassin qui contient les eaux. Dans la ville de Modene & à quatre milles aux environs, en quelqu’endroit que l’on fouille, lorsqu’on est parvenu à la profondeur de 63 piés, & qu’on a percé la terre, l’eau jaillit avec une si grande force, qu’elle remplit les puits en peu de tems, & qu’elle coule même continuellement par-dessus ses bords. Or cet effet indique un réservoir supérieur au sol de Modene, qui éleve l’eau de ses puits au niveau de son terrein, & qui par conséquent doit être placé dans les montagnes voisines. Et n’est-il pas plus naturel qu’il soit le produit des pluies qui tombent sur les collines & les montagnes de Saint-Pélerin, que de supposer un effort de fil ration ou de distillation des eaux de la mer qui ait guindé ces eaux à cette hauteur, pour les faire remonter au niveau du sol de Modene ? Ainsi on n’a aucun fait qui établisse des évaporations, des distillations, ou des percolations du centre du globe à la circonférence ; mais au contraire, toutes les observations nous font remarquer des filtrations dans les premieres couches du globe.

3°. Les merveilleux alembics, la chaleur qui entretient leur travail, le froid qui condense leurs vapeurs, la direction du cou du chapiteau ou des aludels d’ascension, qui doit être telle qu’elle empêche les vapeurs de retomber dans le fond de la cucurbite, & de produire par-là une circulation infructueuse ; combien de suppositions pour réunir tous ces avantages ; comment le feu seroit-il assez violent pour changer en vapeurs cette eau salée & pesante qu’on tire de la mer, & la faire monter jusqu’aux premieres couches de la terre ? Le degré de chaleur qu’on a eu lieu d’observer dans les soûterreins, n’est pas capable de produire ces effets. Quelle accélération dans le travail, & quelle capacité dans l’alembic n’exigeroit pas la distillation d’une source aussi abondante que celles qu’on rencontre assez ordinairement ! L’eau réduite en vapeur à la chaleur de l’eau bouillante, occupant un espace 14000