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payent des régisseurs ; elle se trouveroit trop surchargée par la taille, si elle étoit imposée dans la même proportion que dans la grande culture.

Mais la proportion seroit juste à l’égard de l’une & de l’autre, si la taille étoit à l’égal du tiers ou de la moitié des revenus des propriétaires dans la grande & dans la petite culture, où les terres sont affermées, & où les propriétaires ont un revenu décidé par le fermage : elle seroit juste aussi, si elle étoit environ égale au quart du revenu casuel du propriétaire qui fait valoir par le moyen de métayers, ce quart feroit à-peu-près le sixieme de la part du métayer.

Ainsi en connoissant à-peu-près le produit ordinaire d’une métairie, la taille proportionnelle & fixe seroit convenablement & facilement réglée pendant le bail du métayer, au sixieme ou au cinquieme de la moitié de ce produit qui revient au métayer.

Il y a des cas où les terres sont si bonnes, que le métayer n’a pour sa part que le tiers du produit de la métairie : dans ces cas mêmes le tiers lui est aussi avantageux que la moitié du produit d’une métairie dont les terres seroient moins bonnes : ainsi la taille établie sur le même pié dans ce cas-là, ne seroit pas d’un moindre produit que dans les autres, mais elle seroit foible proportionnellement au revenu du propriétaire qui auroit pour sa part les deux tiers de la récolte ; elle pourroit alors être mise à l’égal du tiers du revenu : ainsi en taxant les métayers dans les cas où la récolte se partage par moitié, au sixieme ou au cinquieme de leur part du produit des grains de la métairie, on auroit une regle générale & bien simple pour établir une taille proportionnelle, qui augmenteroit au profit du roi à mesure que l’agriculture feroit du progrès par la liberté du commerce des grains, & par la sûreté d’une imposition déterminée.

Cette imposition reglée sur les baux dans la grande culture, se trouveroit être à-peu-près le double de celle de la petite culture ; parce que les produits de l’une sont bien plus considérables que les produits de l’autre.

Je ne sais pas si, relativement à l’état actuel de la taille, les taxes que je suppose rempliroient l’objet ; mais il seroit facile de s’y conformer, en suivant les proportions convenables. Voyez Impôt.

Si ces regles étoient constamment & exactement observées, si le commerce des grains étoit libre, si la milice épargnoit les enfans des fermiers, si les corvées étoient abolies[1], grand nombre de propriétaires taillables refugiés dans les villes sans occupation, retourneroient dans les campagnes faire valoir paisiblement leurs biens, & participer aux profits de l’agriculture. C’est par ces habitans aisés qui quitteroient les villes avec sûreté, que la campagne se re-

peupleroit de cultivateurs en état de rétablir la culture

des terres. Ils payeroient la taille comme les fermiers, sur les profits de la culture, proportionnellement aux revenus qu’ils retireroient de leurs terres, comme si elles étoient affermées ; & comme propriétaires taillables, ils payeroient de plus pour la taille de leur bien même, le dixieme du revenu qu’ils retireroient du fermage de leurs terres, s’ils ne les cultivoient pas eux-mêmes. L’intérêt fait chercher les établissemens honnêtes & lucratifs. Il n’y en a point où le gain soit plus certain & plus irréprochable que dans l’agriculture, si elle étoit protégée : ainsi elle seroit bien-tôt rétablie par des hommes en état d’y porter les richesses qu’elle exige. Il seroit même très-convenable pour favoriser la noblesse & l’agriculture, de permettre aux gentilshommes qui font valoir leurs biens, d’augmenter leur emploi en affermant des terres, & en payant l’imposition à raison du prix du fermage ; ils trouveroient un plus grand profit, & contribueroient beaucoup aux progrès de l’agriculture. Cette occupation est plus analogue à leur condition, que l’état de marchands débitans dans les villes, qu’on voudroit qui leur fût accordé. Ce surcroît de marchands dans les villes seroit même fort préjudiciable à l’agriculture, qui est beaucoup plus intéressante pour l’état que le trafic en détail, qui occupera toûjours un assez grand nombre d’hommes.

