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Il n’écrivit point ses lois. Les souverains en furent les dépositaires ; & ils purent, selon les circonstances, les étendre, les restreindre, ou les abroger, sans inconvénient : cependant elles étoient le sujet des chants de Tyrtée, de Terpandre, & des autres poëtes du tems.

Rhadamante, celui qui mérita par son intégrité la fonction de juge aux enfers, fut un des législateurs de la Crete. Il rendit ses institutions respectables, en les proposant au nom de Jupiter. Il porta la crainte des dissensions que le culte peut exciter, ou la vénération pour les dieux, jusqu’à défendre d’en prononcer le nom.

Minos fut le successeur de Rhadamante, l’émule de sa justice en Crete, & son collégue aux enfers. Il alloit consulter Jupiter dans les antres du mont Ida ; & c’est de-là qu’il rapportoit aux peuples non ses ordonnances, mais les volontés des dieux.

Les sages de Grece succéderent aux législateurs. La vie de ces hommes, si vantés pour leur amour de la vertu & de la vérité, n’est souvent qu’un tissu de mensonges & de puérilités, à commencer par l’historiette de ce qui leur mérita le titre de sages.

De jeunes Ioniens rencontrent des pêcheurs de Milet, ils en achetent un coup de filet ; on tire le filet, & l’on trouve parmi des poissons un trépié d’or. Les jeunes gens prétendent avoir tout acheté, & les pêcheurs n’avoir vendu que le poisson. On s’en rapporté à l’oracle de Delphe, qui adjuge le trépié au plus sage des Grecs. Les Milésiens l’offrent à Thalès, le sage Thales le transmet au sage Bias, le sage Bias à Pittacus, Pittacus à un autre sage, & celui-ci à Solon, qui restitua à Apollon le titre de sage & le trépié.

La Grece eut sept sages. On entendoit alors par un sage, un homme capable d’en conduire d’autres. On est d’accord sur le nombre ; mais on varie sur les personnages. Thalès, Solon, Chilon, Pittacus, Bias, Cléobule & Periandre, sont le plus généralement reconnus. Les Grecs ennemis du despotisme & de la tyrannie, ont substitué à Periandre, les uns Myson, les autres Anacharsis. Nous allons commencer par Myson.

Myson naquit dans un bourg obscur. Il suivit le genre de vie de Timon & d’Apémante, se garantit de la vanité ridicule des Grecs, encouragea ses concitoyens à la vertu, plus encore par son exemple que par ses discours, & fut véritablement un sage.

Thalès fut le fondateur de la secte ionique. Nous renvoyons l’abregé de sa vie à l’article Ionienne, (Philosophie), où nous ferons l’histoire de ses opinions.

Solon succéda à Thalès. Malgré la pauvreté de sa famille, il joüit de la plus grande considération. Il descendoit de Codrus. Exécestide, pour réparer une fortune que sa prodigalité avoit épuisée, jetta Solon son fils dans le commerce. La connoissance des hommes & des lois fut la principale richesse que le philosophe rapporta des voyages que le commerçant entreprit. Il eut pour la Poésie un goût excessif, qu’on lui a reproché. Personne ne connut aussi-bien l’esprit leger & les mœurs frivoles de ses concitoyens, & n’en sut mieux profiter. Les Athéniens desespérant, après plusieurs tentatives inutiles, de recouvrer Salamine, décernerent la peine de mort contre celui qui oseroit proposer derechef cette expédition. Solon trouva la loi honteuse & nuisible. Il contrefit l’insensé ; & le front ceint d’une couronne, il se présenta sur une place publique, & se mit à réciter des élégies qu’il avoit composées. Les Athéniens se rassemblent autour de lui ; on écoute ; on applaudit ; il exhorte à reprendre la guerre contre Salamine. Pisistrate l’appuie ; la loi est révoquée ; on marche contre les habitans de Megare ; ils sont défaits, & Sala-

mine est recouvrée. Il s’agissoit de prévenir l’ombrage

que ce succès pouvoit donner aux Lacédémoniens, & l’allarme que le reste de la Grece en pouvoit prendre ; Solon s’en chargea, & y réussit : mais ce qui mit le comble à sa gloire, ce fut la défaite des Cyrrhéens, contre lesquels il conduisit ses compatriotes, & qui furent séverement châtiés du mépris qu’ils avoient affecté pour la religion.

