Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/851

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donnoit autrefois à l’évêque de Liége, qui est prince de l’Empire. La reine Marguerite dans ses mémoires raconte qu’on le traitoit ainsi : mais depuis il a pris celui d’altesse. Il n’y a point aujourd’hui de baron dans la haute Allemagne, & sur-tout en Autriche, qui ne se fasse donner ce titre d’honneur. Les Anglois s’en servent à l’égard des évêques & des personnes de la premiere qualité après les princes. Comme on le donne en Allemagne aux princes qui ne sont pas du premier rang, les ambassadeurs de France l’accorderent d’abord à l’évêque d’Osnabruk, qui étoit ambassadeur du collége électoral à Munster, mais ensuite ils le traiterent d’altesse. Ce titre de grace principale n’est plus maintenant d’usage en notre langue. (G)

Grace, (Gramm. Littérat. & Mytholog.) dans les personnes, dans les ouvrages, signifie non-seulement ce qui plait, mais ce qui plait avec attrait. C’est pourquoi les anciens avoient imaginé que la déesse de la beauté ne devoit jamais paroître sans les graces. La beauté ne déplaît jamais, mais elle peut être dépourvûe de ce charme secret qui invite à la regarder, qui attire, qui remplit l’ame d’un sentiment doux. Les graces dans la figure, dans le maintien, dans l’action, dans les discours, dependent de ce mérite qui attire. Une belle personne n’aura point de graces dans le visage, si la bouche est fermée sans sourire, si les yeux sont sans douceur. Le sérieux n’est jamais gracieux ; il n’attire point, il approche trop du severe qui rebute.

Un homme bien-fait, dont le maintien est mal assûré ou gêné, la démarche précipitée ou pesante, les gestes lourds, n’a point de grace, parce qu’il n’a rien de doux, de liant dans son extérieur.

La voix d’un orateur qui manquera d’inflexion & de douceur, sera sans grace.

Il en est de même dans tous les arts. La proportion, la beauté, peuvent n’être point gracieuses. On ne peut dire que les pyramides d’Egypte ayent des graces. On ne pouvoit le dire du colosse de Rhodes, comme de la Venus de Cnide. Tout ce qui est uniquement dans le genre fort & vigoureux, a un mérite qui n’est pas celui des graces. Ce seroit mal connoître Michel-Ange & le Caravage, que de leur attribuer les graces de l’Albane. Le sixieme livre de l’Éneide est sublime : le quatrieme a plus de grace. Quelques odes galantes d’Horace respirent les graces, comme quelques-unes de ses épîtres enseignent la raison.

Il semble qu’en général le petit, le joli en tout genre, soit plus susceptible de graces que le grand. On loueroit mal une oraison funebre, une tragédie, un sermon, si on leur donnoit l’épithete de gracieux.

Ce n’est pas qu’il y ait un seul genre d’ouvrage qui puisse être bon en étant opposé aux graces. Car leur opposé est la rudesse, le sauvage, la sécheresse. L’Hercule Farnese ne devoit point avoir les graces de l’Apollon du Belvedere & de l’Antinoüs ; mais il n’est ni sec, ni rude, ni agreste. L’incendie de Troye dans Virgile n’est point décrit avec les graces d’une elégie de Tibulle. Il plaît par des beautés fortes. Un ouvrage peut donc être sans graces, sans que cet ouvrage ait le moindre desagrement. Le terrible, l’horrible, la description, la peinture d’un monstre, exigent qu’on s’éloigne de tout ce qui est gracieux : mais non pas qu’on affecte uniquement l’opposé. Car si un artiste, en quelque genre que ce soit, n’exprime que des choses affreuses, s’il ne les adoucit pas par des contrastes agréables, il rebutera.

La grace en peinture, en sculpture, consiste dans la mollesse des contours, dans une expression douce ; & la peinture a par-dessus la sculpture, la grace de l’union des parties, celle des figures qui s’ani-

ment l’une par l’autre, & qui se prêtent des agrémens

par leurs attitudes & par leurs regards. Voyez l’article suivant.

