Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/9

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

forme ; la diversité de leur génie tantôt favorable, tantôt contraire à l’expression heureuse & rapide des idées ; leur richesse & leur liberté, leur indigence & leur servitude. Le développement de ces différens objets est la vraie Métaphysique de la Grammaire. Elle ne consiste point, comme cette Philosophie ténébreuse qui se perd dans les attributs de Dieu & les facultés de notre ame, à raisonner à perte de vûe sur ce qu’on ne connoît pas, ou à prouver laborieusement par des argumens foibles, des vérités dont la foi nous dispense de chercher les preuves. Son objet est plus réel & plus à notre portée ; c’est la marche de l’esprit humain dans la génération de ses idées, & dans l’usage qu’il fait des mots pour transmettre ses pensées aux autres hommes. Tous les principes de cette Métaphysique appartiennent pour ainsi dire à chacun, puisqu’ils sont au-dedans de nous ; il ne faut pour les y trouver qu’une analyse exacte & réfléchie ; mais le don de cette analyse n’est pas donné à tous. On peut néanmoins s’assûrer si elle est bien faite, par un effet qu’elle doit alors produire infailliblement, celui de frapper d’une lumiere vive tous les bons esprits auxquels elle sera présentée : en ce genre c’est presqu’une marque sûre de n’avoir pas rencontré le vrai, que de trouver des contradicteurs, ou d’en trouver qui le soient long-tems. Aussi M. du Marsais n’a-t-il essuyé d’attaques que ce qu’il en falloit pour assûrer pleinement son triomphe ; avantage rare pour ceux qui portent les premiers dans les sujets qu’ils traitent, le flambeau de la Philosophie.

Le premier fruit des réflexions de M. du Marsais sur l’étude des Langues, fut son Exposition d’une Méthode raisonnée pour apprendre la Langue Latine ; elle parut en 1722 : il la dédia à MM. de Bauffremont ses Eleves, qui en avoient fait le plus heureux essai, & dont l’un, commencé dès l’alphabet par son illustre Maître, avoit fait en moins de trois ans les progrès les plus singuliers & les plus rapides.

La Méthode de M. du Marsais a deux parties, l’usage, & la raison. Savoir une Langue, c’est en entendre les mots ; & cette connoissance appartient proprement à la mémoire, c’est-à-dire à celle des facultés de notre ame qui se développe la premiere chez les enfans, qui est même plus vive à cet âge que dans aucun autre, & qu’on peut appeller l’esprit de l’enfance. C’est donc cette faculté qu’il faut exercer d’abord, & qu’il faut même exercer seule. Ainsi on fera d’abord apprendre aux enfans, sans les fatiguer, & comme par maniere d’amusement, suivant différens moyens que l’Auteur indique, les mots latins les plus en usage. On leur donnera ensuite à expliquer un Auteur latin rangé suivant la construction françoise, & sans inversion. On substituera de plus dans le texte, les mots sous-entendus par l’Auteur, & on mettra sous chaque mot latin le terme françois correspondant : vis-à-vis de ce texte ainsi disposé pour en faciliter l’intelligence, on placera le texte de l’Auteur tel qu’il est ; & à côté du françois littéral, une traduction françoise conforme au génie de notre Langue. Par ce moyen, l’enfant repassant du texte latin altéré au texte véritable, & de la version interlinéaire à une traduction libre, s’accoûtumera insensiblement à connoître par le seul usage les façons de parler propres à la Langue latine & à la Langue françoise. Cette maniere d’enseigner le Latin aux enfans, est une imitation exacte de la façon dont on se rend familieres les Langues vivantes, que l’usage seul enseigne beaucoup plus vîte que toutes les méthodes. C’est d’ailleurs se conformer à la marche de la nature. Le langage s’est d’abord établi, & la Grammaire n’est venue qu’à la suite.

A mesure que la mémoire des enfans se remplit, que leur raison se perfectionne, & que l’usage de traduire leur fait appercevoir les variétés dans les terminaisons des mots latins & dans la construction, & l’objet de ces variétés, on leur fait apprendre peu-à-peu les déclinaisons, les conjugaisons, & les premieres regles de la syntaxe, & on leur en montre l’application dans les Auteurs mêmes qu’ils ont traduits : ainsi on les prépare peu-à-peu, & comme par une espece d’instinct, à recevoir les principes de la Grammaire raisonnée, qui n’est proprement qu’une vraie Logique, mais une Logique qu’on peut mettre à la portée des enfans. C’est alors qu’on leur enseigne le méchanisme de la construction, en leur faisant faire l’anatomie de toutes les frases, & en leur donnant une idée juste de toutes les parties du discours.

M. du Marsais n’a pas de peine à montrer les avantages de cette Méthode sur la Méthode ordinaire. Les inconvéniens de celle-ci sont de parler aux enfans de cas, de modes, de concordance, & de régime, sans préparation, & sans qu’ils puissent sentir l’usage de ce qu’on leur fait apprendre, de leur donner ensuite des regles de syntaxe très-composées, dont on les oblige de faire l’application en mettant du françois en latin ; de vouloir forcer leur esprit à produire, dans un tems où il n’est destiné qu’à recevoir ; de les fatiguer en cherchant à les instruire ; & de leur inspirer le dégoût de l’étude, dans un âge où l’on ne doit songer qu’à la rendre agréable. En un mot, dans la Méthode ordinaire on enseigne le Latin à-peu près comme un homme qui pour apprendre à un enfant à parler, commenceroit par lui montrer la méchanique des organes de la parole ; M. du Marsais imite