Ce fut alors que les Athéniens se diviserent sur la forme du gouvernement ; les uns inclinoient pour la démocratie ; d’autres pour l’oligarchie, ou quelque administration mixte. Les pauvres étoient obérés au point que les riches devenus maîtres de leurs biens & de leur liberté, l’étoient encore de leurs enfans : ceux-ci ne pouvoient plus supporter leur misere ; le trouble pouvoit avoir des suites fâcheuses. Il y eut des assemblées. On s’adressa d’une voix générale à Solon, & il fut chargé d’arrêter l’état sur le penchant de sa ruine. On le créa archonte, la troisieme année de la quarante-sixieme olympiade ; il rétablit la police & la paix dans Athenes ; il soulagea les pauvres, sans trop mécontenter les riches ; il divisa le peuple en tribus ; il institua des chambres de judicature ; il publia ses lois ; & employant alternativement la persuasion & la force, il vint à-bout des obstacles qu’elles rencontrerent. Le bruit de sa sagesse pénétra jusqu’au fond de la Scythie, & attira dans Athenes Anacharsis & Toxaris, qui devinrent ses admirateurs, ses disciples & ses amis.

Après avoir rendu à sa patrie ce dernier service ; il s’en exila. Il crut que son absence étoit nécessaire pour accoûtumer ses concitoyens, qui le fatiguoient sans cesse de leurs doutes, à interpréter eux-mêmes ses lois. Il alla en Egypte, où il fit connoissance avec Psenophe ; & dans la Crete, où il fut utile au souverain par ses conseils ; il visita Thalès ; il vit les autres sages ; il conféra avec Périandre, & il mourut en Chypre âgé de 80 ans. Le desir d’apprendre qui l’avoit consumé pendant toute sa vie, ne s’éteignit qu’avec lui. Dans ses derniers momens, il étoit encore environné de quelques amis, avec lesquels il s’entretenoit des sciences qu’il avoit tant chéries.

Sa philosophie pratique étoit simple ; elle se reduisoit à un petit nombre de maximes communes, telles que celles-ci : ne s’écarter jamais de la raison : n’avoir aucun commerce avec le méchant : méditer les choses utiles : éviter le mensonge : être fidele ami : en tout considérer la fin ; c’est ce que nous disons à nos enfans : mais tout ce qu’on peut faire dans l’âge mûr, c’est de pratiquer les leçons qu’on a reçûes dans l’enfance.

Chilon de Lacédémone fut élevé à l’éphorat sous Eutydeme. Il n’y eut guere d’homme plus juste. Parvenu à une extrème vieillesse, la seule faute qu’il se reprochoit, c’étoit une foiblesse d’amitié qui avoit soustrait un coupable à la sévérité des lois. Il étoit patient, & il répondoit à son frere, indigné de la préférence que le peuple lui avoit accordée pour la magistrature : tu ne sais pas supporter une injure, & je le sais moi. Ses mots sont laconiques. Connois toi : rien de trop : laisse en repos les morts. Sa vie fut d’accord avec ses maximes Il mourut de joie, en embrassant son fils qui sortoit vainqueur des jeux olympiques.

Pittacus naquit à Lesbos, dans la 32e olympiade. Encouragé par les freres du poëte Alcée, & brûlant par lui-même du desir d’affranchir sa patrie, il débuta par l’exécution de ce dessein périlleux. En reconnoissance de ce service, ses concitoyens le nommerent général dans la guerre contre les Athéniens. Pittacus proposa à Phrinon qui commandoit l’ennemi, d’épargner le sang de tant d’honnêtes gens qui marchoient à leur suite, & de finir la querelle des deux peuples par un combat singulier. Le défi fut accepté. Pittacus enveloppa Phrinon dans un filet de pêcheur