Les graces de la diction, soit en éloquence, soit en poésie, dépendent du choix des mots, de l’harmonie des phrases, & encore plus de la délicatesse des idées, & des descriptions riantes. L’abus des graces est l’afféterie, comme l’abus du sublime est l’empoulé ; toute perfection est près d’un défaut.

Avoir de la grace, s’entend de la chose & de la personne. Cet ajustement, cet ouvrage, cette femme, a de la grace. La bonne grace appartient à la personne seulement. Elle se présente de bonne grace. Il a fait de bonne grace ce qu’on attendoit de lui. Avoir des graces, depend de l’action. Cette femme a des graces dans son maintien, dans ce qu’elle dit, dans ce qu’elle fait.

Obtenir sa grace, c’est par métaphore obtenir son pardon : comme faire grace est pardonner. On fait grace d’une chose, en s’emparant du reste. Les commis lui prirent tous ses effets, & lui firent grace de son argent. Faire des graces, répandre des graces, est le plus bel apanage de la souveraineté, c’est faire du bien : c’est plus que justice. Avoir les bonnes graces de quelqu’un, ne se dit que par rapport à un supérieur ; avoir les bonnes graces d’une dame, c’est être son amant favorise. Etre en grace, se dit d’un courtisan qui a été en disgrace ; on ne doit pas faire dépendre son bonheur de l’un, ni son malheur de l’autre. On appelle bonnes graces, ces demi-rideaux d’un lit qui sont aux côtés du chevet. Les graces, en latin charites, terme qui signifie aimables.

Les Graces, divinités de l’antiquité, sont une des plus belles allegories de la mythologie des Grecs. Comme cette mythologie varia toujours tantôt par l’imagination des Poëtes, qui en furent les théologiens, tantôt par les usages des peuples, le nombre, les noms, les attributs des Graces changerent souvent. Mais enfin on s’accorda à les fixer au nombre de trois, & à les nommer Aglaé, Thalie, Euphrosine, c’est-à-dire brillant, fleur, gaieté. Elles étoient toujours auprès de Venus. Nul voile ne devoit couvrir leurs charmes. Elles présidoient aux bienfaits, à la concorde, aux réjoüissances, aux amours, à l’éloquence même ; elles étoient l’emblème sensible de tout ce qui peut rendre la vie agréable. On les peignoit dansantes, & se tenant par la main ; on n’entroit dans leurs temples que couronné de fleurs. Ceux qui ont insulté à la mythologie fabuleuse, devoient au-moins avoüer le mérite de ces fictions riantes, qui annoncent des vérités dont résulteroit la félicité du genre humain. Art. de M. de Voltaire.

Grace, (Beaux arts.) Le mot grace est d’un usage très-fréquent dans les arts. Il semble cependant qu’on a toujours attribue au sens qu’il emporte avec lui quelque chose d’indécis, de mystérieux, & que par une convention générale on s’est contenté de sentir à-peu-près ce qu’il veut dire sans l’expliquer. Seroit-il vrai que la grace qui a tant de pouvoir sur nous, naquît d’un principe inexplicable ? & peut-on penser que pour l’imiter dans les ouvrages des arts, il suffise d’un sentiment aveugle, & d’une certaine disposition qu’on ne peut comprendre ? non sans doute. Je crois, pour me renfermer dans ce qui regarde l’art de peinture, que la grace des figures imitées comme celle des corps vivans, consiste principalement dans la parfaite structure des membres, dans leur exacte proportion, & dans la justesse de leurs emmanchemens. C’est dans les mouvemens & les attitudes d’un homme ou d’une femme qu’on distingue sur-tout cette grace qui charme les yeux. Or si les membres ont la mesure qu’ils doivent avoir relativement à leur usage, si rien ne nuit à leur développement, si enfin les charnieres & les jointures sont tellement parfaites, que la vo-