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Ciel, & se tinrent cachés dans les entrailles de la Terre. La Terre irrita ses enfans contre son époux, & Saturne coupa les testicules au Ciel. Le sang de la blessure tomba sur la Terre, & produisit les Géants, les Nymphes & les Furies. Des testicules jettés dans la Mer naquit une déesse, autour de laquelle les Amours se rassemblerent : c’étoit Vénus. Le Ciel prédit à ses enfans qu’il seroit vengé. La Nuit engendra le Destin, Nemesis, les Hespérides, la Fraude, la Dispute, la Haine, l’Amitié, Momus, le Sommeil, la troupe legere des Songes, la Douleur & la Mort. La Dispute engendra les Travaux, la Mémoire, l’Oubli, les Guerres, les Meurtres, le Mensonge & le Parjure. La Mer engendre Nérée, le juste & véridique Nérée ; & après lui, des fils & des filles, qui engendrerent toutes les races divines. L’Océan & Thétis eurent trois mille enfans. Rhéa fut mere de la Lune, de l’Aurore & du Soleil. Le Styx fils de l’Océan engendra Zelus, Nicé, la Force & la Violence, qui furent toûjours assises à côté de Jupiter. Phébé & Cæus engendrerent Latone, Astérie & Hécate, que Jupiter honora par-dessus toutes les immortelles. Rhéa eut de Saturne Vesta, Cerès, Pluton, Neptune & Jupiter, pere des dieux & des hommes. Saturne qui savoit qu’un de ses enfans le déthroneroit un jour, les mange à mesure qu’ils naissent ; Rhéa conseillée par la Terre & par le Ciel, cache Jupiter le plus jeune dans un antre de l’île de Crete, &c.

Voilà ce qu’Hésiode nous a transmis en très-beaux vers, le tout mêlé de plusieurs autres rêveries greques. Voyez, dans Brucker, tome I. pag. 417. le commentaire qu’on a fait sur ces réveries. Si l’on s’en est servi pour cacher quelques vérités, il faut avoüer qu’on y a bien réussi. Si Hésiode pouvoit revenir au monde, & qu’il entendît seulement ce que les Chimistes voyent dans la fable de Saturne, je crois qu’il seroit bien surpris. De tems immémorial, les planetes & les métaux ont été désignés par les mêmes noms. Entre les métaux, Saturne est le plomb. Saturne dévore presque tous ses enfans ; & pareillement le plomb attaque la plûpart des substances métalliques : pour le guérir de cette avidité cruelle, Rhéa lui fait avaler une pierre ; & le plomb uni avec les pierres, se vitrifie & ne fait plus rien aux métaux qu’il attaquoit, &c. Je trouve dans ces sortes d’explications beaucoup d’esprit, & peu de vérité.

Une réflexion qui se présente à la lecture du poëme d’Hésiode, qui a pour titre, des jours & des travaux, c’est que dans ces tems la pauvreté étoit un vice ; le pain ne manquoit qu’au paresseux : & cela devroit être ainsi dans tout état bien gouverné.

On cite encore parmi les théogonistes & les fondateurs de la philosophie fabuleuse des Grecs, Epiménide de Crete, & Homere.

Epiménide ne fut pas inutile à Solon dans le choix des lois qu’il donna aux Athéniens. Tout le monde connoît le long sommeil d’Epiménide : c’est, selon toute apparence, l’allégorie d’une longue retraite.

Homere théologien, philosophe & poëte, écrivit environ 900 ans avant l’ere chrétienne. Il imagina la ceinture de Vénus, & il fut le pere des graces. Ses ouvrages ont été bien attaqués, & bien défendus. Il y a deux mots de deux hommes célebres que je comparerois volontiers. L’un disoit qu’Homere n’avoit pas vingt ans à être lu ; l’autre, que la religion n’avoit pas cent ans à durer. Il me semble que le premier de ces mots marque un défaut de philosophie & de goût, & le second un défaut de philosophie & de foi.

Voilà ce que nous avons pû rassembler de supportable sur la philosophie fabuleuse des Grecs. Passons à leur philosophie politique.

