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La pureté & la salubrité de l’air dans lequel ils vivent, les mettent sans doute à couvert ; s’ils respirent quelque portion du levain goutteux, ou qu’il en naisse dans leur sang, leurs travaux pénibles le dissipent avec la sueur & les autres évacuations, avant qu’il ait eu le tems de se manifester.

Non-seulement la nature du levain goutteux est inconnue, non-seulement on ignore les causes éloignées qui lui donnent naissance, on n’est pas même d’accord touchant le vrai siége de la goutte. Il est décidé que c’est sur l’articulation qu’elle se jette : mais sur quelle partie de l’articulation ? est-ce sur les ligamens, sur les glandes synoviales, sur le périoste ? voilà sur quoi les Medecins sont partagés. Il est certain que dans les violentes attaques de goutte, dans la goutte ancienne & confirmée, toutes ces parties sont attaquées, ainsi que la peau & tout ce qui compose le membre affligé ; mais elles ne l’ont pas été toutes dans le même instant, il en est une qui a été la premiere occupée, la préférée, sur laquelle le levain a commencé à se déposer, & de laquelle, comme d’un centre, il a rayonné & s’est étendu tout-autour dans le voisinage. Cette partie favorite paroît être le périoste de la tête des os principalement ; ensorte que la goutte peut être regardée comme une vraie maladie des os.

La premiere preuve de la préférence du levain goutteux pour le périoste, est que dans les premiers momens d’un accès de goutte avant le gonflement, & dans les derniers après qu’il est dissipé, on peut sentir avec le doigt en pressant, le point de la douleur sur le corps de l’os, & qu’on peut faire joüer l’articulation avec la main sans peine & sans souffrance, quoiqu’elle ne puisse pas exercer librement ses fonctions.

La deuxieme, c’est que la douleur gagne & s’étend tout du long des os, le long des phalanges, & du métatarse ou du métacarpe, selon qu’elle est aux piés ou aux mains ; ce qui met le comble à l’impuissance de l’exercice du membre malade.

La troisieme, c’est que les os se tordent, & que leurs têtes se gonflent dans certaines gouttes d’un mauvais caractere, indépendamment de toute concrétion ou dépôt.

La quatrieme, c’est que la goutte attaque souvent le talon, où il n’y a ni synovie ni ligamens.

La cinquieme enfin, c’est que dans l’odontalgie, qui est une des plus cruelles gouttes, l’humeur ne peut tomber que sur le périoste de la dent attaquée, & qu’il n’y a ni synovie ni ligament pour la recevoir. Il ne paroît donc pas que ce soit la synovie qui soit l’humeur infectée du levain goutteux, comme plus analogue avec lui qu’aucune autre. L’expérience prouve au contraire qu’elle est la derniere attaquée, & que l’intérieur de l’articulation est en bon état, tandis que l’extérieur souffre beaucoup. Ce n’est qu’après un long-tems & dans les gouttes noüées, que les articulations se déplacent, & qu’elles reçoivent des dépôts dans leur intérieur.

Diagnostic. On ne sauroit méconnoître la goutte, lorsqu’une douleur vive vient subitement, en pleine santé, & sans savoir pourquoi, attaquer quelqu’une des articulations, principalement quand elle commence par une seule, par le pié ou la main, & qu’elle n’est accompagnée en naissant d’aucune tumeur : quand cette douleur se déclare la premiere fois dans le cœur de l’hyver, au milieu de la nuit, ou qu’elle redouble dans le lit ; quand elle prive la partie attaquée de la force & de la liberté de l’exercice qui lui convient, & qu’elle la rend impuissante & foible, même quelque tems après sa dissipation ; quand elle produit après les premieres vingt-quatre heures un gonflement, de la chaleur, des battemens sans aucune suppuration, une rougeur vive qui dégénere

bien-tôt en violet ; quand elle se renouvelle chaque année au milieu de l’hyver, ou vers la fin du printems ; enfin lorsqu’elle dépose & qu’elle laisse des nœuds, des concrétions plâtreuses ou pierreuses aux parties qu’elle a martyrisées.

La goutte irréguliere & remontée n’est pas moins évidente que la réguliere, quand le levain déposé dans son siége naturel, l’abandonne, après le paroxysme commencé, pour aller occuper quelqu’autre partie ou quelque viscere. Il n’en est pas de même lorsque le levain goutteux s’empare de quelque partie intérieure, avant de s’être fait sentir sur les extérieures qu’il avoit coûtume d’attaquer ; il se cache trop bien sous les nouvelles formes qu’il emprunte pour qu’on ne s’y méprenne pas quelquefois : cependant le tempérament goutteux du malade, la nature des symptomes qui caractérisent la maladie formée par le levain irrégulier, le tems & la saison des attaques, la déclaration brusque, subite & sans cause de la maladie, le décelent le plus souvent ; mais on n’en est bien convaincu qu’au moment que la goutte devenant réguliere, fait cesser la maladie anomale en reprenant son poste naturel. A l’égard de cette espece de goutte anomale qui commence par être telle sans s’être annoncée par aucune attaque réguliere, ni même par aucune sorte de prélude, capable de faire soupçonner l’existence du levain goutteux dans le sang, le malade n’étant pas né d’ailleurs de parens goutteux, il n’est pas possible de la reconnoître par aucun signe ; il faut la deviner.

Prognostic. C’est le sort des maladies les plus douloureuses de n’être point mortelles, si ce n’est par accident. La goutte, quand elle n’est point troublée dans son cours, ne le devient qu’après un long-tems, lorsque des attaques longues & répétées ont entierement épuisé les forces ; lorsque le levain ne pouvant plus se débarrasser de la masse du sang, ni être chassé vers les articulations, s’arrête ou se dépose dans les visceres, & fait la goutte remontée. C’est proprement l’état de la vieillesse, & la fin de presque tous les goutteux.

Mais si le levain contrarié, troublé, interrompu dans son cours, ne peut se déposer ou se fixer dans son siége naturel, soit par la mauvaise conduite des goutteux, par leurs imprudences, par des remedes mal administrés, par des applications repercussives, ou parce qu’il est trop abondant & d’un caractere malin, il forme alors la goutte irréguliere ou remontée, qui est une maladie presque toûjours mortelle ; & la mort qui en résulte, est plus ou moins subite, plus ou moins certaine, selon la qualité du viscere attaqué, & selon la nature & l’abondance du levain remonté.

La goutte est une maladie intermittente, dont les accès reviennent tous les ans au-moins une fois, & durent plus ou moins, sont plus ou moins violens, selon qu’elle est plus nouvelle ou plus ancienne, d’un caractere benin ou malin. Il arrive cependant quelquefois que les intermittences sont de deux ou trois ans, & même davantage ; mais on remarque que quand les accès ont manqué un an, ou deux, ou trois, &c. le premier qui survient est très-fort, & d’autant plus violent, qu’il a différé plus long-tems. Les goutteux aguerris ne regardent pas ces longs intervalles comme un heureux succès ; ils ont raison de se méfier du retard de leur goutte, & d’en craindre l’irrégularité, ou du-moins de redouter la violence du premier accès, qui ne leur devient supportable qu’en dissipant leurs alarmes par son retour.

C’est peut-être la suspension des accès de goutte qui a fait croire à quelques goutteux qu’ils en étoient guéris ; ils ont fait honneur de leur guérison à quelque dernier moyen qu’ils avoient employé, dont on a enrichi le catalogue des spécifiques ; peut-être