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viere & de péage, qui détruisent les revenus des provinces éloignées, où les denrées ne peuvent être commerçables que par de longs transports ; ceux à qui ces droits appartiennent, seront suffisamment dédommagés par leur part de l’accroissement général des revenus des biens du royaume.

Il n’est pas moins nécessaire d’éteindre les priviléges surpris par des provinces, par des villes, par des communautés, pour leurs avantages particuliers.

Il est important aussi de faciliter par-tout les communications & les transports des marchandises par les réparations des chemins & la navigation des rivieres[1].

Il est encore essentiel de ne pas assujettir le commerce des denrées des provinces à des défenses & à des permissions passageres & arbitraires, qui ruinent les campagnes sous le prétexte captieux d’assûrer l’abondance dans les villes. Les villes subsistent par les dépenses des propriétaires qui les habitent ; ainsi en détruisant les revenus des biens-fonds, ce n’est ni favoriser les villes, ni procurer le bien de l’état.

Le gouvernement des revenus de la nation ne doit pas être abandonné à la discrétion ou à l’autorité de l’administration subalterne & particuliere.

On ne doit point borner l’exportation des grains à des provinces particulieres, parce qu’elles s’épuisent avant que les autres provinces puissent les regarnir ; & les habitans peuvent être exposés pendant quelques mois à une disette que l’on attribue avec raison à l’exportation.

Mais quand la liberté d’exporter est générale, la levée des grains n’est pas sensible ; parce que les marchands tirent de toutes les parties du royaume, & sur-tout des provinces où les grains sont à bas prix.

Alors il n’y a plus de provinces où les denrées soient en non-valeur. L’agriculture se ranime partout à proportion du débit.

Les progrès du commerce & de l’agriculture marchent ensemble ; & l’exportation n’enleve jamais qu’un superflu qui n’existeroit pas sans elle, & qui entretient toûjours l’abondance & augmente les revenus du royaume.

Cet accroissement de revenus augmente la population & la consommation, parce que les dépenses augmentent & procurent des gains qui attirent les hommes.

Par ces progrès un royaume peut parvenir en peu de tems à un haut degré de force & de prospérité. Ainsi par des moyens bien simples, un souverain peut faire dans ses propres états des conquêtes bien plus avantageuses que celles qu’il entreprendroit sur

ses voisins. Les progrès sont rapides ; sous Henri IV. le royaume épuisé, chargé de dettes, devint bientôt un pays d’abondance & de richesses. Voyez Impôt.

Observations sur la nécessité des richesses pour la culture des grains. Il ne faut jamais oublier que cet état de prospérité auquel nous pouvons prétendre, seroit bien moins le fruit des travaux du laboureur, que le produit des richesses qu’il pourroit employer à la culture des terres. Ce sont les fumiers qui procurent de riches moissons ; ce sont les bestiaux qui produisent les fumiers ; c’est l’argent qui donne les bestiaux, & qui fournit les hommes pour les gouverner. On a vû par les détails précédens, que les frais de trente millions d’arpens de terre traités par la petite culture, ne sont que de 285 millions ; & que ceux que l’on feroit pour 30 millions d’arpens bien traités par la grande culture, seroient de 710 millions ; mais dans le premier cas le produit n’est que de 390 millions : & dans le second il seroit de 1,378,000 000. De plus grands frais produiroient encore de plus grands profits ; la dépense & les hommes qu’exige de plus la bonne culture pour l’achat & le gouvernement des bestiaux, procurent de leur côté un produit qui n’est guere moins considérable que celui des récoltes.

La mauvaise culture exige cependant beaucoup de travail ; mais le cultivateur ne pouvant faire les dépenses nécessaires, ses travaux sont infructueux ; il succombe : & les bourgeois imbécilles attribuent ses mauvais succès à la paresse. Ils croyent sans doute qu’il suffit de labourer, de tourmenter la terre pour la forcer à porter de bonnes récoltes ; on s’applaudit lorsqu’on dit à un homme pauvre qui n’est pas occupé, va labourer la terre. Ce sont les chevaux, les bœufs, & non les hommes, qui doivent labourer la terre. Ce sont les troupeaux qui doivent la fertiliser ; sans ces secours elle récompense peu les travaux des cultivateurs. Ne sait-on pas d’ailleurs qu’elle ne fait point les avances, qu’elle fait au contraire attendre long-tems la moisson ? Quel pourroit donc être le sort de cet homme indigent à qui l’on dit va labourer la terre ? Peut-il cultiver pour son propre compte ? trouvera-t-il de l’ouvrage chez les fermiers s’ils sont pauvres ? Ceux-ci dans l’impuissance de faire les frais d’une bonne culture, hors d’état de payer le salaire des domestiques & des ouvriers, ne peuvent occuper les paysans. La terre sans engrais & presqu’inculte ne peut que laisser languir les uns & les autres dans la misere.

Il faut encore observer que tous les habitans du royaume doivent profiter des avantages de la bonne culture, pour qu’elle puisse se soûtenir & produire de grands revenus au souverain. C’est en augmentant les revenus des propriétaires & les profits des fermiers, qu’elle procure des gains à tous les autres états, & qu’elle entretient une consommation & des dépenses qui la soûtiennent elle-même. Mais si les impositions du souverain sont établies sur le cultivateur même, si elles enlevent ses profits, la culture dépérit, les revenus des propriétaires diminuent ; d’où résulte une épargne inévitable qui influe sur les stipendiés, les marchands, les ouvriers, les domestiques : le système général des dépenses, des travaux, des gains, & de la consommation, est dérangé ; l’état s’affoiblit ; l’imposition devient de plus en plus destructive. Un royaume ne peut donc être florissant & formidable que par les productions qui se renouvellent ou qui renaissent continuellement de la richesse même d’un peuple nombreux & actif, dont l’industrie est soûtenue & animée par le gouvernement.

On s’est imaginé que le trouble que peut causer le gouvernement dans la fortune des particuliers, est

  1. Les chemins ruraux ou de communication avec les grandes routes, les villes & les marchés, manquent ou sont mauvais presque par-tout dans les provinces, ce qui est un grand obstacle a l’activité du Commerce. Cependant il semble qu’on pourroit y remédier en peu d’années ; les propriétaires sont trop intéressés à la vente des denrées que produisent leurs biens, pour qu’ils ne voulussent pas contribuer aux dépenses de la réparation de ces chemins. On pourroit donc les imposer pour une petite taxe réglée au sou la livre de la taille de leurs fermiers, & dont les fermiers & les paysans sans bien seroient exempts. Les chemins à réparer seroient décidés par MM. les intendans dans chaque district, après avoir consulté les habitans, qui ensuite les feroient exécuter par des entrepreneurs. On répareroit d’abord les endroits les plus impraticables, & on perfectionneroit successivement les chemins ; les fermiers & paysans seroient ensuite chargés de les entretenir. On pourroit faire avec les provinces de pareils arrangemens pour les rivieres qui peuvent être rendues navigables. Il y a des provinces qui ont si bien reconnu l’utilité de ces travaux, qu’elles ont demandé elles-mêmes à être autorisées à en faire les dépenses ; mais les besoins de l’état ont quelquefois enlevé les fonds que l’on y avoit destinés : ces mauvais succès ont étouffé des dispositions si avantageuses au bien de l’état.