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tems dessus, afin de remplir les vuides avec les petits glaçons, en sorte que le tout venant à se congeler, fait une masse qu’on est obligé de casser par morceaux pour en pouvoir avoir des portions.

La glaciere pleine, on couvre la glace avec de la grande paille par le haut, par le bas & par les côtés ; & par-dessus cette paille on met des planches qu’on charge de grosses pierres pour tenir la paille serrée. Il faut fermer la premiere porte de la glaciere avant que d’ouvrir la seconde, pour que l’air de dehors n’y entre point en été ; car il fait fondre la glace pour peu qu’il la pénetre.

La neige se conserve aussi-bien que la glace dans les glacieres. On les ramasse en grosses pelotes, on les bat & on les presse le plus qu’il est possible ; on les range & on les accommode dans la glaciere, de maniere qu’il n’y ait pas de jour entr’elles, observant de garnir le fond de paille comme pour la glace. Si la neige ne peut se serrer & faire un corps, ce qui arrive lorsque le froid est très-vif, il faudra jetter un peu d’eau par-dessus, cette eau se gelera aussi-tôt avec la neige, & pour lors il sera aisé de la réduire en masse. La neige se conservera toûjours mieux dans la glaciere si elle y est bien pressée & bien battue. Il faut choisir autant qu’on peut le tems sec pour ramasser la neige, autrement elle se fondroit à mesure qu’on la prendroit. Il ne faut pourtant pas qu’il gele trop fort, parce qu’on auroit trop de peine à la lever. C’est dans les prairies & sur les beaux gazons qu’on la va prendre, pour qu’il y ait moins de terre mêlée. La neige est fort en usage dans les pays chauds, comme en Espagne & en Italie où les glacieres sont un peu différentes des nôtres.

Les glacieres en Italie sont de simples fosses profondes, au fond desquelles on fait une tranchée pour écouler les eaux qui se séparent de la glace ou de la neige fondue ; ils mettent une bonne couverture de chaume sur le sommet de la fosse ; ils remplissent cette fosse de neige très-pure, ou de glace tirée de l’eau la plus nette & la plus claire qu’on puisse trouver, parce qu’ils ne s’en servent pas pour rafraîchir comme nous faisons dans nos climats, mais pour la mêler avec leur vin & autres boissons. Ils tapissent la fosse avec quantité de paille dont ils font un très large lit dans tout l’intervalle du creux, de maniere qu’ils en portent le remplissage jusqu’au sommet, & ensuite le couvrent avec un autre grand lit de paille. Par cet arrangement quand ils tirent du trou de la glace pour leur usage, ils l’enveloppent de cette même paille dont elle est par-tout environnée, & peuvent en conséquence transporter leur petite provision de glace à l’abri de la chaleur & à quelque éloignement, sans qu’elle vienne à se fondre dans le trajet. (D. J.)

GLACIERS ou GLETSCHERS, (Hist. natur.) quelques-uns les nomment glacieres, mais le nom de glaciers est le plus usité ; il ne faut point les confondre avec la glaciere naturelle qui a été décrite dans l’article précédent.

Il n’est peut-être point de spectacle plus frappant dans la nature que celui des glaciers de la Suisse ; on en voit dans plusieurs endroits des Alpes : tout le monde sait que ces montagnes sont très-élevées ; quelques-unes d’entr’elles ont, suivant le célebre Scheuchzer, jusqu’à 2000 brasses de hauteur perpendiculaire au-dessus du niveau de la mer, d’où l’on voit qu’il doit presque toûjours y regner un froid très-considérable ; aussi la cime de ces montagnes que l’on apperçoit à une très-grande distance, est perpétuellement couverte de neige & de glace, & il se trouve près de leur sommet des lacs ou réservoirs immenses d’eaux qui sont gelées jusqu’à une très-grande profondeur. Par les vicissitudes des saisons on sent aisément que ces réservoirs sont sujets

à se dégeler & à se geler ensuite de nouveau ; ce sont ces alternatives qui produisent les différens phénomenes dont il sera parlé dans cet article.

Parmi les glaciers qui se trouvent dans les Alpes, un des plus remarquables est celui de Grindelwald ; on le voit à 20 lieues de Berne, près d’un village qui porte son nom ; il est situé dans les montagnes qui séparent le canton de Berne d’avec le Valais. Ce fameux glacier n’avoit été décrit qu’imparfaitement par plusieurs naturalistes de la Suisse ; Scheuchzer lui-même n’en avoit donné qu’une courte description dans ses itinera alpina, pag. 280, 482 & 483 : mais enfin M. Jean-George Altmann n’a plus rien laissé à desirer aux naturalistes sur cette matiere : après avoir fait un voyage sur les lieux, & avoir examiné le glacier de Grindelwald avec toute l’exactitude que la difficulté du terrein pouvoit permettre, il publia en allemand en 1753 un traité des montagnes glacées & des glaciers de la Suisse, en un volume in-8°. c’est le fruit de ses observations : nous ne pouvons mieux faire que de donner ici un précis de cet excellent ouvrage.

Le village de Grindelwald est situé dans une gorge de montagnes longue & étroite ; de-là on commence déjà à appercevoir le glacier ; mais en montant plus haut sur la montagne, on découvre entierement un des plus beaux spectacles que l’on puisse imaginer dans la nature, c’est une mer de glace ou une étendue immense d’eau congelée. En suivant la pente d’une haute montagne par l’endroit où elle descend dans le vallon & forme un plan incliné, il part de ce réservoir glacé un amas prodigieux de pyramides, formant une espece de nappe qui occupe toute la largeur du vallon, c’est-à-dire environ 500 pas ; ces pyramides couvrent toute la pente de la montagne : le vallon est bordé des deux côtés par deux montagnes fort élevées, couvertes de verdure, & d’une forêt de sapins jusqu’à une certaine hauteur, mais leur sommet est stérile & chauve. Cet amas de pyramides ou de montagnes de glace ressemble à une mer agitée par les vents dont les flots auroient été subitement saisis par la gelée ; ou plûtôt on voit un amphithéatre formé par un assemblage immense de tours ou de pyramides hexagones, d’une couleur bleuâtre, dont chacune a 30 ou 40 piés de hauteur ; cela forme un coup d’œil d’une beauté merveilleuse. Rien n’est sur-tout comparable à l’effet qu’il produit lorsqu’en été le soleil vient à darder ses rayons sur ces grouppes de pyramides glacées, alors tout le glacier commence à fumer, & jette un éclat que les yeux ont peine à soûtenir : c’est proprement à la partie qui va ainsi en pente en suivant l’inclinaison de la montagne, & qui forme une espece de toît couvert de pyramides, que l’on donne le nom de glacier ou de gletscher en langue du pays ; on les nomme aussi firn.

On voit à l’endroit le plus élevé d’où le glacier commence à descendre, des cimes de montagnes perpétuellement couvertes de neige ; elles sont plus hautes que toutes celles qui les environnent, aussi peut-on les appercevoir de toutes les parties de la Suisse. Les glaçons & les neiges qui les couvrent ne se fondent presque jamais entierement ; cependant les annales du pays rapportent qu’en 1540 on éprouva une chaleur si excessive pendant l’été, que le glacier disparut tout-à-fait ; alors ces montagnes furent dépouillées de la croûte de neige & de glace qui les couvroit, & montrerent à nud le roc qui les compose ; mais en peu de tems toutes choses se rétablirent dans leur premier état.

Ces montagnes glacées qu’on voit au haut du glacier de Grindelwald, bordent de tous côtés un lac ou réservoir immense d’eau glacée qui s’y trouve. M. Altmann présume qu’il est d’une grandeur