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de travailler, qui n’exige, pour ainsi dire, aucune regle, & qui met ainsi fort à son aise celui qui s’y livre. L’illusion qu’on se fait, & le prétexte qu’offre à l’ignorance & à la paresse le mot de goût, pris dans un sens fort éloigné de celui qu’il doit avoir, produisent des paysages où les arbres, les fabriques, le ciel & les terreins sont d’un travail si brut & si égratigné, qu’on ne sent aucun plan, aucune forme, & aucun effet. Si cette maniere qu’on ose appeller graver de goût & avec esprit, continue à se répandre, elle achevera de corrompre cette partie de l’art de la Gravure. Il est une liberté que l’esprit & le goût véritables peuvent inspirer, mais qui a toûjours pour but de faire sentir au spectateur ou la forme des objets qu’on grave, ou leur effet de clair obscur, ou le caractere principal qui les distingue. Lorsqu’un graveur n’est affecté dans son travail d’aucun de ces objets, & qu’il ne met pas son art à les faire passer dans l’esprit de ceux qui voyent ses ouvrages, il en impose injustement ; & ce charlatanisme dont il colore son peu de talent, doit être puni par une juste évaluation de ses ouvrages.

Je n’entrerai pas dans un plus grand détail de principes pour la gravure à l’eau-forte. Les principes du dessein auxquels on peut recourir au mot Dessein, & une grande partie de ceux de la Peinture qui sont distribués dans les articles qui leur conviennent, doivent servir de supplément à celui-ci. Je vais reprendre le méchanisme de la gravure à l’eau-forte.

Les pointes dont on se sert & dont j’ai donné le détail, peuvent être de deux sortes, ou coupantes, ou émoussées. Celles qui sont coupantes sont particulierement destinées à graver au vernis dur, parce que ce vernis resisteroit trop aux pointes qui ne coupent pas. Lorsqu’on grave sur le vernis mou, on peut se servir des unes & des autres. L’inconvénient des pointes coupantes est de faire quelquefois des touches dures, parce que la pointe qui va en grossissant depuis le point qui la termine, ouvre le cuivre d’autant plus qu’elle s’y enfonce davantage ; ce qui produit des tailles trop noires, si elles ne sont pas accompagnées par d’autres tailles. On doit en général avoir grand soin dans la Gravure, d’éviter & dans les touches & dans toutes sortes de travaux, une certaine maigreur & sécheresse, que la finesse des outils dont on se sert doit occasionner. Je crois que les planches qui n’ont qu’une médiocre étendue, peuvent être gravées avec esprit & à l’aide des pointes coupantes ; qu’en général on doit mêler les pointes des deux especes, & que le juste emploi qu’on en fera répandra beaucoup de goût sur les ouvrages auxquels on les aura employées. L’échope est une pointe coupante qui, comme je l’ai dit, a une espece de biseau sur un des côtés de son extrémité, comme vous le verrez à la Planche I. de la gravure en taille-douce. Il en résulte que vous pouvez regarder l’échope comme une plume à écrire, dont l’ovale ABCD seroit l’ouverture, & la partie proche le C seroit le bout qui écrit. La maniere de tenir l’échope est aussi à-peu-près semblable à celle dont on tient la plume, à la reserve qu’au lieu que la taille, ou l’ouverture de la plume, est tournée vers le creux de la main, & que l’ovale ou la face de l’échope est d’ordinaire tournée vers le pouce, comme la figure le montre : ce n’est pas que l’on ne la puisse tourner & manier d’un autre sens ; mais la premiere maniere peut mériter la préférence, parce qu’elle est peut-être la plus commode, & qu’on a bien plus de force pour appuyer. C’est en s’esseyant & en s’exerçant, que l’on concevra facilement le moyen de faire avec l’échope des traits gros & profonds.

