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Le même Libavius donne le nom de turbith à la chaux d’antimoine faite avec le régule, dissous par l’acide nitreux, qu’on faisoit bouillir après cela dans du vinaigre, & ensuite dans de l’eau de roses : mais il est évident que ces deux décoctions deviennent inutiles. Page 188.

Si l’on fait digérer de l’esprit-de-vin sur la céruse d’antimoine non-lavée, il se fait une teinture rouge. Voyez Teinture de Tartre. Si on allume cet esprit-de-vin dessus, & qu’on l’y fasse brûler tout entier, il reste une liqueur lixivielle très-âcre. Cette liqueur étant évaporée sur un feu leger, donne un alkali d’un rouge jaunâtre, caustique & tout soluble dans l’eau. La lessive qui en résulte est rougeâtre & fort âcre. La poudre réguline qu’on sépare de cette teinture est absolument dépouillée de causticité ; elle ne purge ni par le haut ni par le bas, & n’est que diaphorétique. Fred. Hoffman, observat. physico-chim. seleit. p. 254. 4°.

Quand on verse le verre d’antimoine sur une plaque métallique, il s’éleve des fleurs blanches qu’il ne faut pas prendre pour de la céruse d’antimoine, c’est un verre très-divisé. Il faut en dire autant dans la préparation de la neige d’antimoine, des fleurs qui se trouvent entre les deux couvercles du pot. Le régule d’antimoine donne à-peu-près le même produit, toutes les fois qu’on le fond à l’air libre. Les fleurs qui s’élevent dans la préparation du foie de Rullandus, sont encore de même nature, quoique quelques auteurs ayent regardé tous ces produits comme une chaux absolue d’antimoine.

On fait encore une céruse d’antimoine, en dissolvant son régule dans l’eau-forte & l’eau régale, & en versant de l’acide nitreux sur le beurre d’antimoine. Voyez Bézoard minéral. Dans ces trois mélanges, il s’excite une forte effervescence ; il n’est pas plus étonnant que l’eau régale agisse sur le régule, que sur l’antimoine crud : l’acide nitreux en constitue environ les trois quarts. C’est cet acide qui produit tous ces phénomenes ; du moins l’acide marin ne paroît-il y avoir aucune part ; & quand bien même il dissolveroit une partie de régule, il seroit toûjours chassé par l’acide nitreux, comme il arrive dans le bézoard minéral. Par ces trois procédés, on fait une chaux d’antimoine insipide ; mais il n’en est pas de même du beurre d’antimoine, ou de la poudre d’Algaroth, ni de la dissolution du régule d’antimoine par l’acide vitriolique : ces deux sels sont âcres & caustiques. Voyez tous ces articles, & Nitre. Le bézoard minéral en particulier, est une céruse très-divisée : & comme ce n’est qu’en conséquence de sa grande division que la chaux absolue d’antimoine peut produire quelque effet, le bézoard comme plus atténué que les autres chaux absolues, en produit par-là de beaucoup plus considérables, étant donné même en moindre quantité.

Il est évident par tout ce qui précede, que la chaux absolue d’antimoine, par quelle des méthodes décrites qu’elle soit faite, est toûjours la même quant au fond. Quand elle est bien faite, c’est une pure terre insipide, insoluble dans quelque liqueur que ce soit, non-absorbante, & absolument dépouillée de toute éméticité & de toute autre action. Ainsi l’on peut reconnoître celle qui a été falsifiée avec de la craie, ou toute autre terre absorbante, par l’effervescence qu’elle fait pour lors avec les acides.