Philosophie politique des Grecs. La Religion, l’Eloquence, la Musique & la Poésie, avoient préparé

les peuples de la Grece à recevoir le joug de la législation ; mais ce joug ne leur étoit pas encore imposé. Ils avoient quitté le fond des forêts ; ils étoient rassemblés ; ils avoient construit des habitations, & élevé des autels ; ils cultivoient la terre, & sacrifioient aux dieux : du reste sans conventions qui les liassent entre eux, sans chefs auxquels ils se fussent soûmis d’un consentement unanime, quelques notions vagues du juste & de l’injuste étoient toute la regle de leur conduite ; & s’ils étoient retenus, c’étoit moins par une autorité publique, que par la crainte du ressentiment particulier. Mais qu’est ce que cette crainte ? qu’est-ce même que celle des dieux ? qu’est-ce que la voix de la conscience, sans l’autorité & la menace des lois ? Les lois, les lois ; voilà la seule barriere qu’on puisse élever contre les passions des hommes : c’est la volonté générale qu’il faut opposer aux volontés particulieres ; & sans un glaive qui se meuve également sur la surface d’un peuple, & qui tranche ou fasse baisser les têtes audacieuses qui s’élevent, le foible demeure exposé à l’injure du plus fort ; le tumulte regne, & le crime avec le tumulte ; & il vaudroit mieux pour la sûreté des hommes, qu’ils fussent épars, que d’avoir les mains libres & d’être voisins. En effet, que nous offre l’histoire des premiers tems policés de la Grece ? des meurtres, des rapts, des adulteres, des incestes, des parricides ; voilà les maux auxquels il falloit remédier, lorsque Zaleucus parut. Personne n’y étoit plus propre par ses talens, & moins par son caractere : c’étoit un homme dur ; il avoit été pâtre & esclave, & il croyoit qu’il falloit commander aux hommes comme à des bêtes, & mener un peuple comme un troupeau.

Si un européen avoit à donner des lois à nos sauvages du Canada, & qu’il eût été témoin des excès auxquels ils se portent dans l’ivresse, la premiere idée qui lui viendroit, ce seroit de leur interdire l’usage du vin. Ce fut aussi la premiere loi de Zaleucus : il condamna l’adultere à avoir les yeux crevés ; & son fils ayant été convaincu de ce crime, il lui fit arracher un œil, & se fit arracher l’autre. Il attacha tant d’importance à la législation, qu’il ne permit à qui que ce fût d’en parler qu’en présence de mille citoyens, & qu’avec la corde au cou. Ayant transgressé dans un tems de guerre la loi par laquelle il avoit décerné la peine de mort contre celui qui paroîtroit en armes dans les assemblées du peuple, il se punit lui-même en s’ôtant la vie. On attribue la plûpart de ces faits, les uns à Charondas, les autres à Dioclès de Syracuse. Quoi qu’il en soit, ils n’en montrent pas moins combien on exigeoit de respect pour les lois, & quel danger on trouvoit à en abandonner l’examen aux particuliers.

Charondas de Catane s’occupa de la politique, & dictoit ses lois dans le même tems que Zaleucus faisoit exécuter les siennes. Les fruits de sa sagesse ne demeurerent pas renfermés dans sa patrie, plusieurs contrées de l’Italie & de la Sicile en profiterent.

Ce fut alors que Triptoleme poliça les villes d’Eleusine ; mais toutes ses institutions s’abolirent avec le tems.

Dracon les recueillit, & y ajoûta ce qui lui fut suggéré par son humeur féroce. On a dit de lui, que ce n’étoit point avec de l’encre, mais avec du sang qu’il avoit écrit ses lois.

Solon mitigea le système politique de Dracon, & l’ouvrage de Solon fut perfectionné dans la suite par Thesée, Clisthene, Démetrius de Phalere, Hipparque, Pisistrate, Periclès, Sophocle, & d’autres génies du premier ordre.

Le célebre Lycurgue parut dans le courant de la premiere olympiade. Il étoit reservé à celui-ci d’assujettir tout un peuple à une espece de regle monastique. Il connoissoit les gouvernemens de l’Egypte.