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devez, & avec la force que doit vous inspirer un intérêt si grand. Veillez en même tems sur sa tendresse ; elle-même est un enfant à qui il seroit dangereux de laisser prendre une mauvaise habitude : si elle avoit gâté votre fils dans les bras de la nourrice, elle continueroit de le gâter entre les mains de la gouvernante ; elle mettroit obstacle à tout le bien que pourroient faire le précepteur & le gouverneur : pour la ramener, il faudroit livrer des combats ; peut-être n’auriez-vous pas la force de combattre toujours, & votre fils seroit perdu sans ressource.

Quand on choisira une nourrice, outre les qualités physiques qu’elle doit avoir, faites ensorte qu’elle soit femme de bon sens : tant que l’enfant se portera bien, qu’on ne lui passe ni volonté ni impatience ; quand même il seroit indisposé, il ne faudroit pas s’écarter de cette méthode : un mois de maladie nuit plus à son éducation qu’une année de soins n’a pû l’avancer. Pour peu qu’il y ait de danger, tous les parens perdent la tête, & il est bien difficile qu’ils ne la perdent pas : il seroit à souhaiter qu’au-moins l’un des deux ne compromît point son autorité, que le pere prît sur lui de ne pas voir son enfant, afin que par la suite l’ascendant qu’il auroit conservé pût rendre à la mere & à la gouvernante tout celui qu’elles ont perdu. Ce n’est pas la maladie qui rend impatient, c’est l’habitude de l’être qui fait qu’on l’est davantage quand on souffre ; & c’est la foible & timide complaisance des parens qui fait qu’alors un enfant le devient à l’excès.

Si l’enfant pleure, il est aisé de démêler le motif de ses larmes ; s’il pleure pour avoir quelque chose, c’est opiniâtreté, c’est impatience ; s’il pleure sans qu’on voye pourquoi, c’est douleur : dans le premier cas, il faut le caresser, pour le distraire, n’avoir pas l’air de le comprendre, & faire tout le contraire de ce qu’il veut ; dans le second cas, consultez votre tendresse, elle vous conseillera bien.

Les premieres volontés d’un enfant sont toûjours foibles ; c’est un germe qui se développe & que la moindre résistance détruit ; elles resteront foibles tant qu’elles lui réussiront mal ; que si son impatience & ses volontés sont fortes, c’est une preuve que la nourrice n’est pas attentive, & qu’elle l’a gâté.

Dès qu’elle ne lui sera plus nécessaire, & qu’on l’aura sevré, qu’elle soit écartée. Le premier jour, l’enfant répandra des larmes ; si ses larmes viennent d’attachement & de sensibilité, on ne peut payer par trop de caresses ces précieuses dispositions ; s’il s’y mêle de l’humeur, qu’on le caresse encore ; mais que les caresses diminuent à-mesure que l’humeur augmentera ; s’il demande quelque chose avec impatience, on lui dira avec beaucoup de douceur, qu’on est bien fâché de le refuser, mais qu’on n’accorde point aux enfans ce qu’ils demandent avec impatience : peut-être il n’entendra pas ce discours, mais il entendra l’air & le ton ; il verra qu’on ne lui donne point ce qu’il a demandé ; soit étonnement soit lassitude, il suspendra ses larmes ; qu’on profite de cet intervalle pour le satisfaire.

Le second jour, on mettra sa patience a une plus longue épreuve, & l’on continuera par degrés les jours suivans, en observant toûjours de ne le caresser que lorsqu’il sera tranquille, & de cesser les caresses qu’on lui fait, ou même de prendre un air plus sérieux dès qu’il sera opiniâtre ou impatient : cette conduite n’a rien de dur ni de cruel ; l’enfant s’appercevra bientôt qu’il n’est caressé & qu’il n’obtient ce qu’il veut que quand il est doux, & il prendra son parti de le devenir.