Il suit donc que l’esprit-de-vin ou toute autre liqueur, soit acide, soit spiritueuse ou huileuse, n’occasionneront aucun changement dans les parties de la chaux antimoniale ; puisque les acides minéraux les plus corrosifs ne peuvent l’altérer en aucune façon, ou bien ont déjà exercé toute leur action sur elle. Ainsi c’est se repaître de chimeres, que de croi-

re augmenter ou changer sa vertu par les édulcorations & digestions merveilleuses, que les différens

auteurs ont prescrites. Les changemens de couleurs qui arrivent pour lors, sont dus a l’alkali fixe ou nitre décomposé (Voyez Teinture de Tartre) ; & la preuve, c’est que ces phénomenes cessent des qu’on a dépouillé la chaux antimoniale de ce sel. En brûlant l’esprit-de-vin, &c. desséchant, calcinant & filtrant, on détruit tout ce que l’alkali en a pû retenir.

Si, à ce que nous avons détaillé jusqu’ici sur les propriétés de l’antimoine diaphorétique & de la céruse d’antimoine, on joint la connoissance des phénomenes de la teinture du tartre, de la déflagration de l’esprit-de-vin & des huiles essentielles, on aura une critique raisonnée du fondant de Rotrou.

On fait un antimoine diaphorétique martial, connu sous le nom de safran de Mars, antimoine de Stahl. Voyez cet article.

Nous avons dit que la terre de l’antimoine par sa simple qualité de substance métallique, absolument privée de son principe inflammable, n’étoit point émétique. Cette opinion est assez généralement reçûe, & même il y a des auteurs qui soûtiennent qu’elle n’a aucune vertu. Boerhaave est de ce nombre : mais il se combat lui-même en la regardant comme nuisible, & en avançant dans un autre endroit qu’elle aiguise la vertu des purgatifs. Il cite pour exemple la poudre cornachine, dans laquelle elle entre pour un tiers. On conçoit à la vérité qu’une matiere qui n’est ni émétique ni diaphorétique, parce qu’elle est une terre inerte, peut être inutile, mais non nuisible, ni capable d’augmenter la vertu des médicamens. Cependant Boerhaave s’explique là-dessus bien clairement : après avoir dit que l’antimoine diaphorétique non-lavé est un leger irritant, il ajoûte que la chaux pure produit plus de mal ; qu’en la lavant, on lui enleve tout ce qu’elle avoit de bon, & qu’il n’en conseille l’usage qu’en la laissant avec ses sels, ou bien en l’employant dans la poudre cornachine ; que l’expérience confirme avoir plus d’activité en conséquence de l’antimoine diaphorétique, qui n’agit sensiblement que dans ce cas. Ainsi donc Boerhaave doit reconnoître forcément que l’antimoine diaphorétique n’a d’inertie que pour le bien, & point du tout pour le mal. Nous n’entreprenons cependant pas de soûtenir son sentiment ; il avoit l’observation pour lui à la vérité, mais elle ne peut avoir été faite qu’en conséquence d’une préparation susceptible de quelques changemens.

Mender, qui est du sentiment contraire, a bien senti la contradiction évidente qui étoit échappée à Boerhaave ; mais il le combat avec des raisonnemens si peu concluans, qu’on seroit tenté de croire qu’il a tort, pendant que l’expérience a décidé en sa faveur. Avec un pareil garant, nous ne citerons aucune autorité, quoiqu’il y en ait pour lui de très respectables & en fort grand nombre, comme Frédéric Hoffman, &c. mais il y en a aussi contre lui. Il avance donc 1°. qu’il ne faut pas croire qu’une terre insipide n’ait plus de vertu ; puisqu’on voit le contraire de la part du verre d’antimoine & du mercure de vie. 2°. Que d’ailleurs il y a dans l’antimoine diaphorétique, la partie principale du régule : mais on peut répondre à cela que Boerhaave n’attribue aucune vertu à l’antimoine diaphorétique, non-seulement parce qu’il n’a aucune saveur, mais encore parce qu’il est dépouillé de tout principe actif ; ce qui n’est pas également vrai du verre d’antimoine & du mercure de vie, quoique insipides. En second lieu, l’antimoine diaphorétique n’est pas plus actif pour contenir la partie principale du régule, puisque cette même partie est absolument dépouillée du principe du feu qui lui donnoit toute son activité.