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la Géométrie conduira à celle de la méchanique ; celle-ci menera comme d’elle-même & sans obstacle, à l’étude de la saine Physique ; & enfin la saine Physique à la vraie Philosophie, qui par la lumiere générale & prompte qu’elle répandra, sera bien-tôt plus puissante que tous les efforts de la superstition ; car ces efforts, quelque grands qu’ils soient, deviennent inutiles dès qu’une fois la nation est éclairée.

Croira-t-on que nous parlons sérieusement, si nous employons les dernieres lignes de cet article à justifier les Géometres du reproche qu’on leur fait d’ordinaire, de n’être pas fort portés à la soûmission en matiere de foi ? Nous aurions honte de répondre à cette imputation, si elle n’étoit malheureusement aussi commune qu’elle est injuste. Bayle qui doutoit & se moquoit de tout, n’a pas peu contribué à la répandre par les réflexions malignes qu’il a hasardées dans l’article Pascal, contre l’orthodoxie des Mathématiciens, & par ses lamentations sur le malheur que les Géometres ont eu jusqu’ici de ne voir aucun de leurs noms dans le calendrier ; lamentations trop peu sérieuses pour être rapportées dans un ouvrage aussi grave que celui-ci. Sans répondre à cette mauvaise plaisanterie par quelqu’autre, il est facile de se convaincre par la lecture des éloges académiques de M. de Fontenelle, par les vies de Descartes, de Pascal, & de plusieurs mathématiciens célebres, qu’on peut être géometre sans être pour ses freres un sujet de scandale. La Géométrie à la vérité ne nous dispose pas à ajoûter beaucoup de foi aux raisonnemens de la Medecine systématique, aux hypothèses des physiciens ignorans, aux superstitions & aux prejugés populaires ; elle accoûtume à ne pas se contenter aisément en matiere de preuves : mais les vérités que la révélation nous découvre, sont si différentes de celles que la raison nous apprend, elles y ont si peu de rapport, que l’évidence des unes ne doit rien prendre sur le respect qu’on doit aux autres. Enfin la foi est une grace que Dieu donne à qui il lui plaît ; & puisque l’Evangile n’a point défendu l’étude de la Géométrie, il est à croire que les Géometres sont aussi susceptibles de cette grace que le reste du genre humain. (O)

GÉOMÉTRIE, s. f. (Ordre encycl. Entend. Rais. Philosoph. ou Science, Science de la Nat. Mathémath. Mathémath. pures, Géométrie.) est la science des propriétés de l’étendue, en tant qu’on la considere comme simplement étendue & figurée.

Ce mot est formé de deux mots grecs, γῆ ou γαῖα, terre, & μέτρον, mesure ; & cette étymologie semble nous indiquer ce qui a donné naissance à la Géométrie : imparfaite & obscure dans son origine comme toutes les autres sciences, elle a commencé par une espece de tatonnement, par des mesures & des opérations grossieres, & s’est élevée peu-à-peu à ce degré d’exactitude & de sublimité où nous la voyons.

Histoire abregée de la Géométrie. Il y a apparence que la Géométrie, comme la plûpart des autres sciences, est née en Egypte, qui paroît avoir été le berceau des connoissances humaines, ou, pour parler plus exactement, qui est de tous les pays que nous connoissons, celui où les Sciences paroissent avoir été le plus anciennement cultivées. Selon Hérodote & Strabon, les Egyptiens ne pouvant reconnoître les bornes de leurs héritages confondues par les inondations du Nil, inventerent l’art de mesurer & de diviser les terres, afin de distinguer les leurs par la considération de la figure qu’elles avoient, & de la surface qu’elles pouvoient contenir. Telle fut, dit-on, la premiere aurore de la Géométrie. Josephe, historien zélé pour sa nation, en attribue l’invention aux Hébreux ; d’autres à Mercure. Que ces faits soient vrais ou non, il paroît certain que quand les hommes ont commencé à posséder des terres, & à

vivre sous des lois différentes, ils n’ont pas été long-tems sans faire sur le terrein quelques opérations pour le mesurer, tant en longueur qu’en surface, en entier ou par parties ; & voilà la Géométrie dans son origine.