Dès que vous l’aurez rendu tel, comptez que vous aurez tout gagné ; son ame sera entre vos mains comme une cire molle que vous paitrirez comme il vous plaira ; vous n’aurez plus à travailler que sur vous-même,

pour vous soûtenir dans une attention continuelle, pour démêler en lui ces semences de défauts

ou de vices souvent foibles & obscures, & que néanmoins il faut réprimer dès qu’elles paroissent, si l’on veut y parvenir avec certitude & sans tourmenter l’enfant ; pour mettre votre esprit à la portée du sien, sur tout pour avoir une conduite soutenue : car ne croyez pas qu’on éleve un enfant avec de beaux discours & de belles phrases : vos discours pourront éclairer son esprit ; mais c’est votre conduite qui formera son caractere.

Ne ressemblez point à la plûpart des gouvernantes, qui sont tracassieres, grondeuses, acariâtres, ou au contraire toûjours en admiration devant leurs éleves & leurs complaisantes éternelles : quelques-unes même réunissent les deux extrèmes, successivement idolâtres & pleines d’humeur. C’est leur mal-adresse, & ce sont leurs défauts qui donnent aux enfans une partie de ceux qu’ils ont. Avec beaucoup de fermeté dans la conduite, ayez beaucoup d’égalité dans l’humeur, de gaieté dans vos leçons, de douceur dans vos discours ; prêchez d’exemple, rien n’est plus puissant sur les enfans comme sur les hommes faits ; de quelque tempérament que soit votre éleve, vous verrez qu’insensiblement la douceur & la sérénité de votre ame passeront dans la sienne.

Si vous voulez l’instruire avec fruit, ne vous contentez pas de lui étaler votre éloquence devant les autres & quand vous pourrez être entendue ; ce n’est pas quand l’enfant est dissipé, que les choses sensées qu’on lui dit peuvent faire impression sur lui : c’est dans le particulier, quand son ame est tranquille & son esprit recueilli. Il n’y a point d’enfant en qui l’on ne puisse saisir de ces momens d’attention ; une gouvernante habile peut les faire naître souvent.

Dès qu’il sera capable d’avoir une idée de Dieu, expliquez-lui ce que c’est que sa toute-puissance, sa bonté, sa justice ; apprenez-lui le culte qu’on lui doit & les prieres qu’il faut lui adresser ; pour lui donner l’exemple, priez avec lui, & mettez-vous dans la posture où il doit être. Ce n’est qu’en parlant à ses yeux que vous parlerez à sa raison. A commencer du moment que vous l’aurez instruit, ne permettez jamais ni qu’il oublie de prier, ni qu’il prie dans une posture peu décente, à-moins qu’il ne soit malade : alors au lieu de ses prieres ordinaires, qu’il en fasse une courte, & qu’il n’y manque jamais : vous lui apprendrez ses autres devoirs de religion, & les lui ferez pratiquer à mesure qu’il sera en âge de les remplir.

Ses devoirs envers ses parens marcheront de pair avec ceux de la religion ; apprenez-lui que son bonheur ou son malheur est dans leurs mains ; qu’il tient de leurs bontés tout ce qu’il est & tout ce qu’il a ; qu’ils sont pour lui l’image de Dieu ; que Dieu leur a donné par rapport à lui une partie de sa puissance, de sa bonté, de sa justice ; qu’il ordonne de les aimer & de les honorer, & qu’il n’a promis une longue vie qu’aux enfans qui les honorent ; mais il faut que les parens entrent bien dans vos vûes : car si vos discours ne sont pas secondés par leur conduite, toutes les leçons que vous pourrez faire à l’enfant, sont autant de paroles perdues.

Le premier sentiment qu’on doit exiger d’un enfant, ce n’est pas son amitié, c’est son respect : si l’on veut s’en faire aimer par la suite, il faut commencer par s’en faire craindre ; celui qu’on éleve dans l’indépendance n’est occupé que de lui-même, & son cœur s’endurcit ; celui qu’on éleve dans la soûmission sent le besoin qu’il a d’appui, & s’attache naturellement aux personnes dont il dépend.

Que ses parens lui cachent toute la tendresse qu’ils ont pour lui ; l’enfant en abuseroit ; qu’ils viennent rarement le trouver, ou du-moins qu’ils restent peu