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l’action du burin deux petites barbes sur le haut de la taille, ensorte qu’en passant le doigt vous sentez une inégalité le long de la hachure, qu’il faut faire disparoître ; on se sert pour cela d’un outil très-coupant qu’on nomme grattoir ; on le passe à plat sur la taille, en allant diagonalement tout le long de la taille, & l’on s’apperçoit en y passant le doigt ensuite, s’il y reste encore quelque ébarbure : on appelle donc cette opération ébarber. Le grattoir est représenté dans la Planche I. tenant au bout du brunissoir. Lorsqu’on a ainsi approprié sa taille, on la frotte avec un petit tampon fait de feutre roulé & sali de noir & d’huile, pour en voir l’effet, & pour juger si elle est ou assez large ou assez nette, ou enfin telle qu’on la desire.

Avant que de dire un mot sur quelques parties de l’exercice de cet art, j’ajoûterai que si vos burins sont trempés trop durs, ils casseront très-souvent & malgré l’adresse que vous mettrez à les conduire. Il faut, si vous vous appercevez de ce défaut, mettre ces burins sur un charbon ardent dont vous excitez le feu jusqu’à ce que l’acier jaunisse ; vous les tremperez ensuite dans l’eau ou dans du suif, & vous essayerez ainsi de leur donner le juste degré qui leur est nécessaire : s’ils émoussent leur pointe, au contraire, changez-en, c’est un signe certain qu’ils sont mauvais.

Venons à quelques observations & quelques regles générales, en rappellant ce que j’ai déjà dit, savoir que le caractere du graveur, son intelligence, & le genre d’ouvrage qu’il traite, doivent le décider ou à suivre une maniere, ou mieux encore à s’en former une qu’il doit toûjours soûmettre aux principes invariables de la Peinture & du Dessein.

Les manieres de graver de Goltzius, Muller, Lucas-Kilian, Mellan, & d’autres qui leur ressemblent, sont libres & faciles ; elles ont un mérite réel ; on peut les blâmer aussi d’un peu d’affectation dans le tournoyement des tailles ; ils étoient bien-aises qu’on leur sût gré de l’habitude qu’ils avoient acquise. Il vaudroit mieux qu’ils n’en eussent point fait parade, & qu’ils ne l’eussent employée que dans les endroits où elle étoit nécessaire. Point d’affectation ni de négligence, voilà le point duquel le graveur doit approcher le plus qu’il lui sera possible.

Evitez de croiser les tailles de maniere qu’elles soient trop en losange, sur-tout dans les chairs, parce que les angles aigus répétés dans cette sorte de travail, forment un effet desagréable.

La maniere entre quarré & losange, est la plus utile & la plus agréable à l’œil ; elle est aussi plus difficile à employer, parce que l’inégalité des traits s’y fait plus aisément remarquer.

Le burin doit observer une partie des principes que j’ai donnés au commencement de cet article ; les hachures principales doivent donc suivre le sens des muscles, en s’adoucissant vers les lumieres & vers les reflets, & se renflant ou s’approfondissant dans les places des fortes ombres. Il faut que l’extrémité des hachures qui viennent former les contours, ou se perdre dans les traits qui décident ces contours, soit conduite d’une façon nette & legere ; de maniere qu’il n’y ait rien de tranché ni de dur. On peut consulter là-dessus les ouvrages d’Edelinck qui a possédé cette partie.

Il est à souhaiter que les tailles s’ajustent tellement entre elles, qu’elles s’aident dans leur effet, & ne se nuisent jamais en se rencontrant & en se croisant ; l’air de facilité que cela donne à l’ouvrage y répand un grand agrément.

Que les tailles soient ondoyées ; qu’elles se plient en divers sens, mais avec aussi peu d’affectation que de roideur, comme je l’ai déjà dit : il est difficile d’en prendre l’habitude ; mais il est aussi blâmable d’en

abuser, qu’il le seroit de faire toûjours des traits droits, parce qu’il est plus aisé d’en venir à bout.

Les cheveux, la barbe, & le poil des animaux, demandent une grande legereté dans la main, & une flexibilité rare dans le burin.

Mais il ne faut pas que pour faire parade de cette adresse on néglige de faire bien sentir ses masses, qui doivent indiquer les formes & l’effet de la lumiere & de l’ombre sur les masses.

Les étoffes demandent aussi de la legereté d’outil, en proportion cependant avec la nature des étoffes ; les étoffes de gros draps & de laine épaisse demandent un travail plus brut ; le linge veut être gravé d’une façon déliée & pressée à une taille ou à deux tout au plus, si cela se peut. Les étoffes fermes & luisantes veulent des tailles plus droites & moins variées ; les plis de ces étoffes sont cassés & forment des surfaces plates. Les tailles qu’on nomme entre-deux servent à indiquer le luisant ; on s’en sert aussi dans les métaux qui réfléchissent la lumiere.

L’Architecture demande des tailles droites, mais celles qui se trouvent sur les plans qui fuient doivent tendre au point de vûe. Les hachures des colonnes veulent être perpendiculaires : si vous les faites rondes & horisontales, il arrivera souvent que pour satisfaire aux lois de la Perspective, il faudra que celles qui approchent du chapiteau, soient d’un sens contraire à celles qui approchent de la base ; ce qui fait, sur les premiers plans sur-tout, un effet desagréable.

Le paysage est difficile à traiter au burin ; souvent on l’ébauche à l’eau-forte, & je crois qu’on fait bien : il faut chercher à se faire une maniere, & pour cela consulter les bons auteurs ; Augustin Carrache, Villamene, Jean Sadeler, sont bons à imiter : Corneille Carts en a gravé plusieurs d’après le Mucian, qui sont très-beaux & qui peuvent servir de modeles.

Les montagnes & les rochers, lorsqu’ils sont sur les premiers & seconds plans, doivent être travaillés d’une maniere un peu brute, en quittant & reprenant souvent les tailles, en les variant suivant les plans des pierres & des rochers, en les entre-mêlant de plantes, d’herbages, & de terreins : pour ces objets, lorsqu’ils se trouvent dans les lointains, ils doivent participer de l’interposition de l’air ; être peu décidés dans leurs inégalités & dans les accidens qui les accompagnent, & se perdre quelquefois avec les travaux dont on se sert pour graver les ciels.

Les eaux se représentent ordinairement par des lignes très-droites, égales, & mêlées d’entre-deux fines & déliées, pour exprimer le luisant de l’eau, mais si c’est une mer agitée qu’on représente, on sent bien que ce doit être par un autre genre de travail qu’on doit y arriver : il faut alors que les tailles suivent le sens des flots & indiquent le mouvement des vagues. Les nuages demandent aussi que leur forme & leur mouvement soient indiqués par les hachures, & que les travaux qu’on employe soient d’autant plus legers que l’éloignement des nuées est plus grand.

En général il faut proportionner autant qu’on le peut la grosseur des tailles & l’espece de travail, à la grandeur des ouvrages, indépendamment des autres assujettissemens dont j’ai parlé. Il faut donc employer des tailles mâles & nourries dans une grande estampe, mais sans que le travail devienne pour cela grossier & desagréable ; par le même principe une petite planche sera gravée avec les burins losanges qui font des tailles fines, mais en évitant que le travail soit maigre & aride.

C’est un art très-difficile que celui de la Gravure ; il demande beaucoup d’exercice du Dessein, beaucoup d’adresse à conduire les outils, une grande intelligence pour se transformer, pour ainsi dire, & prendre l’esprit de l’auteur d’après lequel on grave.