L’état du riche laboureur seroit considéré & protégé ; la grande agriculture seroit en vigueur dans tout le royaume ; la culture qui se fait avec les bœufs disparoîtroit presqu’entierement, parce que le profit procureroit par-tout aux propriétaires de riches fermiers en état de faire les frais d’une bonne culture ; si la petite culture se conservoit encore dans quelques pays où elle paroîtroit préférable à la grande culture, elle pourroit elle-même prendre une meilleure forme par l’attrait d’un gain qui dédommageroit amplement les propriétaires des avances qu’ils feroient : le métayer alors pourroit payer sur sa part de la récolte la même taille que le fermier ; car si un métayer avoit pour sa part 18 ou 20 boisseaux de blé par arpent de plus qu’il n’en recueille par la petite culture ordinaire, il trouveroit en payant quatre ou cinq fois plus de taille, beaucoup plus de profit qu’il n’en retire aujourd’hui. L’état de la récolte du métayer pourroit donc fournir aussi une regle sûre pour l’imposition d’une taille proportionnelle.

Voilà donc au-moins des regles simples, faciles & sûres pour garantir les laboureurs de la taxe arbitraire, pour ne pas abolir les revenus de l’état par une imposition destructive, pour ranimer la culture des terres & rétablir les forces du royaume.

L’imposition proportionnelle des autres habitans de la campagne, peut être fondée aussi sur des profits ou sur des gains connus ; mais l’objet étant beaucoup moins important, il suffit d’y apporter plus de ménagement que d’exactitude ; car l’erreur seroit de peu de conséquence pour les revenus du roi, & un effet beaucoup plus avantageux qui en résulteroit, seroit de favoriser la population.

La taille dans les villes ne peut se rapporter aux mêmes regles : c’est à ces villes elles-mêmes à en proposer qui leur conviennent. Je ne parlerai pas de la petite maxime de politique que l’on attribue au gouvernement, qui, dit-on, regarde l’imposition arbitraire comme un moyen assûré pour tenir les sujets dans la soûmission : cette conduite absurde ne peut pas être imputée à de grands ministres, qui en connoissent tous les inconvéniens & tout le ridicule. Les sujets taillables sont des hommes d’une très médiocre fortune, qui ont plus besoin d’être encouragés que d’être humiliés ; ils sont assujettis souverainement à la puissance royale & aux lois ; s’ils ont quelque bien, ils n’en sont que plus dépendans, que

  1. Les fermiers un peu aisés font prendre à leurs enfans des professions dans les villes, pour les garantir de la milice ; & ce qu’il y a de plus desavantageux à l’agriculture, c’est que non-seulement la campagne perd les hommes destinés à être fermiers, mais aussi les richesses que leurs peres employoient à la culture de la terre. Pour arrêter ces effets destructifs, M. de la Galaisiere, intendant de Lorraine, a exempté de la milice par une ordonnance, les charretiers & fils des fermiers, à raison des charrues que leur emploi exige. Les corvées dont on charge les paysans, sont très-desavantageuses à l’état & au roi, parce qu’en réduisant les paysans à la misere, on les met dans l’impuissance de soûtenir leurs petits établissemens ; d’où résulte un grand dommage sur les produits, sur la consommation & sur les revenus : ainsi loin que ce soit une épargne pour l’état de ménager de cette maniere les frais des travaux publics, il les paye très-cher, tandis qu’ils lui coûteroient fort peu, s’il les faisoit faire à ses frais ; c’est-à-dire par de petites taxes générales dans chaque province, pour le payement des ouvriers. Toutes les provinces reconnoissent tellement les avantages des travaux qui facilitent le Commerce, qu’elles se prêtent volontiers à ces sortes de contributions, pourvû qu’elles soient employées surement & fidelement à leurs destinations.