La figure ABCD représente la face ou l’ovale de l’échope : or si l’on pouvoit enfoncer le bout de cet outil dans le cuivre jusqu’à la ligne DB, qui est le

point où l’ovale est le plus large, on feroit un trait dont la largeur seroit égale à la longueur de DB, & qui dans le milieu seroit creux ou profond de la longueur de OC. Si vous n’enfoncez pas votre échope dans le cuivre jusqu’aux points que j’ai désignés, vous pourrez faire un trait, tel que le représente la figure marquée par les lettres b, o, d, c.

Vous voyez par ces deux exemples, qu’en appuyant fort peu, le trait sera moins profond, & conséquemment plus large, comme font les traits marqués dans la figure aux lettres rns, où vous voyez qu’il faut commencer legerement par r, qu’il faut appuyer de plus en plus jusqu’à n, enfin qu’ayant rendu la main plus legere jusqu’à s, vous ferez un trait pareil à rns. Il faut remarquer que pour que la figure soit plus intelligible, on a dessiné l’échope beaucoup plus grosse qu’elle ne doit être en effet.

Lorsque l’on veut rendre le commencement & la fin des hachures plus déliés, il faut avec une pointe reprendre l’extrémité de ces hachures, en appuyant un peu à l’endroit où l’on reprend, & en soulevant doucement la main jusqu’à l’endroit où la hachure doit se perdre. Vous remarquerez qu’en tournant la planche suivant le sens dans lequel on veut travailler, on rendra cette manœuvre plus facile. Ces remarques sur l’échope sont entierement tirées de l’ouvrage que j’ai cité. J’ai fait l’épreuve des pratiques qu’elles contiennent ; & je pense, ainsi que Bosse, qu’on peut en acquérant l’usage de cette espece de pointe, en tirer un très-grand parti pour la variété des traits ; puisqu’en se servant de cet outil par le côté tranchant, on fera des traits d’une finesse extrème, & que le moindre mouvement des doigts donnera à ces traits une largeur plus ou moins grande : mais je préviendrai en même tems qu’il faut de l’adresse, de l’attention, & beaucoup d’habitude pour y habituer entierement la main : aussi y a t-il peu d’artistes qui s’en servent uniquement. La maniere de gouverner l’échope servira aisément pour le maniement de la pointe ; ainsi je n’insisterai point là-dessus. Il faut avoir l’attention de tenir en général les pointes & les échopes le plus à-plomb qu’il est possible, & de les passer souvent sur la pierre à aiguiser, pour que leurs inégalités ne nuisent pas à la propreté du travail. Il est encore nécessaire de nettoyer votre vernis, & de n’y laisser aucune malpropreté : vous vous servirez pour cela ou des barbes d’une plume, ou d’un linge très-fin, ou d’une petite brosse douce qui sera faite exprès.

Il est tems de passer aux préparatifs nécessaires, avant de livrer la planche à l’eau-forte. Je suppose donc qu’on a tracé sur cette planche, en ôtant le vernis avec les pointes & les echopes, tout ce qui peut contribuer à rendre plus exactement le dessein ou le tableau qu’on a entrepris de graver : la planche étant dans cet état, il faut commencer par un examen qui tendra à connoître si le vernis ne se trouve pas égratigné dans des endroits où il ne doit pas l’être, soit par l’effet du hasard, soit parce qu’on a fait quelques faux traits. Lorsque vous aurez remarqué ces petits défauts, vous préparerez un mélange propre à les couvrir. Ce mélange se fait en mettant du noir de fumée en poudre dans du vernis de Venise (c’est celui dont on se sert pour vernir les tableaux) ; vous employerez ce mélange, après lui avoir donné assez de corps pour qu’il couvre les traits que vous voulez faire disparoître, avec des pinceaux à laver ou à peindre en mignature. Il est une autre mixtion nécessaire pour en enduire le derriere de la planche, qui sans cela seroit exposé sans nécessité à l’effet corrosif de l’eau-forte. En voici la composition.

Prenez une écuelle de terre plombée, mettez-y une portion d’huile d’olive, posez ladite écuelle sur le feu. Lorsque l’huile sera bien chaude, jettez-y du