De l’Egypte elle passa en Grece, où on prétend que Thalès la porta. Il ne se contenta pas d’apprendre aux Grecs ce qu’il avoit reçû des Egyptiens ; il ajoûta à ce qu’il avoit appris, & enrichit cette science de plusieurs propositions. Après lui vint Pythagore, qui cultiva aussi la Géométrie avec succès, & à qui on attribue la fameuse proposition du quarré de l’hypothénuse. Voyez Hypothénuse. On prétend qu’il fut si ravi de cette découverte, qu’il sacrifia de joie cent bœufs aux Muses. Il y a apparence, dit un auteur moderne, que c’étoient des bœufs de cire ou de pâte ; car Pythagore défendoit de tuer les animaux, en conséquence de son système de la métempsycose, qui (pour un philosophe payen) n’étoit pas l’opinion du monde la plus absurde. Voyez Métempsycose. Mais il y a plus d’apparence encore que le fait n’est pas vrai ; ce qui dispense de l’expliquer. Après Pythagore, les philosophes & les écoles qu’ils formerent, continuerent à cultiver l’étude de la Géométrie. Plutarque nous apprend qu’Anaxagore de Clazomene s’occupa du problème de la quadrature du cercle dans la prison où il avoit été renfermé, & qu’il composa même un ouvrage sur ce sujet. Cet Anaxagore avoit été accusé d’impiété, pour avoir dit que les astres étoient matériels ; & il eût été condamné à mort, sans Periclès qui lui sauva la vie. On voit par cet exemple, s’il est permis de le dire en passant, que ce n’est pas d’aujourd’hui que les Philosophes sont persécutés pour avoir eu raison ; & que les prêtres grecs étoient aussi habiles que certains théologiens modernes, à ériger en articles de religion ce qui n’en étoit pas.

Platon qui donnoit à Anaxagore de grands éloges sur son habileté en Géométrie, en méritoit aussi beaucoup lui-même. On sait qu’il donna une solution très simple du problème de la duplication du cube. Voyez Duplication. On sait aussi que ce grand philosophe appelloit Dieu l’éternel géometre (idée vraiment juste & digne de l’Être suprème), & qu’il regardoit la Géomtérie comme si nécessaire à l’étude de la Philosophie, qu’il avoit écrit sur la porte de son école ces paroles mémorables, qu’aucun ignorant en Géométrie n’entre ici. Entre Anaxagore & Platon, on doit placer Hippocrate de Chio, qui mérite qu’on en fasse mention par sa fameuse quadrature de la lunule. Voyez Lunule. Feu M. Cramer, professeur de Philosophie à Genève, nous a donné dans les mémoires de l’académie des Sciences de Prusse pour l’année 1748, une très-bonne dissertation sur ce géometre : on y lit qu’Hippocrate dans un voyage qu’il fit à Athenes, ayant eu occasion d’écouter les philosophes, prit tant de goût pour la Géométrie, qu’il y fit des progrès admirables ; on ajoûte que cette étude développa son talent, & qu’il avoit pour tout le reste l’esprit lent & bouché ; ce qu’on raconte aussi de Clavius, bon géometre du seizieme siecle. Il n’y a rien d’étonnant à tout cela ; mais le comble de l’ineptie est d’en faire une regle. Voyez Géometre.

Euclide qui vivoit environ cinquante ans après Platon, & qu’il ne faut pas confondre avec Euclide de Megare contemporain de ce philosophe, recueillit ce que ses prédécesseurs avoient trouvé sur les élémens de Géométrie ; il en composa l’ouvrage que nous avons de lui, & que bien des modernes regardent comme le meilleur en ce genre. Dans ces élémens il ne considere que les propriétés de la ligne droite & du cercle, & celles des surfaces & des solides rectilignes ou circulaires ; ce n’est pas néanmoins que du tems d’Euclide il n’y eût d’autre courbe connue que le cercle ; les Géometres s’étoient